Remises génériques : qui veut la peau des officines ?

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Remises génériques : qui veut la peau des officines ?

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Publié le 3 septembre 2025
Par Elisabeth Duverney-Prêt
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En plafonnant les remises sur les médicaments génériques à des niveaux jugés intenables, le gouvernement a déclenché une tempête sans précédent dans le réseau officinal. Grèves, fermetures et actions inédites se sont multipliées durant l’été. Au-delà d’un choc économique pour la profession, c’est l’accès aux soins de proximité qui risque d’être touché.

Coup de tonnerre, en juin. Le ministère de la Santé propose de réduire de moitié le plafond des remises sur les médicaments génériques. Pour les syndicats, il s’agit d’une « déclaration de guerre », « une attaque frontale contre notre économie », tonne Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). À la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), son homologue Philippe Besset chiffre déjà l’impact : 500 millions d’euros de pertes cumulées pour le réseau. Si une telle mesure venait à entrer en application, c’est tout le modèle économique des officines qui vacillerait.

La mobilisation s’organise

La réaction des pharmaciens est immédiate. Le 27 juin, l’USPO appelle à une grève illimitée des gardes. Dans les vitrines, les affiches « Sauvons nos pharmacies » se multiplient. Le 1er juillet, une manifestation nationale est organisée. Pharmaciens, patients et soignants se rassemblent espérant influencer les négociations à venir. La FSPF lance elle aussi des actions, dont la grève de l’e-prescription, initiative inédite qui bloque la remontée des données vers l’Assurance maladie.

Catherine Vautrin, ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, et Yannick Neuder, ministre chargé de la Santé et de l’Accès aux soins, revoient leurs chiffres à la hausse et proposent, le 23 juillet, de baisser le plafond à 33 % pour les génériques et de le fixer à 15 % pour les biosimilaires. Encore trop bas pour l’USPO, qui refuse net. La FSPF veut, quant à elle, vérifier les chiffres. Un contre-arbitrage est transmis à Matignon avec à la clé l’ouverture d’un avenant n° 2 à la convention pharmaceutique, destiné à repenser la rémunération des pharmaciens.

Le couperet tombe

Août 2025. Tandis que le pays ralentit, les officines s’embrasent. L’arrêté fixant définitivement le plafond des remises vient d’être publié au Journal officiel et trace une trajectoire implacable : le plafond des remises est abaissé à 30 % dès septembre 2025, pour atteindre progressivement 20 % en janvier 2027 (voir encadré).

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Les syndicats alertent aussitôt : cela représente 15 000 à 20 000 € de pertes annuelles par officine dès 2025, et près de 30 000 € à terme. Dans les zones rurales, les petites pharmacies ne tiendront pas. L’économiste Frédéric Bizard confirme le diagnostic : pour 25 à 30 % des officines déjà fragiles, le risque de fermeture est bien réel. « L’argument d’une compensation par l’augmentation à 15 % du plafond des remises sur les biosimilaires ne tient pas. Le développement de ces médicaments est freiné par des lourdeurs administratives qui ralentissent leur substitution. »

Ce que prévoit l’arrêté du 4 août 2025

  • 1er sept. 2025-30 juin 2026 : 30 % sur les génériques/hybrides, 15 % sur les biosimilaires.
  • 1er juil. 2026-30 juin 2027 : 25 % sur les génériques/hybrides, 17,5 % sur les biosimilaires.
  • 1er juil.-31 déc. 2027 : 20 % pour toutes les spécialités.

L’article 6 de l’arrêté fixe par ailleurs la production, d’ici mai 2026, d’un rapport d’évaluation sur les taux effectifs de remises réellement pratiqués, l’impact sur la pénétration des génériques et biosimilaires, et les effets sur l’équilibre économique des officines.

Une logique implacable

Pourtant, le gouvernement s’obstine. En juin, le comité d’alerte sur l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam), estimant qu’un dépassement de 1,3 milliard d’euros était fort probable, lui enjoint de trouver 100 millions d’euros d’économies immédiates. Dans ce contexte, les remises sur les génériques deviennent une variable d’ajustement budgétaire, d’autant plus que l’État cherche, par la même occasion, à reprendre la main sur les prix des médicaments.

Un calcul trompeur, selon Frédéric Bizard, pour qui « ces remises ne coûtent rien à l’Assurance maladie. Elles relèvent d’une mécanique commerciale entre laboratoires et pharmaciens ».

Des risques cachés

La réforme pourrait-elle aussi ouvrir la voie à des dérives illégales ? Selon Pierre-Olivier Variot, certains laboratoires étrangers envisageraient déjà des circuits occultes via des sociétés écrans basées à l’étranger, ristournes en nature ou avoirs intraçables… Autant de pratiques qui échappent à la TVA et aux impôts, donc totalement illégales. Ce basculement menacerait les laboratoires vertueux qui opèrent en France. Pour les officines, le risque est double : pertes de marge et pression croissante pour accepter des offres douteuses. Présentée comme une mesure de transparence, la réforme pourrait finalement alimenter un marché parallèle incontrôlable.

Riposte des pharmacies

Dans les officines, l’indignation se mue en inquiétude, et la mobilisation se poursuit. Le 16 août, l’USPO appelle à une fermeture massive des officines : près de 90 % des pharmacies baissent le rideau. L’opinion publique mesure alors l’ampleur de la crise. Sur toutes les chaînes de télévision, les témoignages d’un « massacre économique » affluent. Les syndicats appellent au retrait de la réforme, soutenus par de nombreux hommes politiques. Le combat se déplace aussi au Parlement. Objectif : sortir les remises génériques du champ réglementaire et les inscrire dans la loi via le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, examiné début octobre. Ce cadre législatif semble désormais indispensable pour qu’elles ne puissent plus être modifiées par simple arrêté. Les syndicats de pharmaciens et de groupements brandissent également la menace d’un recours devant le Conseil d’État et d’une saisine du Conseil constitutionnel.

L’automne de tous les dangers

Même si l’arrêté prévoit un rapport d’étape, en mai 2026, sur les taux effectifs et les effets économiques, les syndicats n’y croient pas. La trajectoire est jugée « budgétairement verrouillée ». La rentrée s’annonce donc explosive : le 18 septembre, une grève nationale des pharmacies durcira encore le ton, dans un contexte social très tendu où taxis, cheminots et secteur de l’énergie préparent aussi des offensives. Le plan de rigueur de 44 milliards d’euros présenté par le Premier ministre François Bayrou a en effet fait converger les colères. Les pharmaciens, jusqu’alors silencieux, sont devenus le visage d’une lutte plus large contre les coupes budgétaires. Car derrière les décimales des remises se cachent des réalités concrètes : la survie de milliers d’officines, des emplois, et l’accès aux soins pour des millions de patients. Pour la profession, l’enjeu dépasse le seul médicament générique : il s’agit de défendre l’indépendance économique des officines et la survie d’un maillage territorial unique en Europe.

Les politiques s’emparent du sujet

« On ne responsabilise pas les Français en les frappant d’abord dans leur accès aux soins. » Aurélien Rousseau, ex-ministre de la Santé et député Place publique, ne mâche pas ses mots lors de sa prise de parole sur l’antenne de RMC, le 29 juillet 2025. La baisse des remises sur les médicaments génériques est, selon lui, une menace grave pour le réseau officinal. « On veut faire des économies ? Très bien. Mais qu’on commence par les secteurs à 15 % de rentabilité. » Il appelle à mener une réforme structurée plutôt que des mesures comptables brutales.

L’ancien chef de l’État, François Hollande, n’en pense pas moins. Il s’oppose fermement à cette réforme. Dans un courrier adressé au conseil régional de l’Ordre des pharmaciens, le 30 juillet, il liste plusieurs contre-propositions qu’il compte défendre lors de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Suspension de la baisse du plafond des remises, élargissement de la substitution officinale aux biosimilaires, aux génériques et aux dispositifs médicaux éligibles, réévaluation fine des prescriptions onéreuses et à faible service médical rendu… Autant de mesures qui pourraient pérenniser le réseau officinal.

Dans les rangs de l’Assemblée nationale, nombreux sont aussi les députés qui se sont déclarés contre la baisse du plafond des remises. De François Jolivet (Horizons & Indépendants), à Sophie Vaginay-Ricourt (Union des droites pour la République), en passant par Marietta Karamanli (Socialistes et apparentés), tous défendront l’avenir du maillage pharmaceutique.