Economie de l’officine : est-il urgent de changer de modèle ? 

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Economie de l’officine : est-il urgent de changer de modèle ? 

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Publié le 9 octobre 2025
Par Christelle Pangrazzi et Sana Guessous

Face à l’accélération des fermetures d’officines et à l’érosion continue de la marge, la profession veut engager un chantier de refonte complète de sa rémunération. Un nouvel avenant conventionnel fait consensus, mais son ouverture reste suspendue à l’instabilité politique. Diagnostic d’une crise.

La suspension de l’arrêté sur la baisse du plafond des remises, annoncée par l’éphémère Premier ministre Sébastien Lecornu, a certes été saluée comme une « victoire d’étape » par la profession. Mais cette mesure d’urgence ne saurait résoudre la crise structurelle que traverse le réseau officinal. « Les fermetures d’officines s’accélèrent dangereusement. Ce n’est pas un simple ajustement dont nous avons besoin, c’est toute la trajectoire économique du modèle officinal que nous devons à présent changer en profondeur », alerte Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Un constat partagé par Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), qui martèle la nécessité d’une « décorrélation complète entre la rémunération des pharmaciens et les volumes de médicaments dispensés ».

Un nouvel avenant conventionnel : la voie du consensus

Face à l’ampleur du chantier, une solution fait l’unanimité au sein des organisations syndicales : engager la négociation d’un avenant majeur à la convention nationale pharmaceutique. Cette démarche avait été esquissée dès juillet dernier par Catherine Vautrin, ministre de la Santé démissionnaire, qui avait évoqué une mission confiée à l’Assurance maladie visant à « nourrir la préparation d’un avenant conventionnel pour diversifier les sources de revenus des pharmaciens d’officine ».

Toutefois, la démission de Sébastien Lecornu a plongé ce projet dans l’incertitude politique. Le pilotage de cette mission reste suspendu à la nomination du prochain ministre de la Santé et à la constitution d’une nouvelle équipe ministérielle. Dans cette période d’attente, les syndicats ne restent pas inactifs : ils élaborent méthodiquement leurs propositions de réforme à soumettre aux négociations conventionnelles.

L’érosion de la marge : un scénario déjà vécu

La situation actuelle n’est pas sans rappeler celle qui avait précédé la signature de la convention pharmaceutique de 2012, laquelle avait introduit les honoraires de dispensation. « Avant la création de ces honoraires, nous pouvions encaisser des baisses de prix occasionnant jusqu’à 300 millions d’euros de perte de marge pour le réseau », rappelle Julien Chauvin, président de la commission études et stratégie économiques à la FSPF.

Aujourd’hui, les chiffres sont tout aussi alarmants. La FSPF évalue à 78 millions d’euros par an la perte en marge et en remises due aux récentes révisions tarifaires portant sur 52 médicaments génériques. Des décisions jugées « inacceptables » par la profession, qui craint une aggravation en 2026. « Si nous continuons d’essuyer d’aussi fortes baisses sans compensation, l’impact sur notre marge sera majeur et mettra en péril la viabilité de nombreuses officines », prévient Julien Chauvin, qui plaide pour une étude approfondie sur la réalité économique de l’industrie du médicament générique.

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La déprescription : un double effet

Un autre phénomène vient fragiliser l’équilibre économique des officines : la politique de déprescription menée par l’Assurance maladie, qui a connu une nette accélération cette année. « Le mois d’août 2025 a enregistré une baisse spectaculaire de 5,5 % sur le volume des médicaments remboursables, avec en première ligne les antalgiques de palier 2 et le paracétamol. C’est considérable », souligne le syndicaliste.

Si cette évolution est « réjouissante pour l’efficience des traitements et l’équilibre des comptes sociaux », elle pose néanmoins un problème économique majeur pour les pharmaciens dont la rémunération reste largement corrélée aux volumes dispensés. « Les pharmaciens accompagnent et soutiennent cette démarche de bon usage du médicament, mais ils ont besoin que leurs pertes soient compensées », martèle Julien Chauvin.

Pour éclairer ces enjeux, une mission confiée à l’Inspaction générale des affaires sociales (Igas) et à l’Inspection génaréldes finances (IGF) devrait, si elle est maintenue par le nouveau gouvernement, « faire d’ici à trois mois la transparence sur les conditions d’achat des génériques et des médicaments en général », précise Philippe Besset. Cette enquête aurait également vocation à formuler des recommandations pour faire évoluer la rémunération officinale, « comme cela avait été fait avec le rapport « Rémunération, missions, réseau » de l’Igas en 2011, dont les préconisations ont directement nourri la convention nationale pharmaceutique de 2012 », rappelle-t-il.

Un calendrier politique incertain

Les trois prochains mois constitueront une période cruciale pour les syndicats, qui vont rassembler et affiner toutes leurs propositions de réforme de la rémunération. Toutefois, l’ouverture effective d’un avenant pour mener à bien ce chantier d’ampleur reste conditionnée au feu vert du futur ministère de la Santé, autrement dit à une lettre de cadrage officielle.

« Il est difficile d’estimer la durée de préparation et de mise en œuvre d’un tel avenant. Comme pour le précédent, l’Assurance maladie donnera le tempo des négociations. Ce qui est certain, c’est que nous devons, d’ici à trois mois, décider des orientations stratégiques que nous souhaitons voir figurer dans le cahier des charges d’une lettre de mission du ministre à l’Assurance maladie », expose Julien Chauvin.

Mais en trois mois, tout peut basculer. La démission de Sébastien Lecornu a ouvert une période d’incertitude politique qui retarde la constitution d’une nouvelle équipe ministérielle à la Santé. Quel que soit le scénario politique qui se dessine, les officinaux peuvent néanmoins compter sur le soutien actif des parlementaires, « qui seront notre relais pour demander l’ouverture d’un nouvel avenant », assure le pharmacien.

À suivre : les pistes concrètes de réforme et les nouvelles missions à valoriser

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