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Pharmacies rurales et petites urbaines : l’épicentre immédiat de la crise des remises
L’arrêté plafonnant les remises génériques à 30 % et biosimilaires à 15 % déclenche un choc asymétrique : les officines rurales et les petites structures urbaines, déjà fragilisées, deviennent les premières victimes de la réforme, creusant ainsi la fracture territoriale.
Depuis quinze ans, les génériques ont constitué une ressource invisible mais essentielle pour l’économie officinale. La marge commerciale sur ces médicaments était l’oxygène permettant à de petites structures de survivre dans un environnement sous contrainte : baisses régulières de prix, transferts de charges, concurrence accrue. Le plafonnement des remises opère comme une soudure brutale sur ce poumon économique.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 7 000 à 30 000 € de chiffre d’affaires en moins par officine et par an (Iqvia). Rapportés aux quelque 20 500 pharmacies françaises, l’addition dépasse 300 M€. Mais ce total agrégé masque une réalité plus inquiétante : ce ne sont pas toutes les pharmacies qui perdront un peu, mais certaines qui perdront beaucoup, jusqu’à la rupture.
Ruralité : quand la dépendance au remboursable provoque une vulnérabilité systémique
Dans les villages et petites villes, les officines réalisant moins de 1 M€ de CA tirent parfois jusqu’à 90 % de leurs ventes des médicaments remboursables. Ces structures ne disposent ni d’une activité parapharmacie significative, ni d’une zone de chalandise élargie permettant d’amortir les pertes. Leur dépendance aux génériques est totale.
« Ces pharmacies sont déjà au bord du point de rupture. Quelques milliers d’euros en moins peuvent suffire à déclencher une fermeture », souligne Julien Chauvin (FSPF).
Leur isolement accentue encore leur vulnérabilité : loin des hôpitaux et des spécialistes, elles ne bénéficient pas des biosimilaires, dont les remises auraient pu jouer un rôle d’amortisseur. Comme le résume Guillaume Racle (USPO) : « Une pharmacie rurale ne pourra espérer que les renouvellements de traitements initiés à l’hôpital. Les primo-prescriptions resteront concentrées autour des centres hospitaliers ».
L’aide conventionnelle : une rustine pour un naufrage
Le gouvernement a prévu un dispositif d’urgence : une aide de 20 000 €, obtenue par l’avenant 1 à la convention pharmaceutique. En théorie, 1 000 à 1 200 officines rurales pourraient y prétendre. Dans les faits, seules 200 seront réellement aidées d’ici l’automne, faute de répondre aux critères géographiques de « territoire fragile ».
La loi Mouiller, encore en discussion, doit élargir ces critères. Mais le calendrier parlementaire et la lenteur de mise en œuvre ne correspondent pas à l’urgence de trésorerie à laquelle font face ces structures. « Toutes celles qui se situent juste au-dessus du seuil d’accès aux aides et qui connaissent pourtant les mêmes difficultés seront hélas parmi les premières touchées », avertit Frédéric Bizard.
Autrement dit, le filet de sécurité est trop étroit, trop lent, trop ciblé.
Petites pharmacies urbaines : l’angle mort de la réforme
On pourrait croire que la crise se limite aux campagnes. Ce serait une erreur. Les petites officines de quartier, dans les grandes métropoles, sont aussi concernées. La cause est différente mais le résultat identique : une érosion structurelle de la patientèle, liée à l’absence de renouvellement des médecins de proximité.
Déjà fragilisées par des chiffres d’affaires en déclin, ces pharmacies ne pourront absorber la baisse des marges génériques. « Celles qui auraient pu tenir encore quelques années mettront rapidement la clé sous la porte », prévient Julien Chauvin.
Pour les repreneurs, la perspective est tout aussi sombre : banques frileuses, perspectives de croissance dégradées, attractivité réduite. La réforme accélère donc un phénomène déjà enclenché : le retrait progressif des petits acteurs dans les zones urbaines populaires.
Un risque d’emballement du rythme des fermetures
Aujourd’hui, le réseau officinal perd déjà 200 à 300 pharmacies par an. Avec le plafonnement, ce rythme pourrait doubler, créant une onde de choc territoriale : perte d’accès immédiat aux soins de base, désertification renforcée, affaiblissement du lien social que constitue l’officine dans certaines communes.
Il faut comprendre la dynamique : chaque fermeture de pharmacie ne se traduit pas seulement par une perte économique mais par une rupture de service public de santé. Le pharmacien est souvent le dernier professionnel de santé accessible sans rendez-vous. Affaiblir ce maillon, c’est créer des zones blanches où ni médecin ni officine ne subsistent.
Le paradoxe des politiques publiques
Le gouvernement affirme vouloir renforcer le rôle du pharmacien comme acteur de proximité. Mais dans le même temps, il fragilise le socle économique de ceux qui incarnent le plus cette proximité : les petites officines, rurales ou urbaines, dont l’indépendance repose sur la marge générique.
« C’est tout le danger du raisonnement comptable », souligne Frédéric Bizard. « On prétend faire du pharmacien un hub de santé et dans le même temps, on organise la disparition des pharmacies standards indépendantes ».
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