Multiplication des indus : la profession témoigne

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Multiplication des indus : la profession témoigne

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Publié le 18 juin 2025
Par Elisabeth Duverney-Prêt
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Face à la hausse des indus et à une complexité administrative croissante, les pharmaciens expriment leur ras-le-bol. Soupçonnés de fraude malgré leur bonne foi, beaucoup se disent épuisés, en colère et harcelés par une administration qui manque d'humanité.

Une colère sourde gronde. Plus nombreux et plus onéreux d’année en année, les indus notifiés aux pharmaciens ne passent plus auprès de la profession. Stressés, fatigués, écœurés, nombre d’officinaux songent même à jeter l’éponge. « Lorsqu’on est honnête dans son travail, qu’on a l’impression d’avoir respecté les règles éthiques et médicales, ces courriers d’indus font vraiment mal au cœur. Il ne s’agit pas de courriers anodins nous indiquant qu’on a peut-être fait une erreur, ce sont des courriers qui nous accusent précisément d’être des fraudeurs. Pour moi, ça a été un coup de massue et je suis toujours en colère, même si c’est une histoire qui date de quelques années », explique Arnaud Cinturel, pharmacien en Normandie et créateur de la chaîne Youtube Pharmapreneur. Pour Laura, pharmacienne en Seine-Saint-Denis, c’est la répétition des réclamations qui pèse de plus en plus lourd : « Les indus sont devenus récurrents. Je reçois tellement de courriers de la CPAM que je n’ai même plus le temps de les traiter. Nous sommes nombreux à être dans la même situation. Il suffit d’aller voir sur les réseaux sociaux pour réaliser qu’il y a un véritable problème. On a l’impression que la CPAM nous prend tous pour des fraudeurs, alors que nous essayons de bien faire notre métier. »

Complexité

Là où la dispensation des médicaments était facile, la complexification des règles est devenue problématique et donne lieu à de nombreux indus. Prescription sur ordonnance sécurisée pour les opioïdes, justificatif renseigné par le prescripteur pour les antidiabétiques AGLP-1, projet de limitation de la primo délivrance des antalgiques de palier 1… « Les médecins remplissent plus ou moins correctement les formulaires administratifs qui leur sont proposés. Je conçois que ce soit dur pour eux, mais pour nous aussi, pharmaciens. Ce qui nous importe, c’est la santé du patient et de ce fait on se met à risque d’indus. Il est primordial de remettre en cause ce système administratif de manière qu’on ne dépende plus de tous ces soucis », souligne Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Son syndicat a appelé à plus d’humanité lors de la réunion qui s’est tenue à la CNAM au sujet des indus.

Intérêt médical

Repenser l’ensemble du processus de contrôle et de notification semble s’imposer. « Quand on a le bon médicament, pour le bon patient, prescrit par le bon médecin, il est tout à fait anormal d’avoir un indu. Si on parle du tampon qui n’est pas droit, d’une faute d’orthographe infime, d’une case qui n’a pas été cochée à cause d’un oubli du médecin, il n’y a aucune intention de frauder de la part du pharmacien. On ne peut pas accepter que les choses continuent ainsi et que l’assurance maladie nous pénalise autant. D’euro en euro cela finit par peser lourd sur l’économie officinale », ajoute Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Et cela pèse aussi très lourd sur le moral des pharmaciens. « Derrière le comptoir, il y a ceux qui fraudent intentionnellement et qui doivent être sanctionnés, c’est certain. Mais il y a aussi tous les pharmaciens qui font primer l’intérêt médical du patient sur le respect stricto sensu de la loi. Je pense ici, par exemple, à un pharmacien qui se trouve face à un patient, un samedi soir, avec une ordonnance de médicaments antalgiques que le médecin n’a pas remplie correctement. Impossible à ce moment-là de joindre le médecin pour faire rectifier l’ordonnance, et face à lui le pharmacien a un patient qui souffre. Alors que faire ? Ne pas délivrer et laisser un patient dans la détresse ? Ou faire primer l’intérêt médical ? La question mérite vraiment d’être posée », conclut Arnaud Cinturel.

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Plan de lutte contre les fraudes

Depuis deux ans, l’État a renforcé les effectifs de lutte contre la fraude et déployé de nouveaux outils informatiques. Ce Plan de lutte contre les fraudes comprend :

  • 1 500 agents supplémentaires dédiés à la lutte contre les fraudes sociales
  • 450 agents spécialement formés aux cyber-enquêtes
  • plus d’un milliard d’euros supplémentaires alloué à la modernisation des outils numériques de détection des fraudes
  • le durcissement des sanctions avec de nouvelles pénalités financières et une indemnité de 10 % des sommes perçues au titre de l’indu, en contrepartie des frais de gestion engagés par l’assurance maladie.