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Biosimilaires : la bataille de la substitution
Faire des biosimilaires une réalité économique pour l’officine suppose de lever plusieurs freins : autorisations réglementaires, blocages des prescripteurs, réticences de la patientèle. Sans campagne nationale pour soutenir la substitution, les pharmaciens sont contraints de mener seuls, au comptoir, une diplomatie de chaque instant.
Le cadre juridique ne favorise pas encore une diffusion fluide des biosimilaires. L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) impose un délai d’un an entre la fin du brevet d’un médicament biologique et l’autorisation effective de substitution. Une contrainte lourde pour des molécules qui ont déjà demandé 6 à 9 ans de développement et des investissements industriels allant de 90 à 200 millions d’euros.
Pour Frédéric Bizard, économiste de la santé, la réforme devrait aller plus loin : « Dès qu’un biosimilaire dispose de son autorisation de mise sur le marché, il devrait être substituable par le pharmacien. La France reste trop frileuse : elle bride un levier qui pourrait pourtant générer rapidement des économies et créer un nouveau relais de marge pour les officines. »
Le verrou des prescripteurs
Le deuxième obstacle est médical. De nombreux praticiens refusent encore de voir substituer un médicament biologique par son équivalent biosimilaire. Certains inscrivent explicitement « non substituable » sur leurs prescriptions, d’autres privilégient l’original par habitude ou par prudence face à des traitements complexes.
« Le problème est culturel autant que scientifique », souligne Laurent Keizer, directeur de la stratégie d’Healthy Group. « Beaucoup de médecins perçoivent encore les biosimilaires comme des produits de moindre qualité. Pourtant, leur efficacité et leur sécurité sont démontrées. »
Patients méfiants, explications indispensables
Même lorsque le médecin ne bloque pas la substitution, les pharmaciens se heurtent à la méfiance des patients, souvent âgés et attachés à leur traitement. « Il s’agit aussi de convaincre, de rassurer : la substitution d’un biosimilaire ne se décrète pas », insiste Laurent Keizer.
Les témoignages du terrain convergent : accepter un changement de traitement en cancérologie, en rhumatologie ou en ophtalmologie suppose du temps, de la pédagogie et de la répétition. « Le pharmacien doit assumer un rôle de référent technique et de garant de confiance », insiste Frédéric Bizard.
Une diplomatie de chaque instant au comptoir
Conscients de ces difficultés, certains groupements se sont mobilisés. Giphar a ainsi développé des modules de formation spécifiques et fourni des dispositifs factices pour expliquer aux patients le maniement des stylos ou des seringues.
« C’est une véritable diplomatie », décrit Jérôme Radiguer, directeur marketing du groupement. « Le pharmacien doit présenter les biosimilaires de façon claire et rassurante. Sans cet accompagnement, la substitution échoue. »
La comparaison avec les génériques est éclairante : ces derniers avaient bénéficié, au début des années 2000, d’une politique de communication nationale forte, couplée à des incitations conventionnelles. Rien de tel aujourd’hui pour les biosimilaires, dont l’acceptation repose presque exclusivement sur l’échange individuel au comptoir.
Un enjeu de formation continue
La complexité scientifique des biothérapies exige un haut niveau de compétence. Contrairement aux génériques, dont la délivrance ne nécessite pas d’explication particulière, les biosimilaires supposent de comprendre leur mécanisme d’action, leur processus de production et les modalités d’administration.
« Nous devons faire des pharmaciens les référents de ces produits », plaide Frédéric Bizard. Cela suppose un investissement massif en formation initiale et continue. Plusieurs groupements ont pris les devants, mais l’absence d’une politique publique structurée ralentit l’acculturation du réseau.
L’absence d’une stratégie nationale
Enfin, la diffusion des biosimilaires souffre d’un déficit de pilotage politique. Aucune campagne d’information nationale n’a été lancée à ce jour, ni pour les patients, ni pour les médecins, ni pour les pharmaciens. Cette carence contraste avec les ambitions affichées par le gouvernement, qui présente les biosimilaires comme un levier central pour compenser l’effondrement des marges génériques.
« Tout se joue au comptoir », résume Jérôme Radiguer. « Mais ce n’est pas soutenable que les officinaux portent seuls la responsabilité de cette pédagogie. Sans accompagnement institutionnel, l’adoption restera lente et inégale. »
Une bataille culturelle autant qu’économique
Au final, la substitution biosimilaire n’est pas seulement une question de réglementation ou de prix. Elle touche à la confiance entre médecins, pharmaciens et patients. Tant que cette confiance ne sera pas construite collectivement, la pénétration restera inférieure aux attentes.
Pour l’heure, les pharmaciens assument seuls le rôle d’ambassadeurs. Mais sans levée des blocages prescripteurs et sans relais national, la « bataille de la substitution » risque de se solder par des demi-victoires, insuffisantes pour rééquilibrer le modèle économique des officines.
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