À Cozzano, la première antenne officinale se bat pour recoller les morceaux du maillage rural

© Getty Images

À Cozzano, la première antenne officinale se bat pour recoller les morceaux du maillage rural

Publié le 3 juillet 2025
Par Christelle Pangrazzi
Mettre en favori

À Cozzano (Corse), l’antenne de la pharmacie Sainte‑Marie‑des‑Sichées fête sa première année. Retour avec Vivien Delpoux, titulaire et référent, sur les racines du projet, les difficultés concrètes rencontrées et les solutions envisagées. Un témoignage sans concession pour défricher un modèle encore fragile mais porteur d’avenir.

Un an après sa réouverture sous article 51, l’antenne officinale de Cozzano incarne les promesses et les fragilités d’un modèle encore en quête de reconnaissance. Entre isolement médical, lourdeurs réglementaires et attentes des patients, le pharmacien Vivien Delpoux livre un retour d’expérience sans fard sur ce dispositif censé retisser le lien de proximité en zone rurale.

Comment est né ce projet d’antenne ? Et pourquoi précisément sur ce territoire ?

La genèse du projet remonte à la fermeture de l’unique pharmacie de Cozzano en 2019, abandonnée faute de repreneurs pour des raisons strictement économiques. Dès lors, la collectivité locale a exprimé la volonté de rétablir un service de proximité. En hiver, les routes deviennent beaucoup plus difficilement praticables. La population vieillissante, ne disposait plus d’accès médical régulier. C’est dans ce contexte qu’a été sollicitée une expérimentation sous article 51, destinée à recréer ce qu’on appelle une antenne officinale. Le bassin potentiel concernait environ 1 500 habitants selon les études menées en amont.

Un an après l’ouverture, l’antenne a‑t‑elle trouvé sa place ? Quelle est sa fréquentation et la typologie de la patientèle ?

Absolument, l’antenne s’est intégrée de façon presque organique dans le quotidien des habitants. Au moment de la fermeture en 2019, nous avions mis en place un service de livraison journalier garantissant ainsi une continuité. Mais dès la réouverture de l’antenne, les patients ont immédiatement retrouvé les réflexes du présentiel : en période creuse, on compte en moyenne 45 passages par jour, qui grimpe à 80 durant l’été, un effet direct de la fréquentation touristique du GR20. À ce stade, le flux est majoritairement local, concentré sur le village de Cozzano, mais progressivement les villages alentours recommencent à se tourner vers l’antenne, malgré son ouverture actuelle limitée à une journée hebdomadaire dans le cadre de l’expérimentation.

Quels sont les principaux freins que vous avez rencontrés, notamment techniques, réglementaires, économiques et humains ?

La première difficulté a été logistique et technologique. Les logiciels officinaux ne sont tout simplement pas conçus pour gérer plusieurs sites : ils ne permettent pas la synchronisation des stocks entre la pharmacie principale et son antenne. Nous avons dû mettre en place un processus manuel pour double-saisir chaque mouvement de produit. Cela alourdit la charge de travail et augmente le risque d’erreur.

Le second obstacle a été administratif et réglementaire. Pour faire fonctionner l’antenne, il a fallu créer ex nihilo un statut appelé « pharmacien gérant d’antenne », avec une nouvelle Carte de Professionnel de Santé distincte de celle du titulaire. Ce changement a engendré de réels blocages : les concentrateurs, caisses et mutuelles ont rejeté de nombreuses télétransmissions, générant des refus de Feuilles de Soins Électroniques et des indus non identifiés. Bien que le dispositif Sésam-Vitale prévoie un bonus de 0,05 €/FSE pour les antennes, le système s’est révélé fragile dès lors qu’on sortait du cadre standard, rendant les relations avec les caisses complexes et peu fiabilisées.

Publicité

Le troisième frein touche à la temporalité : l’antenne a été relancée quatre ans après la fermeture de la pharmacie historique. Ce délai a dilué l’attachement à un service de proximité. Les patients s’étaient déjà réorganisés, certains s’étaient tournés vers la livraison ou des consultations hors zone, et les élus, au fil du temps, s’interrogeaient sur la pertinence d’un retour tardif. Or les textes, notamment la loi ASAP (2020) renforcée en 2023, insistent sur l’ouverture rapide d’une antenne après la fermeture pour garantir la continuité territoriale. Ce décalage a donc freiné l’appropriation du service.

A contrario, quels bénéfices retirez-vous aujourd’hui de cette antenne, sur les plans économique, territorial et d’accès aux soins ?

Si l’on considère l’antenne d’un point de vue strictement économique, je dois être franc : le bilan est pour l’instant neutre, voire nul. Les coûts induits double gestion des stocks, charges fixes, temps dédié pèsent lourd face à un chiffre d’affaires encore modeste. Toutefois, sur le plan territorial et humain, les retombées sont indiscutables. La réouverture a permis de raviver la relation patient pharmacien que le service par livraison avait émoussée. Pour de nombreux habitants, surtout les personnes âgées ou isolées, l’antenne est devenue une bouffée de confiance : remettre des noms sur des visages, échanger en direct, renouer un dialogue interrompu. Nous constatons par ailleurs que des usagers venus jusqu’à Ajaccio ou Bastia pour des soins ou des médicaments redécouvrent Cozzano, parfois le temps d’une simple ordonnance. La dimension relationnelle et la ressource locale que représente cette antenne sont ses plus grands avantages.

Vous évoquez un problème médical. Pouvez‑vous développer ce sujet ?

Nous avons vécu un retournement brutal du paysage médical local. Lors de la fermeture de la pharmacie en 2019, Cozzano était encore desservie par deux médecins. Aujourd’hui, il n’en reste plus qu’un, avec des modalités de consultation peu compatibles avec l’horaire de l’antenne. À plusieurs reprises, les patients ont fait le déplacement pour récupérer une ordonnance ou poser des questions, pour se heurter à l’absence de praticien disponible. Cette dissonance crée un effet de série : sans médecin à proximité, l’antenne officinale ne peut pas remplir pleinement sa mission. Il est devenu indispensable, pour les futures antennes, d’instaurer une coordination réelle entre pharmaciens et médecins, tant sur le plan géographique que fonctionnel.

Recommanderiez‑vous à un confrère d’ouvrir une antenne officinale et dans quelles conditions cela fonctionnerait ?

Oui, je le recommanderais, à la condition qu’un certain nombre de critères soient réunis. L’antenne doit s’appuyer sur une officine principale toujours en activité, ou fermée très récemment, afin de bénéficier d’une relation encore fraîche avec les patients. Il faut un pharmacien gérant, détaché, avec une CPS propre, pour sécuriser le fonctionnement administratif et éviter les confusions tarifaires. Autre point important : anticiper la synchronisation logistique : logiciels, stock, organisation. Surtout, une convention doit être signée avec un médecin local : sans cela, l’antenne se limite à la dispensation sans permettre un réel parcours de soins. Enfin, tout doit s’articuler autour d’une dynamique partenariale incarnée par les élus, les ARS, les caisses et la profession.

Voir notre espage Spécial maillage

Sur le même sujet…
UDGPO : « Le tout honoraire serait un suicide pour la profession »
Les baisses de TFR et de prix annulées dix jours après leur entrée en vigueur
Génériques : « À présent aux industriels de jouer le jeu »