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Pourquoi la réforme du système de santé passera par les pharmaciens
Le 20 septembre, lors du congrès du groupement Giphar qui s’est déroulé à Marseille (Bouches-du-Rhône), Frédéric Bizard a livré un diagnostic sans concession : le système de santé français vit ses dernières heures sous sa forme actuelle. Devant un parterre de pharmaciens, l’économiste a détaillé les mutations qui rendent la transformation inévitable et le rôle fondamental que doivent jouer les officines pour réussir cette refonte.
La France fait face à une convergence inédite de trois transformations structurelles qui remettent en cause les fondements même de son système de santé. D’abord, la transition démographique : en quinze ans, la part des plus de 60 ans est passée de 20 % à 27 % de la population, avec une projection à 33 % en 2050. Cette bascule génère une « épidémie » de pathologies chroniques : 13 millions de Français sont aujourd’hui en affection de longue durée (ALD), soit plus de quatre fois le nombre de 1980, avec 400 000 nouveaux patients chaque année.
Parallèlement, la mutation sociétale transforme la nature même du rapport à la maladie. Celle-ci n’est plus un épisode ponctuel mais s’inscrit désormais dans un continuum chronique exigeant des parcours de soins orchestrés parfois sur plusieurs décennies. Or, l’architecture sanitaire française demeure prisonnière d’une logique d’offre fragmentée, incapable d’assurer cette coordination longitudinale.
Enfin, l’accélération technologique révèle un paradoxe français majeur : malgré l’accumulation d’innovations médicales et numériques, le système échoue à capter ces gains de productivité. La relative stagnation de l’espérance de vie, 85,6 ans pour les femmes en 2024 contre 83,8ans en 2005, et la persistance d’un écart de treize années d’espérance de vie entre les déciles socio-économiques extrêmes témoignent de cette inefficience systémique.
L’équation budgétaire impossible : du tonneau des Danaïdes à l’impasse financière
Au-delà de ces tensions structurelles, l’arithmétique budgétaire révèle une impasse. Avec 22 milliards d’euros de déficit en 2025, la Sécurité sociale illustre ce que Frédéric Bizard qualifie de « tonneau des Danaïdes budgétaire ». Contrairement à la dette souveraine, la dette sociale transforme chaque injection de moyens en palliatif temporaire sans effet curatif sur la trajectoire financière.
Cette inefficience masque une allocation de ressources dysfonctionnelle : près de la moitié des financements continuent d’irriguer un secteur hospitalier en crise structurelle, tandis que l’ambulatoire et la prévention, véritables leviers de transformation du système, demeurent chroniquement sous-financés.
Refonder la gouvernance : de la bureaucratie centralisée à l’intelligence territoriale
Face à cette impasse, Frédéric Bizard plaide pour une révolution institutionnelle articulée autour de trois échelons complémentaires. Au niveau territorial, il propose de substituer aux agences régionales de santé, jugées trop distantes et technocratiques, environ 300 territoires de santé de 200 000 habitants. Ces bassins de vie auraient vocation à évaluer les besoins populationnels et hiérarchiser les priorités locales, restaurant l’intelligence du terrain dans la planification sanitaire.
L’échelon national verrait naître un « CDC français », agence consolidée de santé publique capable de planifier sur le temps long en fusionnant les structures existantes. Parallèlement, la réintégration des décisions sanitaires au niveau préfectoral assurerait un pilotage de proximité indispensable à l’efficacité opérationnelle.
Enfin, la création d’un conseil de l’Assurance maladie, rassemblant praticiens et représentants des professions de santé, rééquilibrerait le pouvoir administratif au profit de l’expertise de terrain. Cette architecture s’inscrirait dans une logique de programmation quinquennale, à l’image du modèle militaire, avec des objectifs hiérarchisés et des budgets fléchés.
L’officine, pivot de la transformation : du comptoir au parcours de santé
Dans cette reconfiguration, l’officine acquiert une centralité stratégique inédite. Face aux 13 millions de patients en ALD, les pharmaciens sont appelés à endosser le rôle de « référents pharmacologiques naturels » des malades chroniques, assumant des missions élargies de suivi thérapeutique, d’éducation et de prévention.
Cette évolution peut emprunter deux voies organisationnelles : le modèle du pharmacien généraliste de parcours, polyvalent dans la prise en charge des pathologies chroniques et le maintien en bonne santé, ou celui de l’officine spécialisée sur des segments ciblés. Dans tous les cas, cette transformation nécessite une contractualisation formelle via des contrats de parcours thérapeutiques assortis d’une rémunération repensée.
Le levier économique de la substitution : 4,5 milliards d’euros en jeu
Au-delà de sa mission clinique élargie, l’officine détient un levier économique déterminant avec la politique de substitution. Avec 50 % de pénétration pour les génériques et biosimilaires, la France accuse un retard considérable face aux standards internationaux, 80 % en Allemagne, 90 % aux États-Unis.
Le potentiel est substantiel : si les génériques génèrent actuellement 1,5 milliard d’euros d’économies annuelles et les biosimilaires 700 millions, une politique volontariste sur ces deux groupes libérerait 4,5 milliards d’euros d’ici 2030.
Encore faut-il lever les obstacles réglementaires : délais excessifs de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) pour les autorisations de substitution sur les biosimilaires, maintien du « non substituable » médical, prix de cession trop bas fragilisant l’ensemble de la chaîne de valeur, et dispositifs inadaptés comme le récent décret sur les remises commerciales- « théoriquement cohérent mais pratiquement intenable ».
Du paradigme comptable à la logique d’investissement
Cette transformation appelle un changement philosophique radical : abandonner la logique purement comptable pour embrasser une approche d’investissement en santé. Les économies générées par la substitution ne doivent plus se diluer dans l’enveloppe globale mais être fléchées vers des priorités stratégiques : accès accéléré à l’innovation thérapeutique, consolidation du maillage officinal, renforcement des dispositifs préventifs.
L’heure des choix historiques
L’appel de Frédéric Bizard aux pharmaciens est sans équivoque : la réforme est inéluctable, et sa réussite conditionnée à leur engagement. En tant que référents thérapeutiques des patients chroniques et acteurs clés de la substitution, les officines possèdent des leviers décisifs pour cette transformation systémique.
L’enjeu transcende la simple adaptation professionnelle : il s’agit pour les pharmaciens de s’ériger en architectes d’un modèle refondé, capable d’articuler maîtrise budgétaire, innovation thérapeutique et équité territoriale. Cette ambition demeure « à portée de main si les acteurs se mobilisent », mais elle exige de dépasser définitivement le statut d’exécutant pour endosser celui de concepteur du système de santé du XXIe siècle.
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