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Pourquoi la baisse des remises génériques peut-elle mettre en péril le maillage territorial ?
La France compte désormais moins de 20 000 officines. Une baisse continue, sur fond de tensions financières croissantes. Dernier choc en date : la perspective d’un abaissement du plafond de remises commerciales sur les génériques, qui assure aujourd’hui une part déterminante de la rentabilité des officines.
Cédric Arcos, chef du pôle santé au cabinet du Premier ministre, a confirmé la libéralisation des remises sur les biosimilaires. Mais sans revalorisation globale. Autrement dit : les hausses envisagées devront se faire à enveloppe constante, donc au détriment des génériques. Pour les syndicats, la ligne rouge est franchie.
« Ces remises sont un des piliers de notre rémunération. Nous estimons que 20 à 30 % des pharmacies seraient vouées à disparaître si le plafond venait à baisser », alerte Julien Chauvin, président de la commission études et stratégies économiques de la FSPF.
« C’est l’équivalent du salaire d’un adjoint pour chaque officine. Diminuer les remises serait extrêmement problématique, surtout avec l’inflation des charges », renchérit Guillaume Racle, élu au bureau national de l’USPO.
Les génériques : levier vital de rentabilité
Depuis plus de 25 ans, les génériques soutiennent l’économie officinale. L’article 66 de la LFSS pour 2020 a consolidé cette dynamique en conditionnant le remboursement du patient au tarif du générique en cas de refus de substitution sans justification médicale. Une mesure qui a permis de maintenir un taux de substitution stable autour de 84 %.
En 2023, les pharmaciens ont intensifié leurs efforts, atteignant un taux moyen de 85,3 % selon Gers Data. Deux molécules tombées récemment dans le domaine public, le rivaroxaban (Xarelto) et l’association atorvastatine-ézétimibe (Liptruzet), ont été particulièrement performantes, avec des taux de pénétration de 89,6 % et 81,6 %, générant un chiffre d’affaires respectif de 243 et 186 millions d’euros.
D’autres génériques comme ceux du dabigatran (Pradaxa), de la desmopressine (Minirinmelt) ou du bosutinib (Bosulif) ont été moins massifs, mais ont tout de même généré des marges supplémentaires.
« Certaines pharmacies atteignent des taux de substitution de 92 %, voire 94 %. Ce delta peut représenter jusqu’à 18 000 € de marge annuelle. Ce n’est pas anodin », souligne Guillaume Racle.
Des remises qui s’effritent
Malgré un plafond réglementaire fixé à 40 %, les remises négociées sur les génériques s’érodent. En pratique, la moyenne pondérée tourne autour de 28,5 %. Et en cas de rupture, les pharmaciens doivent se tourner vers des laboratoires avec lesquels aucun accord n’a été établi. « Les génériqueurs revoient leurs conditions régulièrement à la baisse. Ce recul fragilise les marges », constate Guillaume Racle. Cette tendance affecte l’ensemble du réseau. Les génériques représentent plus de 52 % des boîtes vendues en France (source Drees). Leur rentabilité constitue un socle économique. Or ce socle est aujourd’hui menacé. « Si ces remises venaient à être réduites sans compensation, une réelle menace pèserait sur l’économie officinale, et donc sur le maillage territorial », prévient Patrick Bordas, associé chez Rydge Conseil, auteur d’une thèse sur l’évolution normative de la pharmacie française.

L’Assurance maladie face à une équation impossible
À enveloppe constante, l’arbitrage devient inévitable. Faut-il réduire les remises sur les génériques pour soutenir celles des biosimilaires ? Le taux de substitution générique est déjà très élevé. La Rosp et les remises ont rempli leur mission. Dès lors, l’Assurance maladie pourrait juger l’incitation moins nécessaire. « Il paraît légitime de se demander si le maintien de ces réductions reste justifié. Si elles baissent, la substitution en pâtira-t-elle ? A priori, non », analyse Patrick Bordas.
Biosimilaires : le relais encore fragile
Dans les officines, l’idée que les biosimilaires puissent compenser à court terme la perte des remises génériques ne convainc pas. « Assurément non ! Une remise biosimilaire ne vaut pas une remise générique. En 2030 peut-être, mais aujourd’hui, les neuf spécialités substituables n’arrivent pas à la cheville des génériques », tranche Julien Chauvin. La montée en puissance prendra du temps. « Les remises génériques sont passées de 2,5 % en 1998 à 40 % en 2014. Le basculement devra être tout aussi progressif pour ne pas affaiblir les pharmacies. Et tout dépendra de la répartition des volumes, des prescripteurs, et des territoires », analyse Patrick Bordas.
Des disparités territoriales à anticiper
La diffusion des biosimilaires ne sera pas homogène. Elle dépendra des bassins de prescription spécialisés — hôpitaux, cliniques, cabinets de spécialistes. Les zones rurales ou moins médicalisées pourraient être moins exposées, donc moins bénéficiaires. « Les prescripteurs sont concentrés dans certains territoires. Les renouvellements se feront bien en pharmacie de proximité, mais la montée en charge sera lente », explique Julien Chauvin.
Substituer ne suffira pas : il faudra convaincre
Dans un contexte où les volumes sont encore limités, la réussite de la substitution biosimilaire reposera sur la capacité des équipes officinales à convaincre les patients. « Il ne faudra pas rater le coche ! Le discours devra être expert, rassurant, personnalisé. Proposer un stylo auto-injecteur à un patient arthrosique, plutôt qu’un modèle à bouton-poussoir, c’est aussi cela la substitution intelligente », défend Guillaume Racle. « La formation et l’implication des équipes seront clés. Un accompagnement de qualité renforcera l’adhésion aux traitements », ajoute Mehdi Djilani, président de Totum Pharmaciens.
Diversifier les revenus pour préserver le maillage
À court terme, la baisse des remises sur les génériques pénaliserait d’abord les petites officines. Moins diversifiées que les grandes, elles disposent de peu de leviers pour compenser une perte de marge. « Il faut imaginer d’autres modèles. Au Québec, les pharmacies peuvent vendre une gamme élargie de produits, ce qui leur permet de rester des points d’ancrage dans la ruralité », propose Patrick Bordas. La viabilité économique du réseau officinal ne peut être dissociée de son rôle de service public de proximité. C’est à cette condition que le maillage territorial pourra continuer à garantir l’accès aux soins pour tous.


Des Assises pour agir sur l’avenir du maillage pharmaceutique
L’homogénéité de la répartition démogéographique des officines est l’un des piliers du modèle pharmaceutique français. Présentation d’un livre blanc riche de propositions pour optimiser la présence des officines sur le territoire au service des patients, étude de projection économique pour évaluer les conséquences d’une dérégulation… Les Assises du maillage pharmaceutique, organisées par Le Moniteur des pharmacies se dérouleront le 24 juin 2025 à l’Institut Pasteur (Paris).
Pour participer à cette initiative concernant l’ensemble des acteurs (officinaux, syndicats, groupements, grossistes-répartiteurs, industriels du médicament, collectivités locales, payeurs publics et privés, prestataires bancaires, etc.), l’inscription est gratuite.
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