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Pénuries : pourquoi la situation risque de s’aggraver
Psychotropes, antidiabétiques, laxatifs… : sur le terrain, les ruptures continuent de gripper la dispensation. Les pharmaciens livrent un même constat : la situation reste dégradée et l’effet des baisses de prix à venir pourrait ajouter un étage à la crise.
« Non, ça ne va pas mieux », pose d’emblée Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officines (USPO). Antidépresseurs, quétiapine : « il y a toujours des soucis ». À l’officine, Dexeryl est « en rupture partout », la venlafaxine reste erratique ; Diamox est disponible selon les grossistes, sans garantie de continuité.
Même lecture chez Fabrice Camaïoni, vice-président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) : « Je ne vois pas d’amélioration, très sincèrement. Sur les psychotropes, c’est toujours le bazar, notamment aux dosages 300 et 400 mg de quétiapine. »
Préparations magistrales : un palliatif chronophage
Face aux trous d’approvisionnement, « l’alternative, c’est la préparation magistrale », poursuit Fabrice CamaÏoni. Utile, mais coûteuse en ressources : « C’est énormément de temps pour gérer ce type de problème », auquel s’ajoute le temps passé « à chercher des solutions hors préparation, à changer de molécules, etc. » Résultat : « Je n’arrive pas à avoir trois ordonnances d’affilée sans problème. »
Antidiabétiques, laxatifs, flux tendus
Au-delà des psychotropes, Fabrice Camaïoni décrit « des tensions sur des antidiabétiques », citant le sémaglutide et ses génériques : « Je ne vois plus ni le princeps ni les génériques. » Même signalement sur les laxatifs à base de macrogol : « Personne n’en a, alors qu’une dizaine de laboratoires en commercialise. »
Substitutions en cascade et risque de mésusage
Dans les tiroirs, la réalité quotidienne se voit d’un coup d’œil : « Deux, trois boîtes de la même molécule mais de laboratoires différents… On passe notre temps à trouver ce qui est dispo. » Cette variabilité n’est pas neutre : « Certains patients se repèrent à la boîte, aux couleurs. Il peut y avoir des mésusages involontaires. » D’où une vigilance renforcée pour les personnes âgées : « Je demande si une infirmière prépare le pilulier. Quand c’est le cas, je suis un peu rassuré. »
Antibiotiques : consommation en baisse, vigilance maintenue
Côté antibiotiques, le tableau est plus nuancé. Pierre-Olivier Variot constate : « Pour l’instant, ça va. » Fabrice Camioni complète : « Les ruptures de 2022-2023 ont probablement modifié les pratiques ; on prescrit moins. La production est là, mais les ordonnances aussi ont baissé. » Prudence toutefois sur certaines classes : « Amoxicilline, ça devrait aller ; attention aux macrolides, à d’autres molécules. »
Effet prix : « on peut craindre une aggravation »
Sur l’impact des mesures économiques, l’avis des deux responsables convergent. Pierre-Olivier Variot : « Ce n’est pas la baisse du plafond des remises qui jouera sur les pénuries, mais les futures baisses de prix du 18 septembre prochain. » Le Comité économique des produits de santé devrait, en effet, annoncer des baisses conséquentes : « 50 M€ entre novembre et décembre prochains, du jamais vu ! », s’insurge Pierre-Olivier Variot.
Fabrice Camioni abonde : « On peut craindre que les baisses de prix aggravent les ruptures. On nous dit que le prix n’est pas un facteur, mais quand un accord de prix bloque, le médicament n’est pas disponible en France. » Il cite l’exemple du vaccin antigrippal : « L’an dernier, un produit n’a pas été commercialisé pour un problème de prix. »
Équation économique du réseau : « 800 à 850 M€ de pertes »
Pour l’USPO, la trajectoire est intenable : « entre les pertes liées au plafonnement des remises, celles corrélées aux baisses de prix, sans parler du manque à gagner induit par les changements de conditions commerciales en nous obligeant à changer de génériqueurs à cause des ruptures : le réseau va s’effondrer », calcule Pierre-Olivier Variot.
La FSPF parle de « triple peine » : « Le prix baisse : moins de marge. Les remises diminuent : moins de compensation. Et, dans certains cas, on n’a plus le médicament. »
Répartition des stocks : disparités et pratiques locales
Autre point noir pour Fabrice Camioni : « La répartition territoriale des stocks ». Des zones restent à sec quand d’autres disposent de boîtes : « Ça peut venir des répartiteurs, des ventes directes des labos réservées à certaines pharmacies. » Et des pratiques locales subsistent : « Lors de la tension sur le paracétamol, certains grossistes ont semblé privilégier des clients. Comment expliquer au patient qu’il n’y a rien ici quand la ville voisine est servie ? »
Ce que demandent les syndicats
Aujourd’hui, selon les représentants de pharmaciens, la priorité reste « de faire sauter l’arrêté » qui plafonne les remises : « On ne développera pas de nouvelles missions si on détruit les fondations économiques », prévient Pierre-Olivier Variot. La FSPF, de son côté, plaide pour une refonte des mécanismes de prix : « Le système actuel (négociations de prix, clauses de sauvegarde, rétrocessions) manque de transparence et n’est pas efficace. Les industriels arbitrent vers les pays mieux valorisés. »
Serrer les dents, oui mais jusqu’à quand ?
En attendant les futures réunions avec les cabinets ministériels, les officines continueront, faute de mieux, d’absorber : substitutions, préparations magistrales, pédagogie patient… jusqu’à quand ?
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