La livraison des mesures antipénuries tarde

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Publié le 18 novembre 2023
Par Magali Clausener
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Le 10 novembre 2023, lors d’une réunion sur les difficultés d’approvisionnement en médicaments, le ministre de la Santé et de la Prévention a demandé la rédaction d’une charte d’engagement et de bonnes pratiques pour tous les acteurs de la chaîne. En attendant la feuille de route de lutte contre les pénuries promise en juin 2023. Des solutions qui, concrètement, ne soulagent pas les pharmaciens au quotidien.

 

Combien de temps encore les pharmaciens vont-ils pouvoir continuer à faire face ? Le 10 novembre 2023, le ministre de la Santé et de la Prévention, Aurélien Rousseau, a réuni tous les acteurs de la chaîne du médicament (industriels, grossistes-répartiteurs, pharmaciens), l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et les associations de patients. L’objectif ? Faire le point sur les stocks d’amoxicilline et trouver des solutions afin d’anticiper les tensions d’approvisionnement, notamment en cas d’épidémies de pathologies hivernales (grippe, bronchiolite, etc.).

 

Un sujet qui a fortement agacé Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), trois jours auparavant lors des Amphis de l’officine consacrés notamment au DP-Ruptures. « Cela fait un an et demi que l’on travaille à l’élaboration d’une feuille de route de lutte contre les pénuries de médicaments, avec l’organisation de réunions hebdomadaires, et il n’est pas concevable que l’on ait une réunion à l’automne 2023 pour expliquer l’état des lieux, a déclaré Philippe Besset. Nous attendons maintenant des décisions publiques et pas des demandes d’éclaircissements sur un dossier sur lequel nous travaillons depuis un an et demi et qui a fait l’objet d’un rapport parlementaire [rapport du Sénat de juillet 2023, NdlR]

Une charte d’engagement

 

Effectivement, le 10 novembre, aucune feuille de route n’a été présentée alors qu’elle était prévue pour juin 2023. En revanche, Aurélien Rousseau a demandé à l’ANSM et à l’Ordre des pharmaciens (sa présidente Carine Wolf-Thal participant aussi à la réunion) d’élaborer une charte d’engagement et de bonnes pratiques pour la commande et la distribution des médicaments sous tension. Il s’agit d’assurer un meilleur approvisionnement des officines et, in fine, des patients. « Le ministre met la pression car il y a deux mois à passer et si des épidémies se déclarent, cela risque d’être difficile », souligne Fabrice Camaioni, vice-président de la FSPF, qui représentait le syndicat le 10 novembre. De fait, l’ANSM et l’Ordre ont une dizaine de jours pour rédiger cette charte et la soumettre à toutes les parties prenantes. Le ministre a en effet prévu une nouvelle réunion vers le 22 novembre.

 

Cette charte doit permettre d’attendre janvier 2024 et la mise en œuvre de pouvoirs étendus de l’ANSM après l’adoption du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2024. L’article 33 prévoit en effet d’autoriser le directeur général de l’ANSM « à décider de mesures de police sanitaire visant à garantir un approvisionnement approprié et continu en cas de rupture ou risque de rupture de vaccins ou de médicaments d’intérêt thérapeutique majeur ». Concrètement, l’ANSM pourra limiter voire suspendre les ventes faites directement aux officines et contraindre les laboratoires à les réaliser uniquement avec les grossistes-répartiteurs pour une durée limitée à la période de tension.

Des ventes directes qui explosent

 

Les ventes directes ont de fait explosé. La Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique (CSRP) a observé, sur les huit premiers mois de 2023, une augmentation de 31,70 % versus 5,37 % en 2022 pour les médicaments référents et de 15,10 % versus 2,27 % en 2022 pour les génériques. Les pharmaciens tentent désespérément de trouver des solutions pour délivrer leurs traitements aux patients. Commander directement au laboratoire et constituer des stocks est l’une des solutions qui s’offrent. Ce qu’a d’ailleurs taclé Aurélien Rousseau en affirmant le 3 octobre, puis le 31 octobre, que « certaines grosses pharmacies » avaient créé des « surstocks ». « C’est humain de vouloir disposer d’un stock de précaution. Pour savoir s’il s’agit de surstock, il faut analyser les dérives de stocks, c’est-à-dire voir si les ventes de l’officine correspondent à son stock », explique David Syr, directeur exécutif de Cegedim Pharma.

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Les syndicats mettent d’autres phénomènes en avant. Certains génériqueurs pratiquent les flux poussés. « Je reçois un e-mail m’annonçant que l’on va m’adresser tel médicament mais je découvre les quantités livrées. Certes, le génériqueur se fonde sur mes ventes passées, mais cela signifie que les petites officines obtiennent moins, voire rien. C’est ce que j’ai expliqué au ministre », relate Fabrice Camaioni. Un point également évoqué par Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), qui n’a pas hésité à montrer au ministre des courriels de laboratoires avertissant les pharmaciens que des médicaments allaient être en tension d’approvisionnement et les incitant à commander de un à trois mois de stock. Celui-ci a, de plus, mis en cause lors de la réunion certains logiciels de gestion officinale qui commandent automatiquement des médicaments sans l’accord du pharmacien.

 

Mais ce sont les stocks détenus par les industriels qui représentent le vrai problème pour les pharmaciens. Selon l’ANSM, en ce qui concerne l’amoxicilline, les industriels ont entre deux et trois mois et demi de stocks, les grossistes-répartiteurs aucun stock et les pharmacies entre trois et sept jours, y compris pour l’amoxicilline buvable 500 mg. « Les médicaments doivent être mis immédiatement à disposition des patients et, par conséquent, aux officines. Il est inadmissible d’entendre, comme cela a été le cas pendant la réunion, que certains laboratoires conservent les stocks pour être en conformité avec la législation et ne souhaitent pas les libérer car ils sont incapables de les reconstituer. Cet aveu témoigne du cynisme envers les patients et les officines », explique Pierre-Olivier Variot dans une lettre de son syndicat diffusée le 11 novembre. Une demande entendue par le ministre qui s’est engagé à ce que les laboratoires ne soient pas sanctionnés s’ils doivent libérer les produits gardés en réserve.

Une feuille de route bientôt ?

 

Cela sera-t-il suffisant ? Car la réunion du 10 novembre était focalisée sur l’amoxicilline. « Ce n’est qu’un épiphénomène par rapport au nombre de molécules en rupture », souligne le président de l’USPO. Or, le nombre de pénuries a été multiplié par 30 au cours des 10 dernières années, selon le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (Cnop). Et d’après le Gers Data, on dénombrait plus de 1 500 ruptures de médicaments remboursables la semaine du 2 octobre, après un pic à près de 2 000 spécialités celle du 14 août. « S’il peut exister des disparités de distribution lorsque les stocks existent, beaucoup de ruptures sont liées à un manque de disponibilité. Seule une feuille de route ambitieuse pourra s’attaquer aux causes profondes des ruptures et rassurer les patients et les pharmaciens », déclare Carine Wolf-Thal dans un communiqué en date du 13 novembre. La présidente pense que cette feuille de route devrait être « prochainement lancée par les autorités ».

 

En effet, malgré les différentes mesures annoncées en février 2023 (plan hivernal, plan blanc du médicament, hausses de prix de certaines spécialités, etc.), et même si certaines se sont concrétisées (voir « Repères » p. 17), les pharmaciens restent confrontés aux problèmes d’approvisionnement de produits de santé. La charte de bonnes pratiques ne pourra pas « couper le mal à la racine ». Un mal dont les pharmaciens ont plus qu’assez. Leurs patients aussi.

       
 
 
 

Ruptures de médicaments : l’une des causes de la mobilisation du 21 novembre

Le mardi 21 novembre 2023, la profession et les étudiants veulent faire entendre leur voix notamment en interpellant les patients par voie d’affiche et de pétition. Si les raisons principales de cette mobilisation sont une date encore non fixée pour l’ouverture de la négociation sur l’économie officinale avec l’Assurance maladie et une réforme du 3e cycle des études de pharmacie toujours pas actée, les syndicats et les groupements mettent aussi en exergue les ruptures d’approvisionnement en médicaments. « Les pénuries de médicaments et le manque de bras sont les premiers éléments qui inquiètent les pharmaciens, ainsi que la charge de travail que la gestion des tensions d’approvisionnement implique », expliquait déjà Philippe Besset, président de la FSPF (voir Le Moniteur des pharmacies n° 3484 du 21 octobre 2023). La gestion de ces ruptures représente en effet 12 heures de travail par semaine supplémentaire, soit une charge salariale de 25 000 € par an.

À retenir

– Afin de lutter contre les pénuries de médicaments, le ministre de la Santé a demandé à l’ANSM et à l’Ordre l’élaboration d’une charte de bonnes pratiques pour mieux distribuer les produits de santé en tension d’approvisionnement.

– En janvier 2024, l’ANSM pourrait forcer les industriels à arrêter les ventes directes et à passer par le circuit des grossistes-répartiteurs.

– Les ventes directes ont en effet explosé mais, dans le même temps, ce sont les industriels qui détiennent des mois de stocks et ne les libèrent pas.