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Faudrait-il territorialiser les missions officinales ?
À l’heure où les missions des officinaux se développent et se diversifient, la question de l’adaptation aux réalités et besoins locaux se pose. Entre une accélération possible de l’expérimentation et du développement de nouvelles missions et le risque d’accentuer la disparité d’accès aux soins, l’organisation territoriale des missions officinales fait débat.
Alain Guilleminot, Grégory Tempremant et Lucie Bourdy-Dubois, pharmaciens titulaires engagés, livrent leurs visions croisées sur cette évolution stratégique du métier.
Alain Guilleminot

« Je suis « pro-territorialisation », « pro-régionalisation » du système de santé. Les unions régionales des professionnels de santé (URPS) sont, en quelque sorte, le département recherche et développement de la profession. Les régions sont l’échelon adapté pour des expérimentations de grande envergure comme Iatroprev 2, qui est lancée dans le prolongement d’Iatroprev, déployée dans les Hauts-de-France, et d’Octave en Bretagne et dans les Pays de la Loire. Il n’y a pas de spécificité régionale à l’expérimentation sauf à y trouver ses initiateurs et des professionnels pour la porter. Ces deux expérimentations de type « article 51 » sont déjà entrées dans les pratiques de professionnels dans le nord et l’ouest de la France.
La territorialisation se construit dans l’interprofessionnalité. Elle est amplifiée avec le déploiement des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), qui ne fonctionnent pas toujours de manière optimale mais qui ont le mérite de mettre en lien les professionnels du terrain. Elles sont le relais des tests lancés par les URPS, comme pour le projet Icope visant à détecter la fragilité chez les personnes âgées. Plusieurs CPTS s’en sont emparés.
Si les voies conventionnelles, législatives et réglementaires permettent des évolutions immédiates, notre travail d’expérimentation s’effectue sur un plus long terme et sur des parcours de patients souvent complexes. Des protocoles d’expérimentation adaptés aux territoires pourraient se mettre en place de manière souple et fluide en rapprochant véritablement deux échelons, celui des agences régionales de santé (ARS) et celui des caisses primaires d’assurance maladie (CPAM). C’est au niveau de ces deux entités également que des initiatives pourraient être prises en leur donnant davantage de marges de manœuvre. Comme d’autoriser la vaccination contre le chikungunya là où il y a un risque avant même que la maladie n’y soit déclarée. De même, nous pourrions nous lancer rapidement dans la vaccination contre la méningite à méningocoques en officine après la multiplication de cas récents en Loire-Atlantique. Ce sont aussi les ARS et les CPAM qui pourraient attribuer des dotations supplémentaires à certaines officines pour assurer un service de santé publique là où elles estimeraient qu’il est indispensable. C’est le modèle du coefficient de majoration qui s’applique dans les départements d’outre-mer et aussi en métropole, sur l’île d’Yeu (Vendée) et Belle-île-en-Mer (Morbihan). »
Grégory Tempremant

« L’échelon régional peut être le creuset d’expérimentations. C’est ainsi que, dans les Hauts-de-France, l’union régionale des professionnels de santé (URPS) a lancé, en 2019, le dépistage ciblé du risque cardiovasculaire en officine dans le bassin minier du Nord. Désormais, cette action est généralisée à toute la région. Les agences régionales de santé (ARS), qui nous accompagnent dans ces expérimentations, sont des organes déconcentrés de l’État mais pas décentralisés. Il faudrait aller plus loin dans cette décentralisation pour pouvoir expérimenter davantage.
De nos jours, certaines missions s’inscrivent dans une logique de territoire pour répondre à un besoin circonscrit à une zone géographique. Ce fut le cas lorsqu’avec l’ARS il a fallu désigner les officines pour vacciner contre le virus Mpox. La vaccination contre le chikungunya sur l’île de La Réunion ou l’implication dans le retrait de tiques dans certaines régions particulièrement exposées traduisent aussi une approche territoriale.
Dans les faits, les pharmacies proposent l’une ou l’autre des missions en fonction des spécificités territoriales et des besoins des populations. Ces activités s’adressent à toutes les officines et il est important qu’un maximum d’entre elles puissent s’en emparer. Cela ne peut se faire qu’en adoptant une stratégie d’accompagnement au changement comme dans les grandes entreprises. En revanche, il ne faudrait pas chercher à réguler les propositions des pharmacies. Cela pourrait s’apparenter à une distorsion de concurrence. Et si, par exemple, au sein d’une communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS), certaines officines décident de prendre en charge des missions que d’autres ne pratiquent pas, on pourrait se heurter au libre choix du patient et on prendrait le risque du compérage.
Les spécificités d’un territoire sont prises en compte dans le projet de santé d’une CPTS. Cependant, il ne faudrait pas ajouter aux inégalités territoriales d’accès au soin qui existent déjà. Une CPTS qui pouvait proposer un protocole de coopération sur la cystite dans une commune et pas dans une autre qui était voisine, cela me posait problème. La CPTS peut être le cadre de la mise en place de protocoles locaux. Mais ce cadre est encore trop complexe et rigide. Il faudrait un système plus souple qui ne dépende pas de la délégation de tâches mais de la valorisation des compétences. »
Lucie Bourdy-Dubois

« Il est important que le patient puisse bénéficier, où qu’il se trouve, d’un niveau de service équivalent en pharmacie. Afin d’encourager le déploiement des missions dans les zones sous-dotées, nous pourrions envisager d’instaurer un coefficient de majoration pour revaloriser les honoraires et les services et ainsi rendre ces territoires plus attractifs. C’est ce qui se fait déjà en outre-mer. Mais il ne serait pas souhaitable d’aller plus loin et de réglementer ou de donner des directives sur la mise en place de missions en pharmacie en fonction des besoins des territoires. Les officines elles-mêmes sont attentives à ces besoins. Elles doivent pouvoir s’emparer de ces missions si elles disposent des ressources pour les mener à bien. C’est une question de choix. Il n’y a rien à leur imposer. Cela n’empêche pas les professionnels de s’organiser et de se répartir le travail s’ils le souhaitent lorsque la situation s’y prête. Durant la crise sanitaire du Covid-19, des pharmacies ont entrepris de vacciner la population pendant que des infirmiers s’occupaient des tests antigéniques. Quant aux protocoles de coopération, ils offrent des perspectives. Cependant, la situation entretient parfois une incompréhension chez le patient entre les pharmacies qui peuvent faire et celles qui ne le peuvent pas. Pour la cystite, par exemple, le protocole ne s’est vraiment développé que lorsqu’il a été généralisé et qu’il est entré dans le droit commun. De même, les protocoles locaux peuvent être repris et étendus à d’autres territoires. Mais en passant directement dans le droit commun et en donnant aux pharmaciens une autonomie complète vis-à-vis des autres professionnels. »
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