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Dispensation à l’unité : « Elle mérite d’être soutenue, pas sanctionnée »
La pratique de la dispensation à l’unité (DAU) a valu une suspension de six mois, dont quatre avec sursis, par le Conseil régional de l’Ordre des pharmaciens de Nouvelle-Aquitaine à Antoine Prioux et Eliza Castagné, deux titulaires corréziens. L’ex-parlementaire, rapportrice en 2023 d’une commission d’enquête sur les pénuries, Laurence Cohen, y voit une décision disproportionnée et contre-productive, surtout dans un territoire en situation de désertification. Elle s’explique.
Pourquoi avoir jugé nécessaire de vous engager publiquement dans cette affaire ?
J’ai co-signé cette tribune car je connais bien les deux pharmaciens concernés, Eliza Castagné et Antoine Prioux. Je les ai rencontrés lors d’un débat organisé sur le plateau de Millevaches à la suite de la commission d’enquête sénatoriale sur les pénuries de médicaments, que j’ai eu l’honneur de rapporter en 2023. Leur engagement en faveur de la santé publique m’a profondément marquée. Ils exercent dans une zone en tension, à la fois médicale et officinale, et sont confrontés quotidiennement aux tensions et aux pénuries. Leur pratique de la DAU était encadrée, rigoureuse, tracée, sans bénéfice personnel. Ils facturaient une seule boîte, les comprimés restants étaient donnés à d’autres patients, gratuitement, avec un enregistrement scrupuleux. Sanctionner cela, c’est ignorer la réalité du terrain.
Que répondez-vous à ceux qui estiment que le Conseil régional de l’Ordre n’a fait qu’appliquer la réglementation ?
C’est précisément ce que je conteste. Appliquer une règle sans discernement, sans tenir compte des contextes locaux, revient à une forme d’aveuglement réglementaire. Ces pharmaciens n’ont ni mis en danger leurs patients ni tiré un quelconque profit. Dans d’autres affaires bien plus graves, il n’y a eu qu’un blâme. Ici, c’est une suspension de deux mois ferme. C’est une sanction que je considère à la fois injuste et politique. Le rôle d’un ordre professionnel devrait être aussi d’accompagner l’adaptation des pratiques, pas de bloquer les initiatives de santé publique.
Le cadre réglementaire actuel vous semble-t-il suffisant ?
Des avancées ont eu lieu : la loi anti-gaspillage de 2020, un décret en 2022, puis l’obligation de DAU en cas de pénurie votée dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024. Mais ce cadre reste encore trop rigide. Il faut sécuriser la pratique, clarifier les responsabilités, mieux former et surtout ne pas freiner les professionnels qui, comme ici, anticipent les besoins et prennent des initiatives vertueuses.
La DAU peut-elle devenir un levier structurel contre les pénuries, ou reste-t-elle un outil ponctuel ?
Elle ne règlera pas les problèmes à elle seule, bien sûr. Le fond du sujet est économique et industriel. Il faut repenser la politique du médicament notamment avec une production publique, une relocalisation nationale et européenne, la prise en charge des molécules anciennes, jugées peu rentables par les grands laboratoires. Mais la DAU peut être un outil de gestion efficace à l’échelle locale, et elle est perçue comme telle par les patients. Elle mérite d’être soutenue, pas sanctionnée.
Quels garde-fous faudrait-il mettre en place pour encadrer cette pratique sans freiner les initiatives ?
Il faut s’inspirer de ce que font déjà ces pharmaciens : traçabilité rigoureuse, enregistrement du lot, mention de la date de péremption, tenue de registres numériques. On pourrait imaginer, hors pénurie, un cadre basé sur le volontariat, mais toujours sécurisé. L’essentiel est de ne pas exposer les pharmaciens à des risques disciplinaires quand ils agissent dans l’intérêt de la santé publique.
Faut-il, selon vous, revoir le rôle des instances ordinales dans les zones sous-dotées ?
Oui, clairement. Le Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine a fait preuve, ici, d’une forme de rigidité coupée des réalités. Si ces deux pharmacies venaient à fermer, les habitants du plateau n’auraient plus aucun accès à une officine dans un rayon raisonnable. C’est un risque majeur pour des personnes âgées, isolées, sans mobilité. Il faut que les Ordres prennent en compte ces réalités géographiques et sociales. Sinon, ils deviennent des freins à l’adaptation du système.
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