Chasse aux indus : la parole aux avocats

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Chasse aux indus : la parole aux avocats

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Publié le 16 juin 2025 | modifié le 18 juin 2025
Par Elisabeth Duverney-Prêt
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Jamais l’Assurance maladie n’avait à ce point intensifié ses contrôles et envoyé autant de courriers d’indus aux pharmaciens. Pas moins de 62 millions d’euros ont été réclamés l’an passé par la Cnam. La profession est exaspérée et se tourne de plus en plus fréquemment vers des avocats.

Alors qu’une première réunion sur les indus vient de se tenir à la Caisse nationale d’assurance maladie, les avocats spécialisés confirment le bilan dressé par les syndicats. Les caisses primaires d’assurance maladie « ont des budgets beaucoup plus conséquents pour effectuer ces contrôles, et des moyens informatiques plus performants qui leur permettent de cibler telle ou telle anomalie, tel type ou tel coût de médicament. Nous avons enregistré une hausse importante des procédures menées contre les pharmaciens, mais aussi contre tous les autres professionnels de santé », confirme Maître Jacques-Henri Auché, avocat à la Cour.

Résultat : 1 130 dossiers de fraude établis l’an passé, 81 pénalités prononcées, 42 plaintes pénales déposées et 3 actions conventionnelles ayant abouti à des déconventionnements. Un bilan éloquent. Mais parmi les pharmaciens concernés par des indus, tous ne sont pas intentionnellement fraudeurs. S’ajoutent en effet les erreurs non-volontaires (actes isolés) et les pratiques fautives (erreurs répétées).

Se défendre

« On ne peut que conseiller aux pharmaciens d’agir en justice, même si les chances ne sont pas énormes, car sans réaction de leur part ils sont considérés comme des fraudeurs et il est difficile d’en maîtriser les conséquences », souligne Maître Jacques-Henri Auché. « Le pharmacien a deux mois à compter de la réception du courrier pour s’acquitter des sommes réclamées ou pour les contester. S’il les conteste et qu’elles sont finalement maintenues, il dispose à nouveau de deux mois pour saisir le pôle social du tribunal judiciaire territorialement compétent. Il faut donc faire vite car s’il ne le fait pas dans les délais impartis, il perd la faculté d’agir par la suite », confirme Maître Élise Warlaumont, avocate au Barreau de Paris.

Et les conséquences ne s’arrêtent pas aux indus : « Il y a aussi des pénalités financières qui, en cas de fraude qualifiée d’intentionnelle, peuvent aller jusqu’à 300 % de l’indu. Cette procédure de pénalités est très particulière : elle est effectuée unilatéralement par le directeur de la caisse primaire d’assurance maladie, qui sur simple avis d’une commission, fixe lui-même le montant à payer. Et il faut reconnaître que les pénalités sont de plus en plus fréquentes et élevées », poursuit Maître Jacques-Henri Auché qui confirme le sentiment d’écœurement et le stress grandissant de ses clients.

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Fabienne, pharmacienne dans l’Essonne, témoigne

« En août 2023, la sécurité sociale a décidé de lancer une campagne sur des pharmacies d’Île-de-France qui vendaient plus de produits chers que la moyenne. J’ai reçu un premier courrier me disant que j’allais être contrôlée sur mon année 2021. Un mois après, la liste des patients concernés m’a été envoyée. Il y en avait douze, mais finalement 11 dossiers ont sauté. À la fin, il ne restait qu’un patient : un monsieur de 82 ans qui avait un cancer. Il était connu de la pharmacie. On ne lui délivrait que le traitement contre les nausées et vomissements, car il était suivi dans un hôpital parisien. Comme ça ne se passait pas bien, les médecins ont décidé de la rapatrier sur le centre de Ris-Orangis. Il a donc changé d’oncologue et nous avons récupéré une ordonnance qui prescrivait à notre client une chimio par voie orale. Mais il s’est avéré que dans la liste des médecins autorisés à prescrire ce type de chimio, il n’y avait pas d’oncologues. C’est une aberration du système, et même la CPAM l’a reconnu. Il aurait fallu que la prescription soit faite par un médecin interne, un hématologue, un neurologue ou encore un pédiatre…

Malgré tout, on m’a retenu un indu de 10 000 euros sur 6 mois, mais je refuse catégoriquement de payer. J’ai donc lancé une procédure devant le tribunal administratif et le dossier est en cours. Je me sens lésée, énervée, contrariée… J’ai même mis ma pharmacie en vente suite à cela… Être pharmacien aujourd’hui, c’est travailler tout le temps. On n’a pas de vie. Et en plus on vient nous dire qu’on a mal fait notre travail ! L’assurance maladie décourage tout le monde. »