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Suicides de soignants à l’hôpital : une plainte vise Catherine Vautrin, Élisabeth Borne et Yannick Neuder

© Getty Images

Suicides de soignants à l’hôpital : une plainte vise Catherine Vautrin, Élisabeth Borne et Yannick Neuder

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Publié le 14 avril 2025
Par Christelle Pangrazzi
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Dix-neuf soignants et proches de victimes ont déposé une plainte devant la Cour de Justice de la République pour harcèlement moral, homicide involontaire et violences mortelles. En ligne de mire : les conditions de travail à l’hôpital public et la responsabilité directe de trois ministres.


Conditions de travail « mortifères », « management totalitaire », « alertes ignorées » : les mots employés dans la plainte déposée le 10 avril 2025 auprès de la Cour de Justice de la République (CJR) par 19 plaignants – soignants, veuves et veufs – témoignent de la gravité des accusations. Le document vise directement Catherine Vautrin, ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, Élisabeth Borne, ministre de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur, et Yannick Neuder, ministre délégué chargé de la Santé et de l’Accès aux soins.

La plainte énumère plusieurs chefs d’accusation : harcèlement moral, homicide involontaire, violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, et mise en danger de la personne. Elle s’appuie sur une série de suicides récents dans le secteur hospitalier et vise à faire reconnaître une responsabilité pénale au plus haut niveau de l’État.

Des suicides en série, des alertes ignorées


Trois établissements hospitaliers sont spécifiquement mentionnés dans la plainte : l’Epsan en Alsace, le centre hospitalier de Béziers (Hérault) et le groupement hospitalier des Yvelines Nord. Tous connaissent, selon les plaignants, une « vague de suicides particulièrement préoccupante » sur fond de surcharge de travail, d’absentéisme médical, d’objectifs inatteignables et de « contexte déshumanisé ».

Un infirmier de santé au travail de l’Epsan s’est pendu en septembre 2023, après avoir dénoncé dans plusieurs lettres le « comportement harcelant » de la direction des ressources humaines, l’absence de médecin du travail et un empilement d’« injonctions paradoxales ». Deux étudiantes infirmières se sont également suicidées dans le même établissement.

À Béziers, une infirmière s’est donné la mort à l’été 2024, après avoir évoqué, dans une lettre, un harcèlement au sein de son service et une organisation du travail insoutenable. À cela s’ajoute la mort d’un brancardier et celle d’un chef de pôle hospitalier dans les Yvelines, en septembre 2023.

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Une politique de restructuration pointée du doigt

Pour l’avocate des plaignants, Me Christelle Mazza, cette série dramatique trouve son origine dans la mise en œuvre, au sein de l’hôpital public, de politiques publiques dites « néolibérales » qui se poursuivent depuis plus d’une décennie, aggravées par la crise du Covid-19. « N’importe quel chef d’entreprise qui imposerait une telle stratégie de restructuration avec de telles conséquences serait déjà condamné et l’entreprise fermée », affirme-t-elle à l’AFP.

Elle appelle à appliquer aux ministres la jurisprudence France Télécom, qui a conduit en 2022 à la condamnation de deux anciens dirigeants pour harcèlement moral institutionnel. La Cour de cassation a estimé en janvier 2024 que la mise en œuvre « en connaissance de cause » d’une politique dégradant les conditions de travail pouvait constituer une infraction pénale, y compris en l’absence d’intention individuelle.

Une impunité institutionnelle dénoncée

La plainte évoque une mécanique d’emprise systémique : recours illégal au surtravail, réquisitions de personnel hors cadre réglementaire, menaces, absence de formation, pressions hiérarchiques constantes. Le tout dans un système où les alertes sont systématiquement « ignorées », sans aucune mesure corrective ni reconnaissance des signaux faibles.

« Il n’y a eu aucune prise de conscience politique ni volonté de stopper le démantèlement de l’hôpital public », dénonce le texte. Un constat renforcé par l’absence de réaction des ministres visés. Sollicitée, Catherine Vautrin n’a pas souhaité commenter « à ce stade ». Élisabeth Borne, également concernée pour sa tutelle sur les universités et les professeurs hospitaliers, n’était pas joignable ce lundi 14 avril.

Prochaine étape : la décision de la CJR


Seule juridiction habilitée à juger des membres du gouvernement, la Cour de Justice de la République (CJR) devra désormais se prononcer sur la recevabilité de la plainte. La commission des requêtes, qui agit comme filtre préalable, se réunira le 19 juin pour décider si le dossier part en instruction. La décision est attendue à l’automne.

En parallèle, une plainte distincte a été déposée contre l’AP-HP pour harcèlement moral institutionnel. Ce nouveau front judiciaire pourrait amplifier la pression sur les tutelles et remettre au cœur du débat public la santé psychologique des soignants, déjà en souffrance chronique depuis plusieurs années.

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