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Proches aidants, ces « soignants » de l’ombre
Le gouvernement a lancé le 23 octobre un plan national de soutien aux aidants. Il attend des professionnels de santé qu’ils acquièrent un « réflexe » proches aidants. A l’officine, on croit bien connaître ces irremplaçables relais d’information. Mais prend-on toujours le temps de les écouter et de repérer leurs besoins ? Indispensable mais pas si simple dans les faits.
Une définition si large qu’elle embrasse en France une population estimée entre 8 et 10 millions de personnes. Selon la loi du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement, les aidants sont des personnes « qui viennent en aide, de manière régulière et fréquente, à titre non professionnel, pour accomplir tout ou partie des actes ou des activités de la vie quotidienne » d’une personne en perte d’autonomie du fait de l’âge, de la maladie ou d’un handicap. Leur engagement était déjà soutenu par des collectivités, des associations et certaines entreprises. Le 25 octobre, l’Assemblée nationale a voté le congé pour proches aidants indemnisé dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). C’est la mesure emblématique d’un plan gouvernemental plus vaste de soutien aux aidants pour la période 2020-2022. Son financement s’élève à 400 millions d’euros et un bilan doit en être tiré 2 fois par an. « Ce plan n’est pas figé et il n’aura réussi que s’il entraîne une vraie différence dans le quotidien des aidants », a indiqué lors de sa présentation, le 23 octobre, le Premier ministre Edouard Philippe. Les professionnels de santé sont sollicités pour acquérir un « réflexe » vis-à-vis des proches aidants, dont près d’un tiers (31 %) délaissent leur santé selon le baromètre 2018 BVA/Fondation April.
La difficulté n’est pas tant de repérer que de savoir prendre en charge. « Les trois quarts des professionnels remarquent une détérioration de l’état de santé des aidants. Mais moins de 1 sur 5 aborde systématiquement avec eux leurs difficultés », relève Alice Steenhouwer, directrice de l’association Avec nos proches, s’appuyant sur un état des lieux* présenté en septembre par cette association. Et selon le baromètre BVA/Fondation April, les troubles de la santé liés au fait d’aider sont courants : anxiété (pour 38 % des répondants), sommeil perturbé (32 %), douleurs physiques (30 %) ou encore dépression (10 %). Mais pour les professionnels, les aidants sont moins perçus comme des patients à part entière que comme des vecteurs d’information et de précieux appuis à la personne aidée. Et puis il y a la difficulté à s’insérer dans la relation complexe, voire conflictuelle, entre patient aidé et proche aidant. Du côté de ces derniers, c’est souvent le déni : l’attention et les actions doivent être portées vers l’aidé. Seulement un peu plus du tiers (36 %) des aidants se reconnaissent comme tels. « Mais attention, tous n’ont pas forcément besoin d’aide », tempère Florence Leduc, présidente de l’Association française des aidants.
Repérage et orientation au comptoir
A l’officine, les aidants sont sollicités pour obtenir des informations sur le patient et lui transmettre des explications sur la prise d’un traitement. « Nous sommes davantage en contact avec l’aidant qu’avec le patient, à la différence des autres professionnels de santé amenés à intervenir au domicile », constate Juliette Le Rouge, pharmacienne à Annequin (Pas-de-Calais) et membre d’Avec nos proches. Selon l’association, les officinaux ont plus souvent tendance que les autres professionnels à intervenir avant l’émergence de difficultés. « Un amaigrissement, des marques de fatigue sur le visage ou un changement d’humeur sont des signes auxquels il faut être attentif », estime la pharmacienne. L’approche consiste à évoquer la situation de la personne aidée avant d’amener l’aidant à s’exprimer sur la sienne, au moyen d’une question ciblée comme « Comment cela se passe-t-il pour vous au quotidien ? ». Rien n’empêche de faire usage d’une grille d’évaluation de la pénibilité ressentie par l’aidant (à l’image de l’échelle de Zarit).
La personne exprimant des besoins, il faut pouvoir l’orienter vers des solutions de proximité, comme une plateforme d’accompagnement et de répit. « Soyez précis et concret dans la présentation des réponses existantes. Si vous êtes vague, il franchira rarement le pas », prévient Juliette Le Rouge. Dans le logiciel officinal sont reportées les observations qui permettront un suivi au long cours. Au comptoir, on incitera si besoin à consulter le médecin traitant et on pourra informer ce dernier de la situation, avec l’accord de l’intéressé. Et rien n’interdit de prendre régulièrement des nouvelles d’un aidant. « Il est important d’avoir une approche différenciée. Un aidant ne s’inscrit pas de la même manière et dans la même temporalité lorsque le patient est atteint par un cancer ou par la maladie d’Alzheimer », estime Rafaël Grosjean, président de l’enseigne Pharmodel, qui a pris pour axe prioritaire l’aide aux aidants en officine dès 2012. Un engagement qui implique toute l’équipe autour d’un référent sur le sujet et est assorti de formations spécifiques.
Aider les aidants : une nouvelle mission ?
La formation des professionnels est justement un des volets du « plan aidants ». Elle sera proposée sous forme d’un MOOC (massive open online course ou, en français, formation en ligne ouverte à tous) par l’association Avec nos proches, qui prévoit aussi de mettre à disposition, via les officines, des fiches pratiques sur les solutions locales existantes. Pour Alice Steenhouwer, les pharmacies peuvent être des lieux d’accueil et de rencontre entre aidants, dans la limite de leurs compétences. Organiser des ateliers à l’officine au bénéfice d’aidants, pourquoi pas. « Mais il faut s’assurer de la finalité. Les aidants sont trop souvent considérés comme des variables d’ajustement des déficiences des politiques publiques. Attention à ne pas les former à des gestes qui relèvent d’une intervention professionnelle », pointe Florence Leduc. Selon la présidente de l’Association française des aidants, le repérage et l’orientation des aidants devraient « faire partie de manière officielle de la mission des pharmaciens ». Et les actions de soutien pourraient s’intégrer dans des dispositifs interprofessionnels, comme les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS).
*Questionnaire approfondi auquel ont répondu 631 professionnels de santé : infirmiers à domicile, masseurs-kinésithérapeutes, médecins généralistes et pharmaciens.
La faculté de pharmacie de Lyon (Rhône) a mis en place en 2018 un enseignement pour sensibiliser les étudiants des filières officine et internat au sujet des aidants. D’une durée de 2 heures, il s’appuie sur un jeu de reconnaissance de l’aidant à partir de vignettes cliniques. « Un travail en groupe s’effectue à partir de 2 situations, l’une en officine et l’autre à l’hôpital. Les étudiants doivent identifier les éléments qui peuvent les interpeller et mettre en place des actions de prise en charge », détaille Christine Vinciguerra, directrice de la faculté.
• Lancé le 23 octobre, un plan gouvernemental de soutien aux proches aidants implique les professionnels de santé.
• A l’officine, il s’agit de repérer et de savoir orienter des aidants qui sont souvent dans le déni de leur situation.
• L’action auprès des aidants pourrait s’insérer de manière officielle dans les missions officinales, préconise l’Association française des aidants.
REPÈRES
Par Matthieu VANDENDRIESSCHE. Infographie : laurence krief
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