Médecins et IPA : la guerre est déclarée

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Médecins et IPA : la guerre est déclarée

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Publié le 13 juin 2025
Par Christelle Pangrazzi
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Prescription d’antihypertenseurs ou de traitements antidiabétiques sans diagnostic médical préalable : l’Ordre des médecins saisit le juge administratif pour faire barrage à l’arrêté du 25 avril. Les représentants des infirmiers en pratique avancée dénoncent un blocage corporatiste.

Le conflit entre les médecins et les infirmiers en pratique avancée (IPA) franchit un nouveau cap. L’Ordre des médecins a confirmé qu’un recours contre l’arrêté du 25 avril 2025 serait déposé devant le Conseil d’État « dans les prochains jours ». Ce texte, très attendu depuis l’adoption de la loi Rist II, définit pour la première fois la liste des produits et prestations que les IPA peuvent prescrire de façon autonome, y compris dans le cadre d’un accès direct, sans prescription médicale préalable.

L’arrêté autorise en effet tous les IPA, quelle que soit leur mention (pathologies chroniques stabilisées, psychiatrie, gérontologie, etc.), à primoprescrire certains actes ou médicaments relevant jusqu’ici du monopole médical. C’est ce point que l’Ordre entend contester. « L’arrêté va bien au-delà de ce que permettait la loi Rist II du 19 mai 2023 », dénonce le Dr René-Pierre Labarrière, président de la section « exercice professionnel » au sein du Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom). « Il ouvre la voie à des prescriptions sans diagnostic, y compris dans des pathologies lourdes comme le diabète ou l’hypertension. »

Diabète, tension artérielle : lignes rouges médicales

Les cas les plus sensibles, aux yeux du Cnom, concernent les pathologies chroniques complexes.

« Le diabète est une maladie multisystémique qui touche les reins, les yeux, le cœur. L’évaluation initiale des comorbidités et du stade évolutif de la maladie exige un diagnostic complet, donc un médecin », affirme le Dr Labarrière. Même constat pour l’hypertension : « Il peut s’agir d’une hypertension secondaire, liée à une pathologie rénale ou endocrine. Le diagnostic différentiel est essentiel, et il ne peut être posé que par un médecin. »

L’Ordre juge donc « dangereuse » l’extension de la primoprescription à ces pathologies, et s’appuie sur l’avis partagé de plusieurs conseils nationaux professionnels (CNP) spécialisés pour légitimer son recours.

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Un arrêté soutenu par les infirmiers, validé par les instances scientifiques

Les représentants des infirmiers, eux, défendent fermement le décret. Dans un communiqué publié début juin, le Conseil national de l’ordre infirmier (CNOI) salue un texte « construit en concertation avec toutes les parties, y compris l’Académie nationale de médecine », et conforme aux objectifs du législateur. « Les compétences des IPA sont encadrées, ciblées, et ne remettent pas en cause le rôle du médecin. Elles permettent une prise en charge plus rapide et plus fluide, dans l’intérêt du patient », insiste le CNOI.

Même ton du côté de l’Union nationale des infirmiers en pratique avancée (Unipa), qui s’agace des positions du Cnom : « Non, la loi Rist n’impose pas de diagnostic médical préalable. C’est une interprétation abusive et contraire à la volonté du Parlement. »

L’Unipa s’inquiète également de la tenue d’une réunion bilatérale, le 6 juin, entre le ministère et le Cnom sur le sujet.

« Ce n’est pas à une organisation ordinale de dicter la norme réglementaire. Laisser penser que l’Ordre peut faire réécrire un texte publié serait un précédent grave », s’indigne l’association, qui appelle le gouvernement à résister à ce qu’elle qualifie de « lobby médical ».

Un accès direct contesté, mais juridiquement encadré

Pour mémoire, la loi Rist II a modifié l’article L4301-2 du code de la santé publique pour permettre aux IPA d’accéder aux patients sans prescription, dans certaines conditions : en établissement de santé, en ESMS, ou dans des structures d’exercice coordonné (MSP, CPTS, etc.).

Le décret du 21 janvier 2025, pris en application de cette loi, précise que l’IPA « participe à la prise en charge globale des patients dont le suivi lui est confié par un médecin ou s’adressant directement à lui ». En cas d’accès direct, l’IPA initie donc la conduite diagnostique et thérapeutique, dans un périmètre désormais formalisé par l’arrêté d’avril.

Le Cnom estime cependant que ce décret ne peut élargir le champ défini par la loi, et que l’arrêté va au-delà de ce que le Parlement a voté. « Ce n’est pas un simple désaccord technique, c’est une divergence profonde sur la conception du soin. »

Une procédure à fort impact politique

Le recours, en cours de rédaction, devrait être déposé au plus tard la semaine prochaine. Il pourrait avoir des conséquences importantes sur l’interprétation juridique du rôle des IPA, sur l’équilibre entre professions médicales et paramédicales, et sur les prochaines étapes de la délégation de tâches en ville.

Dans les territoires sous-dotés, où les IPA constituent déjà une réponse partielle à la désorganisation de l’accès aux soins, ce conflit pose une question politique majeure : faut-il continuer à s’en tenir à une répartition stricte des compétences ou accélérer un décloisonnement assumé du soin de premier recours ?

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