Biosimilaires : des percées et des ratés

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Biosimilaires : des percées et des ratés

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Publié le 8 octobre 2025
Par Elisabeth Duverney-Prêt et Christelle Pangrazzi

L’élargissement du droit de substitution en février 2025 a dopé l’adoption des biosimilaires. Mais derrière les chiffres globaux, la réalité est contrastée : quelques molécules portent presque tout le marché, tandis que d’autres peinent à convaincre prescripteurs et patients.

L’arrêté du 20 février 2025 autorisant la substitution pour neuf groupes biologiques similaires a agi comme un accélérateur. En quelques mois, le taux global de pénétration des biosimilaires est passé de 36 % à 49 %. Une progression significative qui confirme l’effet levier du droit de substitution officinale.

« L’ensemble des molécules a enregistré une hausse », souligne Antoine Collet, directeur des panels chez Iqvia. Mais l’évolution est loin d’être homogène. Certaines références tirent le marché à elles seules, tandis que d’autres stagnent à des niveaux faibles.

L’exemple emblématique de l’énoxaparine

La molécule vedette est sans conteste l’énoxaparine, un anticoagulant utilisé notamment dans la prévention des thromboses. « Son taux de pénétration a bondi de 20 % à 60 % en quelques mois », détaille Antoine Collet. Résultat : elle représente désormais plus de la moitié du volume total des ventes de biosimilaires.

Un succès qui s’explique par la conjonction de plusieurs facteurs : volumes élevés en prescription, présence d’alternatives biosimilaires bien établies, et acceptabilité relativement forte de la part des médecins et des patients.

Les succès plus discrets : adalimumab et filgrastim

Derrière l’énoxaparine, d’autres molécules progressent, mais de manière plus modeste. L’adalimumab, utilisé en rhumatologie, atteint 11,8 % de parts de marché. Le filgrastim, prescrit en oncologie pour stimuler la production de globules blancs, s’établit à 8,2 %. Les époétines, elles, représentent 7,8 %.

Ces produits sont stratégiques pour les officines proches des services hospitaliers et des spécialistes. Mais pour les pharmacies rurales, les volumes demeurent insuffisants pour générer un impact économique tangible.

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Le cas du ranibizumab : un échec d’ergonomie

À l’opposé, certaines molécules peinent à décoller. C’est le cas du ranibizumab, prescrit en ophtalmologie. « Les prescripteurs freinent des quatre fers en l’absence de seringues préremplies », observe David Syr (Gers Data). Résultat : seulement 5 % de parts de marché.

Ce cas illustre un enjeu crucial : l’acceptabilité d’un biosimilaire ne dépend pas uniquement de sa démonstration de biosimilarité, mais aussi de la simplicité d’administration. Un dispositif mal adapté peut bloquer une substitution, même si l’efficacité clinique est identique.

Un marché encore polarisé

Les données Iqvia de juillet 2025 confirment ce déséquilibre :

– Énoxaparine : 52,9 %

– Adalimumab : 11,8 %

– Filgrastim : 8,2 %

– Époétines : 7,8 %

– Follitropine alfa : 6,5 %

– Ranibizumab : 5,0 %

– Pegfilgrastim : 3,3 %

– Étanercept : 3,1 %

– Teriparatide : 1,2 %

Le constat est clair : plus de la moitié du marché est concentrée sur une seule molécule, tandis que la majorité des biosimilaires plafonnent à des niveaux faibles.

Une économie encore marginale pour les officines

Pour les pharmacies, cette polarisation limite l’impact économique. Même avec la progression de l’énoxaparine, la plupart des officines écoulent seulement une poignée de boîtes par mois. « Dans la majorité des cas, il s’agit d’une boîte de biosimilaire par mois et par référence », rappelle Julien Chauvin (FSPF).

Résultat : les biosimilaires représentent moins de 100 millions d’euros de rémunération supplémentaire pour l’ensemble du réseau, contre plus d’un milliard pour les génériques. Un rapport de dix à un qui montre l’ampleur du chemin à parcourir.

Le rôle décisif des dispositifs d’administration

Les prochains lancements confirmeront que le succès d’un biosimilaire dépendra aussi de l’innovation dans les dispositifs. « L’enjeu principal des futurs biosimilaires sera celui-là : le dispositif d’administration devra faciliter la vie des patients et correspondre à leurs besoins », insiste David Syr.

Car sur ce terrain, la concurrence entre laboratoire princeps et biosimilaire ne se joue pas seulement sur le prix. L’ergonomie, la rapidité d’injection, la lisibilité des notices, la possibilité de stylos réutilisables ou de seringues préremplies deviennent déterminants.

Une phase de transition

En somme, l’élargissement du droit de substitution a enclenché une dynamique, mais elle reste fragile. La réussite de l’énoxaparine ne doit pas masquer les blocages persistants sur d’autres molécules.

Les pharmaciens sont confrontés à un marché de transition : porteur d’opportunités à moyen terme, mais encore trop limité et polarisé pour compenser aujourd’hui la perte de marge des génériques. « Les biosimilaires avancent, mais ils ne sont pas encore en mesure de stabiliser le modèle économique de l’officine », résume un élu syndical.