Morsure de chat et antibiothérapie : un regard aiguisé face au risque de pasteurellose 

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Morsure de chat et antibiothérapie : un regard aiguisé face au risque de pasteurellose 

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Publié le 12 octobre 2025
Par Anne-Gaëlle Harlaut
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Après une morsure de chat, Xavier T. a développé rapidement une infection. La vigilance pharmaceutique a permis de détecter que Pasteurella multocida est naturellement résistante à l’antibiotique initialement prescrit, conduisant à un ajustement du traitement.

Le contexte

En début d’après-midi, Xavier T., 43 ans, s’est présenté à la pharmacie de la Gare avec sa main droite bien gonflée, chaude et douloureuse. Inquiet, il a expliqué avoir été mordu par son chat alors qu’il essayait de le faire entrer dans sa caisse de transport pour une visite chez le vétérinaire. La morsure est peu profonde et il l’a désinfectée immédiatement mais, environ 4 heures après, sa main a doublé de volume. Suspectant une pasteurellose, vous avez appelé son médecin qui l’a reçu dans la foulée, et Xavier revient avec une ordonnance.

L’ordonnance

Dr Patrick P., médecin généraliste

Le 26/09/2025

Xavier T., né le 30/05/1982
1,84 m, 89 kg

Pristinamycine (pyostacine) 500 mg : 2 cp matin, midi et soir pendant 8 jours

Alcool modifié à 70° : à diluer au 1/3 avec de l’eau et faire des pansements alcoolisés de 15 minutes 3 fois par jour

Compresses stériles non tissées 7,5 x 7,5 : 1 grande boîte

Bandes de crêpe 5 cm : 10 unités

Paracétamol 1 g : 1 cp 3 fois par jour si besoin pendant 5 jours

La problématique

Après le premier passage de Xavier, vous avez pris le temps de vérifier vos connaissances sur la pasteurellose. Vous savez que c’est une zoonose due à une bactérie du genre Pasteurella – principalement Pasteurella multocida – commensale des muqueuses respiratoires des mammifères et des oiseux qui sont le plus souvent porteurs sains, potentiellement transmissible à l’homme par griffure ou morsure du chat ou du chien. Les informations issues de sites de sociétés savantes indiquent une prise en charge différente de celle qu’a prescrite le médecin.

La prise en charge

Une bactérie naturellement résistante

Responsable d’une inflammation locale douloureuse, la pasteurellose non traitée peut se compliquer dans de rares cas d’atteintes articulaires, voire gagner d’autres organes. Pour vérifier sa prise en charge, vous avez consulté en ligne le référentiel de bonnes pratiques « Plaies aiguës en structure d’urgence » de la Société française de médecine d’urgence (sfmu.org). Le chapitre consacré aux morsures stipule notamment : « Les chiens et chats sont responsables de la majorité́ des morsures animales et touchent plus fréquemment la main chez l’adulte […]. Les infections apparaissant en moins de 12 heures sont évocatrices de Pasteurella multocida. Sans consensus récent fort, l’antibiothérapie empirique reste systématique aussi bien préemptive qu’en présence de signes infectieux. » Le protocole anti-infectieux recommandé est en première intension (hors allergie et contre-indications) : amoxicilline + acide clavulanique à raison de 1 g 3 fois par jour per os pendant 5 jours. Ce protocole est confirmé par la fiche « Pasteurella spp » de la Société française de microbiologie, consultée en ligne sur sfm-microbiologie.org. La prescription du médecin vous étonne. Si la pristinamycine est souvent indiquée dans les infections de la peau et des tissus mous, elle n’est pas mentionnée dans les recommandations.

Vous : Le médecin partage apparemment mon hypothèse et suspecte une infection survenue après la morsure de votre chat. Il vous a prescrit un traitement local en pansement, un antalgique en cas de douleur et un antibiotique pour traiter l’infection.

Xavier: Oui, en effet, il m’a parlé comme vous de la pasteurellose…

Vous : Néanmoins, je suis surpris par l’antibiotique prescrit, je vous demande quelques minutes pour vérifier cette prescription.

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Xavier : Pas de problème.

Vous vérifiez le spectre d’activité antibactérienne de la pristinamycine dans le résumé des caractéristiques du produit. Les bactéries du genre Pasteurella sont inscrites dans la catégorie des espèces naturellement résistantes à l’antibiotique, toutes les souches sont donc concernées.

Vous : Il semble que l’antibiotique prescrit ne convient pas en cas de pasteurellose. Je vais appeler le médecin pour en discuter. Avez-vous des allergies particulières, notamment à certains antibiotiques ? Une réaction anormale s’est-elle déjà produite après la prise d’un antibiotique ?

Xavier : Non, je n’ai aucune allergie et je n’ai jamais mal réagi.

Changement de traitement

Vous réussissez à joindre le médecin avant qu’il ne ferme son cabinet.

Vous : Rebonjour Dr P., c’est la pharmacienne de la pharmacie de la Gare, j’ai devant les yeux l’ordonnance de Xavier T. comprenant de Pyostacine. Vous me confirmez que vous l’avez prescrite dans le cadre d’une suspicion de pasteurellose liée à la morsure de son chat ?

Dr P. : Oui, tout à fait, il en a tout les symptômes et un traitement antibiotique est nécessaire.

Vous : En effet, mais il semble que toutes les espèces de Pasteurella sont naturellement résistantes à cet antibiotique qui sera donc inefficace. Je propose de modifier la prescription et d’appliquer les recommandations de la Société française de médecine d’urgence en matière d’antibiothérapie dans ce cas, à savoir amoxicilline/acide clavulanique à raison de 1 g toutes les 8 heures pendant 5 jours.
Dr P. : Ah… J’avais en tête que Pyostacine​​​​​​
convenait pour toutes les infections cutanées mais, en effet, ce n’est peut-être pas le cas. Attendez, je vérifie…

La pharmacienne patiente quelques instants.

Dr P. : En effet, je vous confirme que vous pouvez modifier l’ordonnance pour inclure de l’amoxicilline/acide clavulanique dosé à 500 mg d’amoxicilline à raison de 2 comprimés par prise matin, midi et soir pendant 5 jours. Je vous remercie de m’avoir donné cette information.

Après avoir remercié le médecin, vous rectifiez la prescription et finalisez la délivrance avec M. T. en lui expliquant la raison de ce changement.

C’est la fin de la journée, pendant que votre collègue s’occupe de la fermeture, vous renseignez l’intervention pharmaceutique sur la base Act-IP officine* : « Type de problème côté 1 “Contre-indication ou Non conformité aux référentiels” » ; description du problème : « Germe probablement responsable de l’infection naturellement résistant à l’antibiotique prescrit » ; Intervention : « Proposition d’une alternative thérapeutique avec changement de classe d’antibiotique pour mise en place d’un antibiotique actif sur le germe suspecté ».

L’intervention pharmaceutique

La Société française de pharmacie clinique (SFPC) a développé un outil de codification et de documentation des IP,  accessible gratuitement sur actip.sfpc.eu.
Pour plus d’informations, consultez le site de la SFPC, sfpc.eu, ainsi que le cahier Formation paru dans Le Moniteur des pharmacies « L’intervention pharmaceutique » du 11 janvier 2025, rédigé en collaboration avec la SFPC.

Retour d’expérience

Le lendemain matin, vous commencez la journée par un petit brief de l’équipe pour revenir sur ce cas et rappeler l’existence d’une résistance naturelle à certains antibiotiques et à la nécessité de vérifier au moindre doute les recommandations en vigueur. Vous refaite le point sur les ressources utiles à l’équipe : fiches synthétiques de la Haute Autorité de santé concernant le choix et la durée des infections courantes, outil d’aide à la décision thérapeutique en antibiothérapie Antibioclic, recommandations de la Société de pathologie infectieuse de langue française (Spilf), etc.

* Les fiches de cotation des interventions pharmaceutiques ainsi qu’une note explicative sont accessibles, après inscription, sur la plateforme Act-IP version officinale.