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Si la mention « Non substituable » disparaît…
Comment développer les ventes de médicaments génériques ? La réponse du gouvernement est simple : en changeant les règles du jeu de la substitution et en forçant le patient à accepter coûte que coûte le générique par une mesure sanctionnant son porte-monnaie. C’est sans compter avec le risque de généralisation du tarif forfaitaire de responsabilité. Une menace à prendre (très) au sérieux.
L’histoire du générique serait-elle un éternel recommencement ? La consommation s’essouffle, le taux de substitution des pharmaciens plafonne… à 80 % tout de même, à périmètre courant, médicaments sous tarif forfaitaire de responsabilité (TFR) compris. Du coup, le gouvernement a inscrit dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2019 une mesure visant à réguler les modalités de recours au « Non substituable » (NS). Cette mention manuscrite systématique, à porter ligne par ligne, serait supprimée. L’obligation, si souvent décriée par les médecins, serait encadrée par une liste de cas et de situations justifiant la mention NS (par exemple : intolérances, allergies aux excipients, risque de confusion pour le patient, etc.). Si le prescripteur persiste à faire figurer la mention NS sur une ordonnance imprimée, il devra aussi y préciser la justification médicale de son opposition. L’usage de cette mention serait clarifié dans un référentiel établi par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) qui serait ensuite intégré aux logiciels d’aide à la prescription.
Les médecins risquent de « sécher »
En mettant fin à un système contraignant pour les médecins et parfois source de litiges avec les CPAM, le gouvernement ne s’attendait certainement pas à un accueil aussi mitigé du corps médical. « Le gouvernement a pris cette mesure pensant qu’il y a de nombreux critères médicaux objectifs pouvant justifier le NS. Or, ces situations sont exceptionnelles ; elles se limitent aux médicaments à marge thérapeutique étroite, aux patients qui déclarent ne pas supporter le générique – ce qui est la plupart du temps invérifiable – et à ceux qui, en raison de problème de lecture ou de compréhension, confondent les boîtes de médicaments, dénombre le Dr Jacques Battistoni, président du syndicat MG France. C’est une fiction de penser que le médecin va pouvoir appliquer cette mesure, car on est très souvent dans l’irrationnel avec le patient ».
Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), partage ces doutes, soulignant la difficulté de justifier l’utilisation de la mention NS pour des raisons médicales. « Cela irait à l’encontre de la défense du secret médical », renchérit-il, reconnaissant toutefois que son syndicat est ouvert à la discussion sur un référentiel opposable, pour éviter au maximum la survenue de difficultés dans la relation médecin-patient.
L’USPO et la FSPF circonspectes
Pas plus enthousiaste que les médecins, Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (Uspo), dénonce « une mesure compliquée et inapplicable, tant pour les médecins que pour les caisses primaires qui n’auront pas la possibilité de faire des contrôles effectifs sérieux sur le NS. » Et de proposer une solution beaucoup plus simple qui, pour lui, a fait ses preuves sur le terrain. « Dans le Vaucluse et les Alpes-Maritimes, les médecins ont arrêté le NS et ce sont les pharmacies qui le gèrent au comptoir avec le patient. Résultat : il n’y a eu aucun incident, les mentions abusives ont été éradiquées et des économies ont été réalisées de suite. »
De son côté, Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), redoute que « ces nouvelles modalités de recours à la mention NP ne relancent la guerre du générique en donnant l’occasion à ses détracteurs de rebondir ».
Sur la seconde mesure devant concourir à l’affaissement du NS, on ne peut pas reprocher au gouvernement un manque de courage politique : il a décidé de sanctionner financièrement les assurés qui refuseraient, sans justification médicale, la substitution proposée par le pharmacien. Ils seraient alors remboursés sur la base du prix du générique et non du princeps. Une règle nettement plus pénalisante que le dispositif actuel du « tiers payant contre générique ». Ce qui n’est pas du goût de France Assos Santé. Excluant que l’amélioration de la santé financière de la Sécurité sociale se fasse « sur le dos » des patients, l’association, qui représente les usagers, demande d’abord aux pouvoirs publics de rendre effective la prescription en dénomination commune internationale (DCI). Une obligation en vigueur depuis le 1er janvier 2015. « L’opposabilité se doit d’être réciproque : si le prix du générique devient opposable au patient, la prescription en DCI doit être opposable au prescripteur… Les deux étant étroitement liés », réclame France Assos Santé.
Conscient du tollé que pourrait provoquer une telle mesure auprès des assurés, dans une période où le président de la République n’est pas au meilleur de sa forme dans les sondages, le gouvernement envisage de mettre en œuvre cette mesure à compter du 1er janvier 2020. Un délai largement nécessaire pour accompagner la mise en place auprès des patients, par une pédagogie adaptée. « Le gouvernement a intérêt à refaire une campagne de communication sur la qualité et le contrôle du générique, les pharmaciens vont à nouveau être en première ligne pour expliquer les mesures décidées », ne manque pas de souligner Philippe Gaertner.
Un malus financier non souhaitable
Pourtant, à en croire les quelque 640 pharmaciens qui avaient répondu à notre sondage sur lemoniteurdespharmacies.fr au 3 octobre, la mesure plaît : près de 80 % sont favorables à ce que les patients paient de leur poche la différence entre princeps et génériques en cas de refus de substitution. Ne faudrait-il pas voir un peu plus loin que le bout de sa rémunération sur objectifs de santé publique ? Instaurer un reste à charge sur le princeps, c’est prendre le risque que celui-ci s’aligne sur le prix du générique. Et pour la FSPF, l’Uspo et le Gemme (l’association des génériqueurs), cette mesure apparemment anodine pour le gouvernement pourrait raviver la tentation de TFR généralisés. Cette politique d’alignement des prix par le bas rendrait non seulement obsolète l’intérêt économique du générique et la substitution plus difficile, mais la perte de marge sur un groupe de génériques passé sous TFR est très importante à la fois sur ces derniers (- 36 %) et sur le princeps (- 65 %). « Compte tenu de la fréquence de la mention NS sur les ordonnance (8,3 % en 2016), nous comprenons conceptuellement et saluons les mesures prises par le gouvernement pour impulser une nouvelle dynamique au marché des génériques, livre Stéphane Joly, élu président du Gemme le 12 septembre dernier. Cependant, la première mesure nous paraît suffisante pour faire rentrer certains médecins dans le rang. En revanche, quel est l’intérêt de la seconde mesure pour venir à bout des 1 % ou 2 % de médecins restants qui continueront à marquer NS sur leurs ordonnances à la demande des patients ? C’est faire courir un vrai risque de TFR généralisés, car jusqu’ici les patients ne savent pas que les princeps des 30 % de groupes génériques TFRisés sont au même prix que leurs génériques », alerte-t-il. Si ces deux dispositions sont adoptées dans le PLFSS 2019, « la profession sera particulièrement vigilante et attentive aux risques d’effets collatéraux de ces mesures et aux manœuvres des princeps », annonce Philippe Gaertner.
À RETENIR
• Malgré la progression de la prescription dans le Répertoire des génériques et la stabilisation de la délivrance, les volumes décroissent au cours de l’année 2018 à fin juillet.
• Le gouvernement a inscrit dans le PLFSS pour 2019 une régulation drastique des modalités de recours au « Non substituable ».
• Dès le 1er janvier 2020, les assurés qui refuseraient, sans justification médicale, la substitution proposée par le pharmacien ne seraient remboursés que sur la base du prix du générique et non du princeps.
• Cette mesure fait courir un risque d’alignement du prix des princeps sur les génériques, porte ouverte aux TFR généralisés.
REPÈRES
Par FRANÇOIS POUZAUD
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