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La désillusion ivoirienne
La Côte d’Ivoire, pays divisé et instable depuis plus de sept ans, n’en est pas au bout de ses peines. Alors qu’une élection présidentielle avait été annoncée entre fin mars et début avril, le chef d’Etat, Laurent Gbagbo, a dissous, en février, le gouvernement d’union nationale et la commission électorale indépendante. Son mandat a officiellement pris fin en 2005, mais depuis le scrutin est repoussé pour la sixième fois. Dans ce contexte, « Le Moniteur » a voulu savoir quelles sont les conditions d’exercice des pharmaciens.
Depuis 1999 et le début des crises politico-militaires, la Côte d’Ivoire est dans une situation économique plus que difficile. La pauvreté s’est aggravée et la proportion de personnes en dessous du seuil admis approche les 50 %. Et la santé des Ivoiriens en pâtit : le nombre de malades s’est accru, et des maladies comme la tuberculose ou le paludisme sont en recrudescence. Ce dernier est d’ailleurs la première cause de consultation chez les adultes et de décès chez les enfants de moins de 5 ans. Les pharmaciens sont donc un maillon essentiel dans la chaîne de santé du pays. Mais leur exercice n’est pas toujours facile : concurrence déloyale et sans contrôle, faute d’inspection dans les officines, faux médicaments vendus impunément, marchands de médicaments sous révélation divine…
Abidjan concentre la moitié des officines du pays
Le cursus des étudiants ivoiriens est pourtant identique à celui des étudiants français : 6 années d’études conditionnées par un concours d’entrée. Mais ce dernier est un tronc commun avec les étudiants en médecine et en odontostomatologie, la première année étant régie par un numerus clausus de 50 étudiants. « Ce chiffre n’est jamais respecté, sans compter ceux qui vont se former à l’étranger, en France, aux Etats-Unis, en Belgique, mais aussi au Sénégal, au Mali, au Burkina Faso ou en Guinée. Le nombre d’étudiants reste difficile à maîtriser », reconnaît Christine Kouamélan, présidente du Syndicat des pharmaciens. Le système imposait autrefois aux étudiants boursiers de rendre 5 ans à l’Etat avant de s’installer (2 ans pour les étudiants non boursiers). Pendant cette période, ils pouvaient, entre autres, exercer dans des pharmacies hospitalières. Cette condition n’a plus cours aujourd’hui dans ce pays qui compte 750 officines – dont la moitié se concentre dans la capitale –, plus de 1 000 pharmaciens (privés, enseignants, hospitaliers et délégués de laboratoires compris) et entre 200 et 300 assistants. « La direction Pharmacie du ministère de la Santé elle-même ne connaît pas le nombre exact des pharmaciens », note-t-on au syndicat.
L’installation n’en est pas facilitée pour autant. S’il faut obligatoirement posséder un diplôme d’Etat reconnu et être inscrit à l’ordre national des pharmaciens de Côte d’Ivoire, il faut aussi présenter un casier judiciaire vierge et préciser sa nationalité. Le dossier passe alors entre les mains de la commission de programmation du ministère de la Santé et de la Population qui l’étudie en y associant le syndicat et l’Ordre. Après une visite de site au cours de laquelle sont analysés les paramètres « voisinage et rentabilité », le ministère décide ou non d’accorder une licence d’exploitation. « Nous avons un réel problème de pouvoir d’achat et il faut s’assurer que l’environnement immédiat permettra à la pharmacie de vivre », indique Christine Kouamélan.
Des officines vendues à 40 % de leur chiffre d’affaires
Lorsqu’elles sont rachetées, les officines le sont en principe en fonction de leur CA, étudié sur les trois dernières années. « Le taux généralement appliqué est de 40 % », précise le docteur Tarek Ajami, Libanais né en Côte d’Ivoire et titulaire de la Pharmacie des Lagunes dans la capitale, une des dix plus grandes du pays avec ses 30 employés. Mais, outre le fait qu’au cours des dernières années beaucoup de pharmacies ont vu fondre leur CA, notamment à cause du contexte économique, les crédits sont devenus difficilement accessibles. Les contraintes d’installation, plus dures, se traduisent par l’achat de pharmacies de plus en plus petites. « Au niveau réglementaire, le minimum était de 80 m2 ; maintenant, c’est souvent du 50 m2 tout compris, avec une mezzanine pour le bureau », révèle le syndicat.
Autre réglementation : la distance minimale de 400 mètres entre chaque enseigne, mais 350 mètres au Plateau, quartier d’affaires du centre d’Abidjan, à la population plus dense. Le pharmacien en est propriétaire, ou en loue les murs. Mais, selon les quartiers, beaucoup sont confrontés à des loyers trop élevés – « pas très réglementés ici », selon la présidente du syndicat – et nombre d’officines ont un CA annuel tournant autour de 50 à 60 millions de francs CFA (75 000 € à 90 000 €). « Une telle entreprise est difficilement rentable, encore moins avec un loyer qui peut varier de 300 000 à 1 million de francs CFA [450 € à 1 500 €] », livre une pharmacienne du Plateau. Certaines enseignes atteignent toutefois des CA de 1 à 2 milliards (150 000 € à 300 000 €), « mais elles sont peu nombreuses et plutôt discrètes ».
Tout aussi rares sont les titulaires ivoiriens installés en association. « Si elles existent, elles ne durent jamais longtemps. Il y en a eu à Abidjan, mais ce n’est pas l’esprit ici », concède Christine Kouamélan. Le plus souvent, il s’agit alors d’un pharmacien sur le point de prendre sa retraite, qui passe le relais en s’associant momentanément à son successeur.
Le syndicat travaille à une convention collective
En Côte d’Ivoire, les pharmaciens du privé travaillent avec la même grille de salaire que les fonctionnaires. « Nous avons réfléchi à une grille nous permettant d’élaborer une convention collective propre afin d’uniformiser les salaires des auxiliaires et des pharmaciens assistants gérants », annonce le syndicat. Le SMIC local est à 42 000 francs CFA (environ 60 €). Les centrales syndicales de travailleurs se sont révoltées, réclamant un SMIC à 120 000 francs CFA (180 €), mais le gouvernement a réagi violemment. « Nous sommes sous le contrôle du Plan pour les pays très endettés, et l’on ne doit pas envisager une seule augmentation de salaire d’ici trois ans alors qu’ils n’ont pas bougé depuis des lustres », regrette Christine Kouamélan.
Les pharmaciens de la fonction publique débutent à 130 000 francs CFA (195 €, catégorie A). « Dans le privé, nous essayons de multiplier par deux ou trois », informe la présidente. Un pharmacien assistant peut alors être rémunéré 300 000 à 350 000 francs CFA au minimum (450 € à 525 €). Les vendeurs, quant à eux, débutent à 80000 francs CFA (120 €) dans des pharmacies comme La Riviera 2 à Abidjan, chez Christine Kouamélan. « Si on respecte leur grille, les salaires sont vraiment minables, explique-t-elle. Les caissières avec de l’ancienneté pouvant émarger à 190 000 francs CFA [285 €]. » Selon sa taille, une officine peut salarier au-delà d’une dizaine de vendeurs, deux ou trois assistants, des caissières, des gardiens… mais rarement plus d’un préparateur, les préparations officinales et magistrales complexes étant réduites à la portion congrue.
Des pharmaciens qui donnent beaucoup de conseils
« Ici, nous faisons tout », résume Francine Creppy, titulaire dans le quartier de Cocody à Abidjan. Dans un pays où le pouvoir d’achat n’a cessé de baisser depuis dix ans, et où une grande partie de la population ne possède pas de couverture sociale, les pharmaciens consacrent une grande partie de leur activité aux conseils : paludisme, maladies métaboliques, grippe, œsophagite, ulcères, surveillance de la glycémie ou du cholestérol, prise de tension, conseils nutritionnels aux jeunes mamans, aux diabétiques, parfois des vaccins ou des piqûres contre le paludisme et, il y a encore peu, des tests de grossesse… « Quand nous suggérons aux patients d’aller voir le médecin, ils font la grimace car c’est trop cher. Nous nous substituons à eux par la force des choses », lâche Francine Creppy. Ces services semblent très appréciés par une population qui n’a pas la possibilité de se rendre en clinique, ni dans les hôpitaux bondés et eux-mêmes dépourvus de moyens.
« La Pharmacie de la santé publique, qui est le grossiste des pharmacies publiques, est en rupture de stock pour des questions de recouvrement et ne peut plus fournir les hôpitaux ni les dispensaires », regrette le Syndicat. Et l’appel d’offres est annuel. Finalement, seuls les salariés et les personnes qui en ont les moyens possèdent une couverture. Les entreprises cotisent à la Caisse nationale de prévoyance sociale, qui permet de prendre en charge une partie des soins. « Cela peut aller de 70 à 90 %, plus rarement 100 %, mais la plupart des gens doivent s’assurer eux-mêmes et cela coûte cher », indique Tarek Ajami. Les compagnies et systèmes d’assurances sont donc aussi variés que l’est le traitement – manuel – des dossiers au comptoir. Rares en effet sont les officines informatisées pour autre chose que la gestion des stocks. Il y a quelques années, le gouvernement a fait passer une loi pour mettre en place une assurance maladie universelle. « Elle est dans un tiroir depuis trois ou quatre ans, mais sa mise à exécution traîne, se désole Christine Kouamélan, qui a beaucoup travaillé pour obtenir cette loi. Pour les chômeurs et les pauvres : il n’y a rien. » Ils devront probablement attendre un déblocage de la situation politique…
Le développement des génériques est en marche
Une des solutions pour remédier à la cherté des médicaments : le développement des génériques, qui commencent à entrer dans les mœurs. Les premiers ont été importés de France. Désormais leur font concurrence ceux que fabriquent l’Inde ou la Chine, mais aussi des molécules élaborées en Côte d’Ivoire et de bonne facture. « Nous n’avons aucune obligation de résultat sur le générique », livre un pharmacien. Les prescripteurs eux-mêmes n’en ont pas le réflexe, c’est donc généralement le pharmacien qui en fait la promotion. « Même s’ils sont moins chers, les gens ne les apprécient pas vraiment pour peu qu’il n’y ait pas eu d’effet. En outre, se pose le problème des produits pour lesquels il y a 20 génériques, comme Amlor 5. Ce n’est pas facile à gérer. » Pour les promouvoir, la profession a trouvé la parade : les pharmaciens ont été autorisés à les déconditionner et à vendre les blisters à l’unité.
Les pharmacies privées se fournissent généralement auprès des trois grossistes du pays, basés à Abidjan : Laborex, Copharmed et DPCI. Parfois aussi directement de France, notamment par le biais de la CERP Lorraine, de Direct Export, quand un produit n’est pas vendu en Côte d’Ivoire. Les pharmacies réalisent leur CA essentiellement sur le médicament. Beaucoup vendent des molécules françaises (80 % à la Pharmacie des Lagunes) mais aussi des médicaments issus de laboratoires indiens, chinois, tunisiens… Cipharm, le seul laboratoire ivoirien, ne produit que les molécules de base. « Nos 20-80. Les 20 produits qui font 80 % du CA », explique la présidente : paracétamol, antipaludéens, antipyrétiques, antidiarrhéiques, sirops pour la toux, antiparasitaires.
Côté commandes aux répartiteurs, les pharmaciens ne s’éparpillent pas afin de s’assurer des remises commerciales. Ils bénéficient d’un système d’escompte, valable auprès de chaque grossiste, qui permet de réduire de 2 % la facture si elle est payée dans les 5 jours après son émission. Une remise commerciale de 2 à 5 %, voire plus, est rattachée au volume des achats et du CA de l’officine et une prime de fidélité peut être proposée. « Avant, le syndicat négociait les remises, maintenant ce sont les grossistes qui décident. Il y a une concurrence entre eux », déplore Christine Kouamélan. Le système de facturation, lui, ne facilite pas la tâche des pharmaciens. « Nous avons les quinzaines, indique Pascale Aubry Keita, titulaire de la Pharmacie de la Zone 3 à Abidjan. Alors que les grossistes sont à 90 jours, les pharmaciens reçoivent une facture tous les quinze jours à payer dans les trente jours. C’est très dur. Il faut jongler avec le stock, nous n’avons pas la possibilité de ramener les produits, c’est stressant et au niveau des banques nous sommes toujours sur le qui-vive. » L’assurance (la Coface) qui accordait aux grossistes des crédits d’achat auprès de leurs fournisseurs a été supprimée. Par ce système des « quinzaines », les grossistes ont trouvé le moyen de récupérer leurs fonds. « Depuis quelques années, ils se sont mis à proposer des crédits d’installation aux pharmaciens qui deviennent leurs débiteurs, et c’est pernicieux », s’inquiète le syndicat.
Les Ivoiriennes veulent une « peau lisse »
La parapharmacie, qui se commande aussi auprès des grossistes, représente encore une part marginale des CA. « 10 %, c’est déjà une bonne chose, estime la Christine Kouamélan. Pourtant, c’est un domaine que les pharmaciens devraient récupérer et exploiter. » Un pharmacien de la capitale a créé son propre laboratoire, Dermopharm, qui vend des laits démaquillants, des laits pour le corps et des produits éclaircissants sans hydroquinone, lesquels marchent très fort ici. Les dermatologues, eux, prescrivent énormément dans les gammes d’A-Derma, de La Roche-Posay, Klorane, Avène, Roc, Uriage, Lierac ou Vichy.
Toutefois cette parapharmacie, fortement taxée à la douane, reste très onéreuse. La Pharmacie des Lagunes compte deux conseillères spécialisées dans ce type de conseils. Pascale Aubry Keita a pour sa part investi dans un « dermoanalyseur ». « Les femmes sont capables de dépenser beaucoup d’argent pour leur peau, quitte parfois à payer à crédit, comme certains patients paient leurs médicaments avec des bons », informe cette titulaire qui a en rayon les grandes marques de parapharmacie française, dont Carole Franck et Laino.
Beaucoup de femmes africaines sujettes à des imperfections de la peau viennent demander des conseils pour faire « peau lisse ». Certaines n’hésitent pas à débourser près de 30 € pour un tube de Depiwhite, soin dépigmentant intensif. Dans le même ordre d’idée, le tube de Redermic XL coûte près de 45 € et la crème de soin A-Derma prescrite à un bébé est à près de 30 € l’unité.
Pharmacies « par terre »
L’autre solution aux médicaments trop chers se trouve dans la rue, sur les trottoirs et les marchés des quartiers populaires d’Abidjan. Dans ces « pharmacies par terre » généralement tenues par des femmes, les malades trouvent à très bas prix toutes sortes de médicaments. Des faux, importés du Ghana ou du Nigeria ; des vrais, détournés des officines, périmés ou non ; des génériques et de plus en plus de produits toxiques… « Les vendeuses ne savent pas ce qu’elles écoulent, le client ne sait pas ce qu’il achète et il prend des risques pour sa santé », déplore un pharmacien. Le syndicat a estimé le CA de ce marché parallèle entre 5 et 10 milliards de francs CFA (8 à 15 M€). « Nous nous sommes mobilisés contre cette véritable mafia avec l’Ordre qui a porté plainte auprès des représentants de l’Etat il y a quelques années », rappelle le syndicat. Avec effet… momentané. Car, depuis, les vendeuses à la sauvette déambulent toujours dans les quartiers un plateau de médicaments en équilibre sur la tête, lorsqu’elles n’ont pas un stand à demeure dans certains marchés comme la rue des « Fournisseurs » à Adjamé. « Ces filles sont protégées par la police.? En outre, elles paient une patente à la municipalité pour leur étal », regrette encore le syndicat. Il y a eu quelques saisies et, au final, peu de réactions des autorités sur ce marché dit « informel ». Une tolérance existerait donc pour un marché qui facilite l’accès aux soins, tout aussi illicite et dangereux soit-il ? « Le problème c’est que certains pharmaciens l’ont eux-mêmes alimenté au début », reconnaît le syndicat. Certaines officines s’approvisionnent auprès des grossistes et revendent les boîtes de médicaments offertes en guise de remise… et payées cash, par le marché de rue. D’autres, subissant des difficultés d’approvisionnement du fait de leurs arriérés, vont se fournir elles-mêmes sur ce marché informel. De vraies pharmacies vendraient ainsi de faux médicaments… Considéré comme l’un des grands périls de l’Afrique, le trafic des faux médicaments, beaucoup moins contrôlé que celui de la drogue, serait en outre plus profitable, avec des bénéfices estimés entre 6 000 et 20 000 %! Il a donné lieu en 2009 à l’« appel de Cotonou », lancé par la fondation de Jacques Chirac et signé depuis par 10 chefs d’Etat africains. La Côte d’Ivoire ne l’a pas signé…
Garde perpétuelle en brousse
Les pharmaciens Ivoiriens sont soumis à des gardes que le syndicat se charge d’organiser. Elles se font par zone ou par commune. A Abidjan par exemple, un grand quartier comme Cocody (au nord du Plateau) est subdivisé en 4 zones. 4 pharmacies de ce quartier sont donc de garde la même semaine, 24 heures sur 24, du samedi 19 heures au samedi suivant, à 7 h 30. En brousse, point de système de garde ou, plus exactement, les pharmaciens sont tout le temps de garde. Lorsqu’il y a un seul pharmacien, il est même disponible depuis son domicile, sinon il confie sa pharmacie à un vendeur.
Des colliers de perles contre les vertiges
En Côte d’Ivoire, 80 % de la population utilise encore la médecine traditionnelle. Sur tous les marchés, des femmes vendent au poids toutes sortes d’écorces, de plantes ou de copeaux pilés écrasés ou en poudre présentés dans des sacs en plastique, et des liquides noirs à base d’herbes de la pharmacopée locale. Si elles ne connaissent pas toujours le nom de ce que leur livrent les « vieilles » venues de villages extérieurs, elles savent par contre pour quoi les conseiller : « Les gens viennent en connaissant leur maladie », explique une marchande de Treichville, à Abidjan, qui propose de la racine de mil contre l’anémie, des feuilles de bambou de Chine contre la fièvre typhoïde, du barakaoul pour le « 4 pattes » (pour faire marcher plus vite un enfant à quatre pattes), des écorces de gouna pour la tension, de manguier pour le paludisme, des feuilles de manioc pour les plaies de ventre (ulcère), et autres plantes contre les cocos (hémorroïdes), des boules de suie mélangée à du citron dénommées « tingalon si je savais » et vendues comme médicaments polyvalents et notamment antipoison, sans oublier les colliers de perle contre les vertiges…
A Adjamé, quartier très populaire d’Abidjan, plusieurs rues sont consacrées au « conditionnement » des multiples écorces ramenées de l’intérieur du pays. Des femmes, toujours. Parallèlement à cette production traditionnelle, sur laquelle planche la faculté de pharmacie, des petits étals se disent spécialisés en médecine chinoise. Sur le marché de Koumassi, Pacôme, titulaire d’une maîtrise de littérature française, s’est recyclé faute d’emploi dans la médecine « naturelle » : thé de Slim à l’aloé, thé de malaria fait en chine, antiparasitaires, antibiotiques naturels, poudres, écorces… mais aussi des comprimés à base de plantes pour des affections rénales (posologie inscrite sur la boîte : 1 à 24 cp par jour en trois prises…). Pacôme dit pouvoir déterminer après une prise de tension, si la maladie est grave, et en fonction prescrit un antibiotique naturel voire de la métronidazole made in China pour la prostate. « On ne soigne pas tout, mais beaucoup de choses. C’est l’expérience qui fait la science », résume-t-il. Son petit stand ambulant vend aussi des fioles de Santé Résurrection 100 % naturelles… efficaces sous révélation divine.
Depuis 2005, des missionnaires d’églises évangélistes américaines sillonnent en effet, le pays pour promouvoir une médecine du pauvre fondée sur des produits qui se veulent à base de plantes (mais sans aucune précision de la composition) et susceptibles de guérir toutes les maladies. Même le cancer. Les flacons sont vendus sous le sceau de l’AURGMPS (Association de l’unification des guérisons de maladies physiques et spirituelles). La révélation divine se trouvant probablement dans ces nouvelles églises.
Dépôt de brousse
A l’intérieur du pays, dans les villages de brousse, les pharmacies peuvent avoir des relais : les dépôts pharmaceutiques. A une époque, ces « magasins » pouvaient être créés par des non-pharmaciens. « Désormais ce sont des titulaires qui les ouvrent, avec un agrément du Conseil de l’Ordre lié à un réel besoin en médicament de la localité », informe le syndicat des pharmaciens. Ces dépôts dépendent généralement de la pharmacie installée dans le bourg le plus proche. Mais, parfois, deux peuvent se trouver à la même distance dans deux villages différents. « Cela pose beaucoup de problèmes, et les batailles donnent souvent lieu à des fermetures. »
Pascal Kablan, lui, fait partie de l’ancienne génération : il a ouvert sa boutique en 1987, à Assinie Mafia, petit bourg isolé à 80 kilomètres à l’ouest d’Abidjan, près du Ghana, qui compte toutefois une sage-femme, un médecin et une infirmière. Il s’est installé après un stage d’un an dans une officine d’Abidjan qui lui a permis de devenir employé de pharmacie. « Ici, je suis comme un docteur, les gens préfèrent venir me voir directement plutôt qu’aller à l’hôpital, soit parce qu’il n’y a pas de médecin soit parce que c’est trop cher. » Peut-être aussi parce que sa petite maison attenante le rend disponible 24 heures sur 24. La boutique aux airs de masure ne dépasse pas 10 m2. Paradoxalement, les patients peuvent y trouver toutes sortes de molécules importées de France ou d’Inde, et livrées par un pharmacien, sur lesquelles le vendeur marge à 20 % : Biotone, paracétamol, Tensionorm, Sédaspir, mais aussi de la progestérone, Stilnox, la pilule contraceptive Confiance (6,70 € les 3 plaquettes de 28 cp), Tanakan, des vaccins antitétaniques (à l’abri dans un frigo), des molécules contre le paludisme. Ce vendeur de produits pharmaceutiques assure le cas échéant lui-même certaines injections intramusculaires ou sous-cutanées. Et des conseils tous azimuts. Des étrangers ont pu y trouver en urgence un bon conseil et un médicament pour soigner efficacement une otite… Certains de ces vendeurs continuent d’être formés sur le tas, chez un pharmacien. Beaucoup passent désormais 6 mois ou un an dans des organismes plus ou moins officiels type école Pigier. « La demande est très forte, mais il n’y a aucun contrôle de ces centres », constate Christine Kouamélan la présidente du syndicat qui, elle, recrute ses stagiaires auprès de Médiphar International, organisme réputé, créé par un pharmacien pour former des auxiliaires en deux ans.
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