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« Innovation » contre génériques : le grand écart des dépenses en médicaments
En 2024, la dépense en médicaments de ville progresse de 5,5 % pour atteindre 34,5 milliards d’euros, selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees). Ce dynamisme contraste avec la baisse continue des prix (1,7 %) et s’explique par l’arrivée de quelques innovations à coût élevé. À l’inverse, les génériques, bien qu’en croissance en volume, peinent à accroître leur poids économique.
Avec 34,5 milliards d’euros dépensés pour les médicaments délivrés en ambulatoire, la part des produits pharmaceutiques dans la consommation de soins et de biens médicaux (CSBM) s’élève à 13,5 %. La progression annuelle en valeur (+ 5,5 %) dépasse largement la croissance du produit intérieur brut (+ 3,3 %).
Cette dynamique tranche avec la tendance longue : entre 2010 et 2023, la Drees a enregistré une baisse annuelle moyenne des prix remboursables de – 4,6 %. En 2024, la diminution se poursuit (- 1,7 %), mais reste contenue par rapport aux années précédentes. En parallèle, le volume progresse faiblement (+ 0,9 % de boîtes remboursables), ce qui confirme que la hausse de la dépense repose avant tout sur un petit nombre de molécules innovantes au coût unitaire élevé.
Innovations : quelques molécules concentrent la valeur
Le phénomène est connu mais s’accentue : la courbe de la dépense est tirée par quelques spécialités à très forte valeur. En 2024, le tafamidis (indiqué dans l’amylose cardiaque) atteint 808 millions d’euros de chiffre d’affaires (+ 34 %), soit un prix de près de 6 900 euros par boîte. L’apixaban, anticoagulant oral, génère 768 millions d’euros (+ 12 %). S’ajoutent d’autres entrants récents tels que le vutrisiran, le zanubrutinib ou encore le faricimab.
Ce « club restreint » d’innovations bouleverse les équilibres économiques. Officiellement, les prix affichés baissent, mais les remises conventionnelles négociées par le Comité économique des produits de santé (CEPS) avec les laboratoires atteignent désormais 14,5 % de la consommation ambulatoire, soit environ 5 milliards d’euros. Après un doublement entre 2020 et 2023, ces remises se stabilisent, mais elles accentuent l’effet ciseau : prix officiels en baisse, dépense réelle en hausse.
Génériques : la progression en volume ne suffit pas
En 2024, plus d’un milliard de boîtes de génériques ont été délivrées en ville. Leur poids en valeur atteint 4,7 milliards d’euros pour la seule part remboursable, soit 18 % du marché. En volume, les génériques représentent 43,1 % des boîtes remboursables (+ 1,1 point par rapport à 2023). Si l’on inclut l’ensemble du répertoire (médicaments princeps généricables et génériques), la part grimpe à 53 % des volumes et à plus de 31 % du chiffre d’affaires (8,3 milliards d’euros).
Mais leur part reste bridée par le tarif forfaitaire de responsabilité (TFR) et les baisses administrées. Les produits sous TFR reculent légèrement : 1,9 milliard d’euros en 2024 (22,6 %), contre 24,3 % en 2023. La progression des volumes ne se traduit donc pas par un gain de valeur pour les officines. La mécanique « prix/volume » est neutralisée par la politique tarifaire, alors même que les innovations absorbent une part croissante de la dépense.
Le paradoxe du remboursement : une prise en charge plus généreuse qu’il n’y paraît
En droit, la plupart des médicaments les plus prescrits sont remboursés à 65 %. Mais en pratique, grâce aux exonérations, notamment celles liées aux affections de longue durée (ALD), le taux effectif grimpe à 86 %.
La même distorsion s’observe pour les classes remboursées à 30 % (56 % effectif) et 15 % (38 % effectif). Conséquence : le reste à charge des ménages sur les médicaments reste limité et stable depuis 2021, à 12,6 % de la dépense, soit environ 4,3 milliards d’euros. À noter : ce reste à charge repose principalement sur les produits non remboursables, qui représentent 8 % de la consommation totale.
La situation française se distingue de celle d’autres pays européens. En Allemagne, par exemple, la part de reste à charge médicamenteux est plus élevée, tandis que les génériques ont conquis plus de 70 % des volumes.
Officines : une rémunération qui peine à suivre
Les honoraires de dispensation versés aux pharmacies atteignent 4,234 milliards d’euros en 2024 (+ 2,9 %), soit 12,3 % de la consommation ambulatoire. Les rémunérations forfaitaires et les actes liés aux missions – informatisation, permanence pharmaceutique, vaccination – progressent plus vite (+ 17,7 %, à 267 millions d’euros).
Mais le différentiel reste défavorable : la dépense médicamenteuse augmente deux fois plus vite que les honoraires. Pour les titulaires, l’érosion des marges unitaires, liée au couple prix administrés/remises et au poids croissant des innovations, n’est pas pleinement compensée par la montée des rémunérations liées aux missions de santé publique.
Biosimilaires : un potentiel encore sous-exploité
En 2024, les médicaments biologiques similaires génèrent 2,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires en officine, soit 8 % des remboursables. En moyenne, 44 % des volumes de groupes biologiques sont couverts par des biosimilaires, mais avec de fortes disparités selon les molécules (de 20 % à plus de 80 %).
La France reste en retrait par rapport à certains voisins européens, où la part de marché des biosimilaires dépasse 60 %. L’arrêté de 2025, autorisant la substitution officinale pour certains biologiques, pourrait constituer un tournant. Les pharmaciens auront alors un rôle clé, à la fois clinique et économique, dans la maîtrise de la dépense.
Trois paradoxes qui structurent l’économie du médicament
– Les prix baissent mais la dépense augmente : les innovations, rares mais coûteuses, tirent la dépense au-delà de la mécanique classique prix/volume.
– Les génériques progressent en volume mais stagnent en valeur : leur potentiel économique est limité par la régulation tarifaire, tandis que les innovations grèvent la facture globale.
– Le reste à charge des patients demeure stable grâce aux exonérations, mais la charge financière se déplace vers l’Assurance maladie et les mécanismes de remises.
Ce que doivent anticiper les pharmaciens
– Surveiller le mix délivré entre innovations et génériques/biosimilaires, qui impacte directement les marges.
– Valoriser les honoraires et les actes cliniques (permanence, missions de santé publique, accompagnement des patients chroniques) pour compenser l’érosion liée aux prix.
– Préparer la substitution biosimilaire, en investissant dans l’information et l’adhésion des patients comme des prescripteurs.
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