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- Et si les pharmaciens se mettaient à produire des médicaments génériques ?
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Et si les pharmaciens se mettaient à produire des médicaments génériques ?
Face à l’abaissement du plafond des remises, des groupements étudient une riposte : lancer leurs propres génériques en s’appuyant sur des façonniers. Pour les partisans, c’est un moyen de reprendre de la valeur et de sécuriser l’approvisionnement. Pour les sceptiques, un glissement de métier coûteux, risqué, et sans garantie de rentabilité.
Le débat a changé d’échelle avec les chiffres : là où 100 M€ étaient évoqués au départ, environ 350 M€ basculeraient des pharmacies vers les laboratoires. « Si on nous capte une part vitale de la valeur, soit on meurt, soit on intègre la chaîne », tranche Guillaume Racle élu national à l’Union des syndicats de pharmaciens d’officines (USPO). Alain Grollaud, président de Federgy, un groupement de groupements pose la question frontalement : « Qui profite du crime ? L’arbitrage s’est fait au profit des laboratoires et au détriment des officinaux. »
Si selon lui, les pouvoirs publics prennent désormais la mesure de cette erreur d’appréciation, au comptoir, la conséquence est double : érosion de marge et vulnérabilité accrue en cas de pénuries. D’où l’idée, désormais assumée par certains leaders, d’intégrer une part de la chaîne.
Les solutions envisagées : « produire » sans usines
Dans les faits, « produire » signifie devenir exploitant d’une marque de génériques et sous-traiter la fabrication à des façonniers (Europe/hors UE). L’exploitant porte la libération des lots, la qualité, la pharmacovigilance et la traçabilité. L’équation n’a de sens qu’avec des volumes agrégés et un catalogue resserré de molécules à fort débit. Des partenaires comme Substifarm ou KRKA sont cités comme options possibles.
Plusieurs groupements dépassent désormais 1 000 officines : en concentrant leurs commandes sur une liste courte et en négociant en bloc, la « marque de groupement » devient un business plan chiffrable.
Déjà à l’œuvre : l’exemple Évolupharm
« Fabriquer des génériques, nous le faisons déjà », rappelle François Douere, directeur général d’Évolupharm. La marque du groupement ÉvoluGen, lancée en 2010, couvre environ 60 % du répertoire : « Nos adhérents peuvent, pour 60 % des molécules EvoluGen, se fournir au groupement. »
Côté sites, la production est principalement en Espagne et en Grèce, aussi en France et en Pologne, un peu en Inde. Depuis le 1er septembre, « toutes les références que nous pouvons proposer sont à 30 % : nous sommes au plafond de remise. Avant, toutes étaient à 40 %. »
Le modèle revendiqué est celui d’un exploitant “léger” orienté marge officinale : pondérée 28 (vs 25 pour le marché) et + 15 à + 20 % de marge avec la MDD par rapport aux marques nationales. Temps gagné aussi : « Chaque personne au comptoir génère environ 105 000 € de marge par an ; gagner deux heures par semaine change déjà la donne. Nous sécurisons les achats et les approvisionnements pour récupérer des points de marge. »
Mutualiser entre tous les groupements ? François Douère reste prudent : « Rentable, oui, mais très compliqué : l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) exige un responsable identifié. Et en 2025, le ticket d’entrée (équipes, qualité, PV, investissements) est très élevé. »
Les freins vus par Hygie31
Pascal Fontaine, directeur commercial d’Hygie31, prend toute la mesure des enjeux économiques autour de la verticalisation : « Devenir producteurs n’est ni notre métier ni notre stratégie. Nous ne sommes pas un laboratoire et nous n’avons pas vocation à nous substituer aux grossistes, dont l’économie est déjà très tendue ; si nous franchissions ce pas, nous affronterions les mêmes contraintes qu’eux sans faire mieux. Notre cap, c’est de sécuriser la chaîne autrement – marques exclusives, accords complémentaires, parapharmacie – et d’élargir les répertoires de génériques et de biosimilaires. À force d’écraser les prix – un inhalateur type Ventoline vaut environ 4,50 € en France contre 15 € en Allemagne et 35 € en Italie – on accélère les ruptures ; poursuivie telle quelle, cette trajectoire mettra en danger jusqu’à 6 000 pharmacies. »
Selon lui, Biogaran et Viatris maintiennent de larges catalogues quand d’autres (ex. Sandoz) ont resserré l’offre : un signal de fragilité à ne pas ignorer.
Effets systémiques et paradoxe politique
Une « marque de groupement » rebat la chaîne : elle capte une part de marge amont, désintermédie à la marge la répartition, et met sous pression les génériqueurs historiques. Paradoxe : alors que l’État affiche la relocalisation comme priorité, ce modèle s’appuie largement sur des façonniers étrangers pour tenir l’équation coûts/volumes.
Et maintenant ?
La suite ne relève pas du slogan mais d’un cahier des charges. Pour convaincre, un groupement devra sélectionner 20 à 40 molécules à plus fort débit, verrouiller un double/triple sourcing (UE/hors UE), arrêter un schéma d’autorisation de mise sur le marché (licences, rachats) et installer une gouvernance d’exploitant crédible (qualité, traçabilité). Les seuls compteurs qui vaillent : taux de service en tension, stocks réglementaires tenus, coût net vs marché, impact réel sur les ruptures au comptoir.
Si ces indicateurs passent au vert, la marque de groupement deviendra un outil. Sinon, elle restera une hypothèse coûteuse. Entre reprendre la main sur une part de la chaîne et rester client – mais plus exigeant – des génériqueurs, la profession a désormais de quoi trancher, sur preuves.
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