Biosimilaires : la Cnam confie aux pharmaciens la mission d’économiser… sans les rémunérer

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Biosimilaires : la Cnam confie aux pharmaciens la mission d’économiser… sans les rémunérer

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Publié le 25 juin 2025
Par Christelle Pangrazzi
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Dans son rapport Charges et produits pour 2026, la Cnam fait des pharmaciens les vecteurs principaux de sa stratégie de régulation du médicament. Objectif : doper la substitution pour générer des économies grâce aux génériques et aux biosimilaires. Mais cette orientation intervient dans un contexte de plafonnement annoncé des remises commerciales, réduisant d’autant les incitations économiques à la substitution.

Publiée le 24 juin, la feuille de route de la Cnam vise à contribuer à hauteur de 3,9 milliards d’euros à l’effort de régulation de l’objectif national des dépenses d’Assurance maladie (Ondam). Génériques et biosimilaires y sont qualifiés de « réservoirs d’économies encore sous-exploités ». Pour les biosimilaires, la Cnam propose de leur appliquer l’arsenal qui a permis l’essor des génériques en ville :

– tiers payant incitatif,
– alignement des remboursements des bioréférents sur ceux des biosimilaires,
– élargissement des droits de substitution officinale.

Mais aucune revalorisation économique ou aucun dispositif d’intéressement n’est proposée en parallèle.

Biosimilaires : une pénétration toujours freinée

Malgré les outils conventionnels en place, les biosimilaires peinent à s’imposer en ville : 34 % de parts de marché en 2024, contre 90 % à l’hôpital. Le taux global plafonne ainsi à 47 %. Le différentiel avec les génériques reste frappant :

– à 12 mois, 55 % de pénétration pour les génériques, contre 8,5 % pour les biosimilaires ;
– à 36 mois, 70 % contre 14,5 %.

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Une cartographie ciblée des molécules à haut rendement

La Cnam dresse une liste précise de médicaments bioréférents ciblés :

– Lucentis (243,30 M€ remboursés en 2024, taux de substitution : 6 %) ;

– Humira (238,10 M€, 57 %) ;

– Gonal-F, inclus dans un gisement d’économies estimé à 40 M€.

Elle y ajoute Eylea (aflibercept, 500 M€) et Xolair (omalizumab, 170,50 M€), pour une économie potentielle de 130 M€ en 2026.

Des stratégies industrielles dans le viseur

Dans le domaine ophtalmologique, la Cnam dénonce des tactiques industrielles de contournement. L’arrivée des biosimilaires de ranibizumab (Ranivisio, Byooviz) n’a généré que 9,4 % de parts de marché fin 2024. Simultanément, Novartis et Roche ont introduit Beovu et Vabysmo, positionnés au prix des princeps et sans amélioration du service médical rendu (ASMR V). Le cas de Vabysmo est même qualifié de défavorable en termes de conditions d’usage (5,8 injections/an, fréquence la plus élevée de sa classe).

La réponse de la Cnam ? Constituer des « jumbo groups », inspirés des groupements hospitaliers, regroupant les molécules interchangeables économiquement, indépendamment de critères cliniques stricts.

Coup de frein sur les remises : le paradoxe

Le 20 juin, quatre jours avant la publication du rapport, une réunion de concertation au ministère de la Santé a proposé sur les remises commerciales :

– un plafonnement entre 20 et 25 % pour les génériques (contre 40 % en moyenne aujourd’hui),
– un taux à 15 % pour les biosimilaires.

La mesure a immédiatement déclenché la colère des syndicats. Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) dénonce une « attaque frontale contre notre économie ». Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) chiffre à 500 millions d’euros les pertes potentielles pour le réseau officinal.

Dans certaines zones rurales, les remises représentent jusqu’à 40 % du résultat d’exploitation, et en moyenne 25 000 euros par pharmacie.

Une réforme tarifaire ciblée sur les génériques

Le rapport relance également la réforme de l’article 66 de la Loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2019. Ce texte visait à limiter la base de remboursement au prix du générique, en cas de refus de substitution. Mais la LFSS 2020 a introduit un délai de deux ans pour éviter les alignements artificiels de prix.

La Cnam propose de ramener ce délai à un an, et de fixer la base de remboursement au prix du générique le moins cher. L’objectif ? Maximiser les économies sur des molécules comme Eliquis, Xtandi ou Forxiga dès leur entrée dans le Répertoire.

Cette mesure ne concerne pas les biosimilaires, même si la Cnam appelle à leur appliquer « des dispositifs analogues ».

Régulation unilatérale : les pharmaciens suivront-ils ?

En renforçant les obligations sans revalorisation, la Cnam fait le choix d’une régulation à sens unique. Or le succès des génériques s’est bâti sur un équilibre entre incitation économique et maîtrise des volumes. En l’absence de marges différenciées ou de nouvelles rémunérations sur objectifs de santé publique (Rosp), les pharmaciens pourraient ne pas accompagner la dynamique souhaitée. Le gouvernement peut-il espérer des résultats économiques sans reconstruire les leviers incitatifs ?

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