« Améliorer l’information des patients »

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Publié le 7 mai 2013
Par Fabienne Colin
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Pour son ouvrage « L’automédication ou les mirages de l’autonomie », Sylvie Fainzang est allée observer les patients à leur domicile et décrypter leurs armoires à pharmacie. Elle nous livre les attentes des Français vis-à-vis de la « self medicine ».

« Pharmacien Manager » : Quel est le principal enseignement de votre travail d’enquête ?

Sylvie Fainzang : Contrairement à une idée reçue, l’automédication n’est pas nécessairement une pratique à laquelle on recourt tant que le problème est minime, avec l’intention de consulter un médecin si les symptômes persistent. Parfois il se produit l’inverse. Un patient qui va voir un médecin de façon répétée et dont le problème persiste malgré les traitements prescrits peut essayer de trouver une solution lui-même.

P.M. : Dans cette volonté d’automédication, le pharmacien peut-il aider ?

S.F. : Oui, dans certains cas, le patient voit un pharmacien pour un conseil. Dans d’autres cas, le patient a la même position critique vis-à-vis du pharmacien que vis-à-vis du médecin. Toutefois, le pharmacien reste l’interlocuteur privilégié dans le champ des médicaments. D’une part, on attend de lui qu’il soit compétent en tant que professionnel de santé et on le jugera sur les résultats de ses conseils. D’autre part, le pharmacien sera jugé sur ses intentions en tant que commerçant. Il existe une tension entre les deux statuts de professionnel de santé et de commerçant.

P.M. : Quel est l’enjeu de cette tension ?

S.F. : Si le pharmacien donne davantage l’impression qu’il accorde plus d’importance à la dimension « commerçant » qu’à la dimension « professionnel de santé », il peut perdre une partie de la confiance acquise auprès du client. Un exemple m’avait frappé pendant les entretiens menés auprès de patients pour ma recherche. Une femme voulait de l’Imodium. Le pharmacien lui a apporté du Lactéol, affirmant que c’était la même chose. La patiente imaginait que c’était une sorte de générique. Or il ne s’agit pas de la même molécule. Ce n’est pas ainsi qu’on va éduquer les patients. Une telle situation érode la confiance. Le client peut penser que le pharmacien veut lui vendre quelque chose à tout prix, pour « emporter l’affaire ». Si ce dernier avait expliqué que le principe actif était différent mais adapté au problème, la cliente aurait réagi différemment. Au-delà de la compétence, l’usager attache une grande importance à l’intention du pharmacien.

P.M. : Cet usager attend-il que le pharmacien l’éduque ?

S.F. : Le patient attend des conseils du pharmacien en tant que personne ayant une connaissance spécifique du médicament, notamment sur les effets indésirables, les interactions médicamenteuses… Parfois son attente est même un peu excessive. Il montre son symptôme au pharmacien pour avis. Il attend un diagnostic. Or, nous sommes là à la limite des compétences du pharmacien, qui n’est pas formé à l’examen clinique. Parfois aussi, le patient ne se rend pas compte que les conseils prodigués par le pharmacien sont fondés sur un véritable savoir. Il peut mettre en concurrence son avis avec d’autres pris autour de lui, émanant de sa famille, de collègues, d’Internet… On se rend compte là que la notion de « conseil » est très ambiguë. On utilise le même mot pour le « conseil » d’un professionnel de santé et celui d’un proche. Or l’usager va se faire une doctrine à partir de tous ces avis, pourtant pas du même niveau. Il est très en attente d’une multitude de conseils. La répétition d’un conseil, avec plusieurs avis convergents, fera quasi-office de preuve. On remarque là un manque de discernement sur la source du conseil.

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P.M. : Les pharmaciens jouent-ils vraiment ce rôle d’éducation ?

S.F. : Certains le font, comme ceux qui s’ouvrent à l’éducation thérapeutique dans le cadre des maladies chroniques. Pour d’autres, céder un peu de leur pré carré n’est pas vu d’un très bon œil. De nombreux pharmaciens n’apprécient pas le recours à Internet, qui est très diabolisé. Bien sûr, des choses assez délirantes circulent sur le web, mais on peut aussi entendre des informations aussi farfelues au quotidien autour de soi… La réticence vis-à-vis d’Internet n’est pas toujours très fondée.

P.M. : Les Français sont-ils prêts à prendre leur santé en main ?

S.F. : Oui, ils ont de plus en plus envie d’avoir recours à l’automédication. Cela vient notamment des politiques publiques de déremboursements et des mesures visant à rendre les médicaments plus accessibles matériellement par le biais du libre accès. Mais si je parle des « mirages de l’autonomie » dans mon livre, c’est que, pour l’instant, les pouvoirs publics demandent aux gens de se prendre en charge alors que dans la réalité il n’existe aucune information suffisante pour donner accès à cette autonomie. Regardons les consignes données aux usagers. On leur dit d’aller voir leur pharmacien pour un conseil. Au final, on attend du patient qu’il suive ce conseil mais sans lui procurer de savoir supplémentaire sur le médicament. Il s’agit d’une fausse autonomie. Etre autonome c’est avoir la possibilité de prendre une décision, fondée sur une réflexion, avec discernement, esprit critique… Inciter à demander conseil à un professionnel de santé, c’est accorder à l’usager seulement la responsabilité financière de son achat.

P.M. : On parle de plus en plus « d’accompagnement du patient ». Est-ce bien perçu ?

S.F. : Oui, si l’idée de cet accompagnement est de réellement informer, de permettre d’accroître le savoir de l’usager. Non, s’il s’agit d’imposer l’achat d’un médicament sans que le patient puisse comprendre pourquoi et en étant bien obligé de faire confiance. Dans ce cas il sera très frustré car dans l’impossibilité d’acquérir une autonomie.

P.M. : Sans cette autonomie de choix, le libre accès est-il raisonnable ?

S.F. : Je pense qu’il faut conserver le libre accès mais améliorer l’information des patients sur les médicaments. Interdire l’accès aux médicaments pour limiter le mésusage serait une manière d’infantiliser les gens. Eduquer et rendre autonome, cela passe par des explications : comment prendre un traitement, à quel moment, pourquoi…

Anthropologue, Sylvie Fainzang est directrice de recherche à l’INSERM et membre du Cermes3 (Centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale, société). Elle est aussi responsable scientifique du réseau Medical Anthropology At Home (MAAH) et rédactrice en chef de la revue « Anthropologie & Santé ». Parmi ses ouvrages figurent « La relation médecins-malades : information et mensonge » (PUF, 2006) et « L’automédication ou les mirages de l’autonomie » (PUF, 2012 »), pour lequel elle a travaillé à partir d’entretiens et d’observations en allant à la rencontre des patients chez eux et en examinant leur boîte à pharmacie.