Vidéosurveillance par algorithme : entre interdiction de la Cnil et tentative de légalisation

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Vidéosurveillance par algorithme : entre interdiction de la Cnil et tentative de légalisation

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Publié le 28 septembre 2025
Par André-Arnaud Alpha
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La vidéosurveillance algorithmique, jugée illégale par la Cnil en l’absence de cadre légal, est déjà déployée dans des milliers de commerces. Une proposition de loi pourrait changer la donne.

« La vidéosurveillance par algorithme n’est pas un simple développement de la vidéosurveillance par caméra mais un nouvel outil de surveillance. Par son caractère intrusif et son impact sur les droits et libertés publics lorsqu’elle est utilisée pour réprimer des actes délictueux, nous considérons que, suivant l’article 34 de la Constitution, cette utilisation doit être autorisée par une loi », explique Marie Duboys Fresney, du service de l’économie numérique et du secteur financier de la Commission nationale informatique et liberté (Cnil). La Cnil appelle à un débat de société sur l’utilisation de cette technologie et envisage un encadrement légal comparable à celui des caméras antivol « classiques ».

Une solution pour le moment illicite…

L’installation de ces équipements dans des lieux fréquentés par le public – régie par le Code de sécurité intérieure (CSI) – est par principe interdite et soumise, au cas par cas, à autorisation préfectorale. Les commerces qui souhaitent s’en doter ont donc l’obligation de formuler une demande à leur préfecture. À l’autre bout du spectre technologique, les solutions d’analyses de données biométriques – comme la reconnaissance faciale – sont, elles, bien encadrées par le règlement européen de la protection des données (RGPD), considère la Cnil.

Un vide juridique pointé par la Cnil

Entre les deux, la vidéosurveillance algorithmique (VSA) n’est prévue ni par le CSI ni par le RGPD. Étant donné l’absence de loi pour l’encadrer, la Cnil considère la VSA antivol dans les lieux ouverts au public non conforme au RGPD. Une position qui s’est concrétisée en juin 2024 par sa décision prise contre la société Veesion. Après enquête dans les locaux de cette entreprise et de plusieurs de ses clients commerçants, la Cnil a prévenu Veesion qu’elle informerait ses clients de la non-conformité de son logiciel au RGPD. Pour s’y opposer, Veesion a introduit deux instances devant le tribunal administratif. Le tribunal a rejeté la première en juin 2024 et Veesion s’est désistée de la seconde en juin 2025. Conséquence : la décision de la Cnil à l’encontre de Veesion est devenue définitive confirmant l’illicéité de sa VSA contre le vol à l’étalage.

Une technologie déployée avant d’être encadrée

Gros hic : portés par la vague de l’intelligence artificielle et des levées de fonds, les fournisseurs de ce type de VSA n’ont pas attendu les analyses juridiques de la Cnil pour vendre leur logiciel. Créée en 2018 par trois anciens étudiants de l’École polytechnique et d’HEC, Veesion, société phare de ce secteur, a levé plus de 48 millions d’euros (notamment auprès de Bpifrance) et revendiquait, en 2024, 3 000 commerces équipés, dont 1 800 en France, incluant 650 officines. Autre fournisseur, Lease Protect France (installateur de caméras associé à l’éditeur de logiciels Oxania) indiquait avoir équipé, entre 2022 et 2024, près d’une centaine d’officines dont une soixantaine dans la région lyonnaise. Au total, au moins 700 pharmacies seraient donc équipées de VSA (vendue généralement de 200 € à 500 €/mois pour quatre à huit caméras), désormais considérée comme non conforme au RGPD.

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Des logiciels déployés avant validation juridique

« En cas de contrôle d’une équipe de la Cnil, les commerces utilisant cette VSA pourraient recevoir une sanction allant de la mise en demeure jusqu’à une amende de 4 % de leur chiffre d’affaires. Cependant, de nombreux traitements de données non conformes font simplement l’objet d’un rappel aux obligations légales. Notre site affiche régulièrement des exemples de sanctions », indique Marie Duboys Fresney. Si ces péripéties juridico-administratives semblent avoir enterré la VSA en magasin, sa renaissance pourrait venir du côté législatif.

En voie de légalisation ?

S’émouvant des pertes dues aux vols à l’étalage, le député Paul Midy (Essonne, groupe Ensemble pour la République), qui a aussi fait ses classes à Polytechnique puis a travaillé sept ans au cabinet McKinsey avant de diriger quelques start-up, est à l’origine d’une proposition de loi visant à autoriser la VSA antivol pour les commerçants. Cosignée par 41 de ses collègues, cette proposition déplore dans ses motifs que « le vol à l’étalage constitue un véritable fléau économique. Ce n’est pas un phénomène isolé mais bien un problème global : chaque année, ce sont plus de 120 milliards d’euros qui sont perdus par les commerçants dans le monde. En France, ces pertes peuvent représenter jusqu’à 4 % des ventes annuelles ». Déposée le 18 mars 2025, sa proposition a été renvoyée pour examen à la Commission des lois avant un éventuel débat en séance publique.

Des usages encore très imparfaits sur le terrain

Côté pratique, les officines déjà équipées de VSA restent circonspectes. Si elles reconnaissent son efficacité comme moyen de preuve et de persuasion face aux clients indélicats, elles déplorent largement le nombre d’alertes erronées et la nécessité « d’éduquer » le logiciel. Car la VSA n’est pas livrée prête à l’emploi. Une fois installée, elle transmet des séquences vidéo suspectes qui doivent être validées ou rejetées par l’équipe (d’où le nombre de faux positifs) afin de gagner en pertinence dans ses détections. Techniquement et légalement, la VSA contre le vol à l’étalage doit donc encore faire ses preuves.

L’expérience des Jeux olympiques 2024

La VSA a la faveur des pouvoirs publics (gouvernement, municipalité, législateurs, etc.). Autorisée par la loi 2023-380 à titre expérimental jusqu’à fin mars 2025 à seule fin de sécuriser les manifestations sportives, récréatives ou culturelles telles que les JO 2024, elle pourrait être utilisée jusqu’à fin décembre 2027 si l’Assemblée valide le projet de loi « Jeux olympiques et paralympiques de 2030 » (adopté par le Sénat le 24 juin dernier). Examen prévu à partir de septembre.