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L’IA en officine, entre promesses technologiques et réalité de terrain
L’intelligence artificielle commence à trouver sa place dans le quotidien officinal. Sécurité des ordonnances, triage clinique, automatisation : si les outils restent encore limités, certains usages concrets transforment déjà le métier de pharmacien.
Depuis quelques années, les promesses de l’intelligence artificielle (IA) se multiplient dans le secteur de la santé. Mais à l’échelle de l’officine, les outils réellement dotés de fonctionnalités intelligentes restent rares et leur utilité doit être évaluée à l’aune de critères rigoureux. En se fondant sur des usages existants et des retours de terrain, quel est l’état des lieux des apports concrets, bien que limités, de l’IA dans l’exercice officinal ?
L’un des tout premiers champs investis par l’IA est celui de la dispensation. Certaines solutions se positionnent comme des aides à la sécurisation de l’acte pharmaceutique. Hélène Charrondière, fondatrice du cabinet d’analyse Health Analytica, identifie trois cas d’usage concrets : « L’intelligence artificielle permet d’automatiser le double contrôle d’ordonnance, de suggérer des alternatives médicamenteuses et d’identifier des ordonnances potentiellement falsifiées. »
Sécuriser la dispensation grâce à l’intelligence artificielle
Ces fonctionnalités sont généralement intégrées à des logiciels métier ou à des modules complémentaires développés par les éditeurs de logiciels de gestion officinaux (LGO). Elles reposent sur des algorithmes capables de croiser des données issues de l’ordonnance avec des bases de vigilance, les disponibilités produits ou des historiques patients, en tenant compte de facteurs comme l’âge ou les interactions médicamenteuses.
Repérage des erreurs, alertes sur les interactions et posologies
Ces systèmes ne prennent aucune décision à la place du pharmacien, mais leur capacité à signaler une incohérence ou à accélérer le repérage d’un substitut pertinent contribue à sécuriser et rationaliser l’acte de dispensation. « Une solution à base d’IA, ce n’est pas un simple moteur de recherche, insiste notre interlocutrice. Elle doit pouvoir exécuter une tâche dans un environnement complexe, sans guidage constant et s’améliorer par l’expérience. »
Ce niveau d’autonomie et d’apprentissage reste limité actuellement, mais certaines briques logicielles commencent à s’en rapprocher, notamment dans l’analyse de profils thérapeutiques ou l’aide à la validation de traitements complexes.
L’automatisation du double contrôle d’ordonnance
Une des applications concrètes les plus avancées de l’IA en pharmacie concerne d’ailleurs l’automatisation du double contrôle des ordonnances. Des solutions, comme celles développées par Synapse Medicine ou Posos, utilisent des algorithmes pour détecter des erreurs de posologie, des interactions médicamenteuses, ou encore des contre-indications en fonction du profil du patient.
« Ces outils ne se substituent pas au jugement du pharmacien, mais apportent un filet de sécurité supplémentaire, notamment en période de forte affluence ou en situation de fatigue », poursuit Hélène Charrondière.
Gagner du temps sans sacrifier la vigilance humaine
Ces outils prennent tout leur sens dans un contexte de surcharge croissante de l’officine, où la pression temporelle réduit la marge d’erreur acceptable. Leur utilisation ne remplace pas la vigilance du professionnel, mais permet de gagner quelques précieuses secondes dans la validation d’une ordonnance complexe. Ce sont ces petites marges qui, cumulées, peuvent améliorer significativement la qualité de la prise en charge quotidienne. Leur intégration dans les logiciels de gestion officinaux reste cependant hétérogène selon les éditeurs.
Triage clinique assisté : les exemples suisses
La Suisse offre un retour d’expérience précieux sur l’intégration d’outils intelligents dans la relation au patient. Depuis plusieurs années, certaines pharmacies suisses pratiquent un « triage clinique » de premier recours, encadré par des protocoles et des outils numériques structurés.
Dre Ralitza Gauthier, pharmacienne responsable de l’officine Pharma24 à Lausanne, explique :
« Nous utilisons des arbres décisionnels élaborés par des pharmaciens cliniciens et des médecins, qui permettent de prendre en charge environ 30 pathologies bénignes en officine, comme les cystites, les piqûres, ou les douleurs lombaires. »
Protocoles et algorithmes en première ligne
Ces protocoles sont intégrés à des plateformes numériques d’aide à l’évaluation clinique, comme le SMASS (Swiss Medical Assessment System). L’outil repose sur des algorithmes décisionnels qui guident le pharmacien via une série de questions structurées pour identifier la gravité des symptômes, repérer les drapeaux rouges et orienter le patient.
« Le SMASS améliore la sécurité décisionnelle en officine et offre une meilleure accessibilité aux soins primaires, en particulier dans les zones sous-dotées ou en période de forte demande », explique le Dr Andreas Meer, médecin en Suisse et expert en systèmes de santé.
L’accès aux soins facilité en pharmacie
Dans certains cas, une téléconsultation médicale est proposée directement en pharmacie. Et, selon les retours collectés à Pharma24, « seuls 5 % des patients ayant bénéficié de ces entretiens-conseils ont dû consulter un médecin dans les jours qui ont suivi », affirme de son côté la pharmacienne suisse.
Toutefois, le cadre légal suisse, bien que plus souple qu’en France, conditionne cette mise en œuvre. La prestation repose sur l’article 24 de la loi sur les produits thérapeutiques (LPTh) et sur une formation spécifique appelée « Anamnèse en soins primaires ». La prestation « n’est pas prise en charge par l’assurance maladie obligatoire », déplore Dre Ralitza Gauthier, « mais peut être remboursée par certaines complémentaires », précise-t-elle.
Une inspiration pour le modèle français ?
Ces outils ne relèvent pas toujours de l’intelligence artificielle stricto sensu, mais ils montrent comment une approche algorithmique structurée peut soutenir l’activité clinique du pharmacien sans sortir de son périmètre de compétences. La France pourrait s’inspirer de cette approche en expérimentant des protocoles similaires dans les territoires sous-dotés. En s’appuyant sur des outils semi-automatisés et des formations ciblées, le pharmacien pourrait devenir un point d’accès plus direct à des soins légers mais urgents. Une telle évolution nécessiterait toutefois un cadre juridique rénové, garantissant à la fois la sécurité des actes et la reconnaissance économique de cette mission.
Vers une automatisation des fonctions support
Autre champ d’application en cours de structuration : l’automatisation intelligente de tâches administratives et de gestion. Plusieurs éditeurs intègrent désormais des assistants rédactionnels pour faciliter la rédaction de bilans de médication ou de comptes rendus d’entretien pharmaceutique. Ces assistants s’appuient sur des modèles d’IA générative entraînés à partir de corpus spécialisés. « On voit émerger des outils capables d’analyser des données cliniques simples pour générer un texte structuré, adapté à la pratique officinale », observe Hélène Charrondière.
Et l’entretien pharmaceutique ?
Un autre domaine en développement est celui de l’assistance à la rédaction de bilans de médication partagés. Certaines solutions basées sur le traitement automatique du langage naturel permettent de générer un compte rendu structuré à partir d’un entretien oral, tout en proposant des suggestions de suivi ou d’adaptation thérapeutique.
Conformité RGPD et sécurité des données
« C’est un gain de temps non négligeable, notamment dans les pharmacies qui ont intégré les entretiens pharmaceutiques dans leur activité », souligne la fondatrice de Health Analytica. La sécurisation des données et la conformité avec le règlement général sur la protection des données (RGPD) demeurent toutefois des prérequis incontournables.
L’IA au service de la gestion et de la logistique
Certaines solutions permettent également de fluidifier les approvisionnements et de synchroniser les flux commerciaux. Cela concerne le pilotage automatisé des commandes, la signature de devis, la facturation, la gestion de litiges ou encore le reporting.
« Ces fonctionnalités visent à soutenir le pharmacien titulaire dans son rôle de chef d’entreprise, en l’aidant à trancher en cas d’incertitude ou à anticiper certaines évolutions de consommation », poursuit-elle.
Soutien à la décision pour les titulaires d’officine
Côté gestion, des outils prédictifs se développent pour optimiser les achats, les réassorts ou encore la gestion des stocks sensibles. En analysant les historiques de vente, les pics saisonniers ou les ruptures récurrentes, certains logiciels peuvent désormais proposer des seuils de commande dynamiques, voire recommander des substitutions fournisseurs en temps réel. Si ces fonctions relèvent davantage de l’algorithmie avancée que de l’IA au sens strict, elles préfigurent une automatisation plus fine du rôle du titulaire-gestionnaire.
Sécurité renforcée
Côté sécurité, des modules de surveillance vidéo couplés à de l’IA peuvent aujourd’hui détecter des comportements suspects en temps réel. Ce type de technologie, déjà éprouvé dans le commerce de détail, commence à être testé dans des officines urbaines à fort passage. Là encore, la promesse n’est pas de remplacer la vigilance humaine, mais d’alerter plus vite et plus efficacement.
L’analyse vidéo assistée par IA permet par exemple de prévenir en cas de comportement suspect ou de vol à l’étalage, en identifiant des séquences anormales dans le flux capté par les caméras de surveillance. Cela reste marginal dans les pharmacies indépendantes, mais commence à être testé dans certaines grandes surfaces de santé ou réseaux intégrés.
IA ou simples automatisations ?
Reste une difficulté centrale : celle de l’identification des vraies solutions à base d’IA. « Sur plus de 130 outils se présentant comme innovants pour l’officine, seuls cinq embarquent réellement de l’intelligence artificielle », détaille Hélène Charrondière.
Elle appelle à distinguer les outils qui s’inscrivent dans une logique d’automatisation simple, et ceux capables d’exécuter des tâches dans des environnements dynamiques, en intégrant une part d’apprentissage ou de modulation.
Assistants de traduction et de reconnaissance visuelle
Dans les années à venir, de nouvelles briques pourraient s’imposer, portées à la fois par des start-up et par les partenaires historiques des pharmaciens. On voit déjà poindre des solutions de traduction automatique intégrée pour faciliter l’accueil de patients non francophones, ou encore des outils de reconnaissance visuelle permettant d’identifier un médicament à partir de sa forme ou de son emballage.
Le rôle clé des groupements
Les groupements et enseignes auront un rôle à jouer dans l’évaluation, la mutualisation et le déploiement de ces solutions. Mais pour l’heure, l’enjeu principal reste d’identifier clairement les outils disponibles et d’en mesurer l’utilité réelle dans le quotidien officinal.
Vers une pharmacie augmentée, mais encadrée
L’enjeu des prochaines années sera donc moins l’apparition de nouveaux outils que leur intégration fluide dans les process existants. Pour que l’IA devienne un véritable levier au service du métier, « il faudra que les pharmaciens soient accompagnés non seulement techniquement, mais aussi sur le plan réglementaire, éthique et économique », conclut Hélène Charrondière. L’adhésion des équipes officinales reste d’ailleurs un enjeu central.
Des outils intuitifs mais pas intrusifs
Pour que ces solutions trouvent leur place, elles doivent être intuitives, non intrusives, et réellement compatibles avec les flux de travail réels. L’IA ne doit pas ajouter de la complexité au quotidien, mais au contraire fluidifier ce qui peut l’être sans rogner sur le cœur du métier.
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