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« L’hydroxychloroquine est peut-être un médicament utile, mais ce n’est pas affaire de sondages »
Luc Ferry porte un regard perçant sur ce nouveau coronavirus qui n’en finit pas de bousculer une société que l’on croyait enveloppée dans ses certitudes. Non sans nuancer nos envies de changement.
L’hécatombe à laquelle on a assisté dans les Ehpad traduit-elle quelque chose de notre société actuelle ?
Parler contre la vieillesse est chose fort aisée. Nos sociétés, fascinées par la beauté des corps, par le culte du sport et des performances physiques, par les jeux de la séduction et du sexe, tiennent la vieillesse en horreur. En témoigne, pardon pour la banalité du propos, le fait qu’elles prétendent sans cesse davantage nous offrir des moyens de rester jeunes : diététique, centres de fitness, de body building, de thalasso, etc., mais aussi chirurgie esthétique et botox en tout genre. Du reste, contre la vieillesse, il existe tout un arsenal de mots célèbres (du genre : « La vieillesse est un naufrage »), comme de plaisanteries d’un goût douteux (« En vieillissant, les raideurs se déplacent »). Et ça fait toujours rire… Pour nous, modernes, engagés dans des sociétés « progressistes », de part en part vouées au changement perpétuel, à la rupture incessante avec le passé et à l’innovation, la jeunesse est censée incarner un avenir meilleur. Les générations qui viennent, telle est l’idée qui affleure avec le XVIIIe siècle et la Révolution française, seront forcément plus « éclairées », plus savantes et plus civilisées que celles du passé. Obsédés par la nouveauté, par l’angoisse de prendre du poids, des rides et des cheveux blancs, nous ne cessons de haïr le vieillissement, de le repousser par tous les moyens. Nous en perdons l’idée que le monde des adultes, quand il est réussi, est malgré tout plus intense, plus intéressant, plus riche et plus profond que celui de l’enfance. Revers de la médaille, nous sous-estimons la vieillesse. S’il est vrai qu’elle peut être un naufrage, elle est aussi le seul moment de nos vies où tout est en nous, nos échecs et nos succès, nos tristesses et nos joies, nos amours et nos haines, bref, cette historicité qui fait l’humanité de l’homme et que l’on doit respecter, voire admirer, jusqu’au dernier souffle de vie.
« 60 % des Français croient en l’efficacité de l’hydroxychloroquine ». Ces sondages sur les croyances dans le domaine du médicament interpellent les professionnels de santé. Dans une période comme celle-ci, doit-on « assouplir » les indications thérapeutiques en fonction de l’opinion ?
Ce sondage est un scandale, une preuve de l’immensité de la bêtise humaine. Pas de malentendu : il est possible que l’hydroxychloroquine (HCQ) soit un médicament utile, je n’en sais rien, mais en toute hypothèse, ce n’est pas affaire de sondages. Toute la difficulté tient ici au fait que les scientifiques n’étant pas d’accord entre eux, et les résultats des études randomisées pas encore disponibles, les politiques sont plongés dans l’incertitude. En attendant, ils doivent quand même décider. Que disent les médecins des villes, du moins ceux qui plaident pour l’usage de l’HCQ ? Que les tests du Pr Raoult sont certes imparfaits, mais que l’efficacité de son médicament reste malgré tout possible, que de toute façon c’est le seul à disposition, qu’ils en connaissent parfaitement les effets secondaires, ce médicament étant en vente libre depuis des décennies. Ils ajoutent que la médecine est un art autant qu’une science, qu’ils prescrivent tous les jours des molécules qui ont, comme tout remède efficace, des effets secondaires potentiels. Ils plaident ensuite qu’il vaut mieux assurer un suivi médical en ville plutôt que de laisser s’installer une automédication que l’interdit qui leur est fait favorise. Enfin, ils soulignent à juste titre que si l’HCQ a un effet, ce ne peut être qu’au début de la maladie, pendant la période virale, avant la surinfection, ce dont ils sont meilleurs juges que leurs confrères de l’hôpital puisqu’en tant que praticiens de terrain, ce sont eux qui voient les malades en premier. Il s’agit en effet d’un antiviral destiné à bloquer l’entrée du virus dans les cellules de sorte qu’il n’a plus d’intérêt quand l’invasion a eu lieu et que les complications pulmonaires sont là. En conscience que toute décision est aussi hasardeuse qu’urgente, il me semble qu’on aurait dû faire confiance aux praticiens de ville, le risque de leur interdire d’exercer librement paraissant au final plus grand que celui d’autoriser.
Plus généralement, comment garder son discernement quand l’émotion collective se fait pressante ?
Le problème n’est pas là. Garder son discernement est le minimum que l’on puisse exiger des politiques. La vraie question, comme je viens de le suggérer, est ailleurs, à savoir dans le fait qu’ils doivent parfois décider dans l’urgence alors que les désaccords entre scientifiques ne permettent pas d’avoir une certitude. Plus nous connaissons le Covid-19, plus les incertitudes grandissent sur l’immunité collective, l’efficacité des anticorps, sur celle des différents médicaments proposés par Gilead et Sanofi, sur la fiabilité des tests, etc. Peut-être que ces inconnues seront levées au moment où vous publierez cet entretien, mais au moment où je vous parle, elles grandissent paradoxalement au fur et à mesure que la recherche avance. Reste que certaines décisions ne peuvent pas attendre et qu’il faut choisir entre des risques opposés… au risque de se tromper.
Que nous révèle cette crise sur les soignants ? Et qu’est-ce qu’elle révèle en eux ?
Tout le monde l’a dit : ils font un travail formidable, avec un courage exceptionnel face à la maladie qui peut les atteindre chaque jour, face à la mort des gens qu’ils ont tout fait pour sauver. Il faudra s’en souvenir quand on reviendra sur la réforme de l’hôpital. Il est probable qu’on les écoutera enfin mieux qu’on ne l’a fait depuis deux ans qu’ils sont en grève…
Pensez-vous que cet épisode sera de nature à précipiter les relocalisations, en particulier dans la production de médicaments ?
Sans doute, mais de façon néanmoins marginale. On n’en finit pas de nous rebattre les oreilles avec le « jour d’après ». La vérité, c’est qu’à 99 %, il sera tout simplement comme ceux d’avant en plus pauvre, moins facile à vivre et plus contraignant. Nos politiques annonceront des changements grandioses, ils nous promettront, trémolos dans la voix, qu’un autre monde est possible, qu’on va relocaliser, réindustrialiser, reconquérir notre indépendance sanitaire et alimentaire… et puis s’apercevant (en fait ils le savent déjà) que ça coûte un « pognon de dingue » et qu’ils n’ont plus un radis, tout cela finira par s’évanouir aussi vite qu’une promesse mitterrandienne d’avenir radieux en l983. Qu’on le veuille ou non, il faudra bien rattraper le temps, le travail et l’argent perdus, faire de gros efforts pour revenir au niveau de performance et de bien-être que nous avions acquis dans tous les domaines depuis la Seconde Guerre mondiale. Ceux qui pensent qu’on va enfin tout changer vont tomber de haut. Donc oui, il y aura quelques relocalisations, il faudra tenter, plus généralement, de réindustrialiser la France, mais cela suppose cette politique de l’offre et de l’innovation que l’Allemagne a su depuis des décennies mettre en oeuvre quand la France faisait le choix de la dépense publique, de la dette et de la relance par la consommation. Pour l’instant, il semble que nous soyons encore à des années-lumière de comprendre le problème…
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