- Accueil ›
- Profession ›
- Socioprofessionnel ›
- Une piste dans le désert
Une piste dans le désert
La désertification médicale est devenue une réalité. Pour y faire face, une idée fait son chemin : regrouper plusieurs professionnels de santé dans un même lieu pour maintenir l’offre de soins. Les premières expérimentations de maisons de santé voient le jour, entre enthousiasme et inquiétude.
L’accès aux soins médicaux devient un problème important dans notre pays. Aujourd’hui, dans certaines zones rurales, consulter un médecin, un dentiste, trouver un kinésithérapeute, un orthophoniste ou faire appel aux soins d’une infirmière relève de la gageure. Et la situation ne risque pas de s’améliorer : de plus en plus de professionnels de santé vont partir à la retraite sans avoir trouvé de remplaçants. D’après la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, le nombre de médecins en activité passerait de 205 200 en 2006 à 186 000 en 2015. La densité de médecins – généralistes et spécialistes – passerait ainsi de 335 à 228 pour 100 000 habitants. « La démographie médicale française tourne au désastre, tant par la répartition territoriale que par la répartition par spécialité », s’alarmait, fin septembre, le président de l’ordre des médecins lors de la présentation du rapport de l’institution sur la démographie médicale au 1er janvier 2005.
Lentement, les « déserts médicaux » progressent. Pouvoirs publics (les collectivités locales principalement) mais aussi acteurs privés cherchent donc à favoriser l’arrivée de jeunes diplômés ou simplement à garder les professionnels de santé actuellement en place. Objectif : leur offrir les meilleures conditions de travail possibles. L’idée : les regrouper physiquement dans un même lieu en créant des « maisons de santé pluridisciplinaires ». Bénéfices : des frais de fonctionnement en moins grâce à la mutualisation des moyens, une meilleure coordination et permanence des soins, un mode d’exercice plus sûr et plus aisé. « La désertification médicale, ajoutée au malaise ressenti par de plus en plus de médecins qui ne supportent plus l’isolement lié à leur implantation rurale et dévissent leurs plaques, nous a fait réfléchir aux moyens à mettre en oeuvre pour améliorer leurs conditions d’exercice, en conciliant leur vie de famille », relate Martine Binois, médecin généraliste à la Mutualité sociale agricole, qui accompagne sur le plan juridique, financier et organisationnel neuf projets de maison de santé (lire encadré p. 22). « Nous souhaitons garantir une offre et assurer une continuité des soins dans ces zones rurales sensibles, en améliorant les conditions d’exercice pour les professionnels et en donnant la possibilité aux habitants d’accéder en un lieu unique à une offre de soins diversifiée », poursuit Martine Binois.
Et les pharmaciens dans tout cela ? Bien évidemment, il n’est pas question de les inclure directement dans les maisons de santé ni même que des pharmacies à usage intérieur s’y développent. Mais la ou les officines les plus proches sont invitées par la MSA à travailler étroitement avec les maisons de santé. Sachant que le risque existe de créer une concurrence vive avec les pharmacies plus éloignées.
« Le développement des maisons de santé est encore trop récent pour que nous ayons eu des remontées à ce sujet, mais inévitablement le problème va se poser, commente Isabelle Adenot, présidente de la section A de l’Ordre. Nous serons vigilants. Le départ de nombreux médecins à la retraite dans les toutes prochaines années pourrait déséquilibrer notre réseau. La récente loi PME nous offre un certain nombre d’outils comme les regroupements par exemple. A nous d’être inventifs. »
Vosges et Meurthe-et-Moselle
Les pharmaciens locaux soutiennent les initiatives. Dans les Vosges, le projet de construction d’une nouvelle maison médicale à Vicherey, sur un terrain communal, s’appuie sur une histoire déjà ancienne. Elle date de 1964, quand le Dr Jean-Pierre Voilquin vient s’installer dans cette commune de 300 habitants, à 30 minutes environ d’Epinal et de Nancy. Très vite, il s’associe à deux confrères et leur activité se développe dans les villages environnants, tant dans le département des Vosges que dans celui de Meurthe-et-Moselle. Un kinésithérapeute et un dentiste les rejoignent rapidement et, depuis, un pharmacien et deux infirmières se sont installés dans la commune. La première maison médicale de France était née. Aujourd’hui trois généralistes y exercent toujours, en compagnie d’un dentiste, une diététicienne, une pédicure-podologue et un kinésithérapeute. Ce dernier est porteur du projet de création d’une nouvelle structure, mieux adaptée à l’importante fréquentation. Et le pharmacien projette déjà de s’agrandir.
Non loin de là, à Brin-sur-Seille (500 habitants), un village « rurbain » situé à proximité de Nancy, la population croît régulièrement et le maire veut créer une maison médicale qui abritera deux généralistes, dont une jeune femme originaire de Nancy, deux infirmières et un podologue. Elisabeth Krafft-Lambinet, pharmacienne installée dans la commune il y a huit ans, soutient cette initiative. « Notre activité dépend essentiellement des prescripteurs et la cessation d’activité d’un des deux généralistes il y a quelques année s’était sensiblement répercutée sur l’officine, d’autant plus fragilisée par l’autorisation d’ouverture d’une autre à environ cinq kilomètres il y a cinq ans », déclare Elisabeth Krafft-Lambinet.
Un sentiment que ne dément pas Brigitte Rhein. Cette pharmacienne a repris il y a trois ans une officine à Plainfaing, dans les Vosges. « Personne n’en voulait car les deux médecins de la commune étaient sur le point de prendre leur retraite sans successeurs. Après bien des démarches, un jeune praticien est venu s’installer mais il fait aujourd’hui l’objet d’une menace de suspension par le Conseil de l’Ordre – pour des motifs sans lien avec sa pratique professionnelle -, et je crains pour la survie de ma pharmacie s’il n’y a plus de médecin dans la commune… »
Avec l’appui de la population et des élus locaux, la pharmacienne vosgienne a lancé « un appel à candidature » pour trouver un médecin prêt à s’installer, et elle verrait d’un bon oeil un projet de maison de santé pluridisciplinaire.
Charente-Maritime
Portage de médicaments à domicile. Sur le demi-million d’habitants de Charente-Maritime, 45 % vivent dans les campagnes et 10,4 % ont plus de 75 ans, taux le plus élevé de Poitou-Charentes. Comme les trois autres départements de la Région (Charente, Deux-Sèvres, Vienne), la Charente-Maritime n’échappe pas aux difficultés qui sapent la ruralité : vieillissement de la population, retrait des services publics et menace sur les professionnels de santé. Deux zones rurales fragiles y ont été identifiées : les cantons de Néré et d’Aulnay-de-Saintonge. Le conseil régional de Poitou-Charentes, qui va construire une maison médicale rurale par département, a choisi cette dernière commune pour la Charente-Maritime. L’intervention est menée en coordination avec la MSA.
Pascal Chauvet, infirmier libéral installé depuis 1990, est le président et la cheville ouvrière du réseau de santé local – qui regroupe 16 professionnels.
« Comme nous avions déjà constitué l’association portant le réseau de santé local, nous sommes le plus avancé des neufs projets expérimentaux lancés en France par la MSA », se félicite l’infirmier. Aulnay-de-Saintonge, 1 500 habitants, n’est pas si mal lotie. Avec deux médecins, quatre infirmiers, deux kinésithérapeutes, deux pharmaciens, deux dentistes, un orthophoniste et un pédicure, la commune pourrait même faire envie. « Nous sommes handicapés car Aulnay est le chef-lieu du plus grand canton de Charente-Maritime. 30 % de la population y est âgée de plus de 65 ans et beaucoup de professionnels de santé sont d’un âge avancé, ce qui va poser des problèmes. Et puis le projet doit permettre une meilleure gestion des admissions à l’hôpital de Saint-Jean-d’Angély, non loin d’Aulnay, en évitant les hospitalisations inutiles », explique Pascal Chauvet. Deux médecins sont prêts à s’installer dans la future maison médicale rurale, qui, en plus des consultations, devrait agréger une demi-douzaine de fonctions (maternité infantile, service sanitaire et social, médecine du travail, etc.). Un poste d’infirmière coordinatrice devrait aussi être créé et un appartement aménagé pour y loger un étudiant en médecine.
Les deux pharmaciens ne vont bien sûr pas rejoindre la maison médicale rurale, ce qui ne les empêche pas de s’intéresser au réseau de santé local. L’un d’eux étudie ainsi la mise en place d’un système de portage de médicaments à domicile.
Pays de la Loire
Les maisons de santé inquiètent. Quatre médecins généralistes, quatre kinés, trois dentistes, deux orthophonistes, deux podologues, un obstétricien, un ostéopathe, un laboratoire d’analyses médicales, un pôle de soins infirmiers, une salle d’urgence et de coordination… Avec 17 professionnels, le projet de maison médicale à Clisson, commune de 6 000 habitants située au coeur du vignoble nantais, est le plus important, le plus évolué et le plus avancé des Pays de la Loire. La maison médicale devrait s’étendre sur 1 000 m2 et être opérationnelle pour la fin de l’année 2006.
« Il faut bien se dire qu’un médecin, une commune, c’est terminé. L’objectif est de pérenniser les soins apportés par les médecins généralistes, d’attirer les jeunes vers cette profession, de réunir un ensemble de compétences dans une structure attractive qui favorisera la prévention sur le diabète, l’hypertension, les MST, etc. », explique Gilles Barnabée, médecin généraliste, à l’origine de cette initiative privée, financée par les seuls participants, sans aucune aide publique pour l’heure. Le budget atteint 2,5 millions d’euros. « C’est tout le paradoxe de libéraux qui proposent un système de services publics », estime le généraliste.
Le conseil régional des Pays de la Loire hésite à s’engager dans un concept qu’il estime mal défini et préfère laisser faire les professionnels de santé. De son côté, la CPAM de Nantes se dit prête à encourager les initiatives, comme elle le fait pour les récents CAPS (centres d’accueil et de permanence de soins) et les maisons de garde destinés à enrayer la crise de la permanence des soins et le désengagement des médecins libéraux.
Quelle sera l’incidence pour les officines ? « C’est compliqué, reconnaît Loïc Bedouet, conseiller régional et coordinateur de la commission « Solidarité humaine et territoriale ». L’implantation d’officines est très réglementée et répond à des critères de population. Il faudra donc au préalable débattre pour régler cette situation et se demander si le découpage des territoires doit se caler sur les densités de population. De toute évidence, il faudra expérimenter différentes formules, en proposant de nouveaux systèmes de rémunération et des services, comme par exemple la mise à disposition de moyens de transport. Car il y aura toujours des gens pour qui, trois kilomètres, c’est trop. »
Côté pharmaciens, on reste dans l’expectative. « Les regroupements de professionnels de santé peuvent être bénéfiques pour certaines officines, mais ce n’est pas ce que souhaite l’Ordre, indique Claude Le Reste, président de l’Ordre régional des Pays de la Loire. Contrairement aux médecins généralistes, l’implantation d’une officine est rigoureusement encadrée. Avec ce système, on risque de déstabiliser les gardes. » Sentiment partagé par Christian Blanc, président du syndicat du Maine-et-Loire. « Le regroupement de compétences peut être pertinent pour les patients, mais plus que les maisons médicales, ce qui me fait le plus peur, ce sont les gardes », avoue-t-il.
« La fragilité des officines s’explique souvent par la fragilité du tissu médical. Mais favoriser les regroupements, c’est aussi remettre en cause les tenants de la répartition géographique, fondement des implantations officinales, renchérit Alain Guilleminot, président du syndicat de Loire-Atlantique. Or, jusqu’à présent, les pouvoirs publics se sont voilé la face. C’est pourtant un problème qu’il faudra un jour prendre à bras-le-corps. »
Gironde
Un pharmacien à l’initiative d’un pôle médical. Les pôles de santé constitués par les pharmaciens, à partir d’initiatives privées, aussi bien en milieu rural qu’urbain, peuvent paraître très éloignés de ces démarches. Ils répondent pourtant à des besoins comparables. Quand Daniel Rabaud, titulaire depuis vingt-cinq ans, a racheté une officine à Floirac, il n’a pas eu peur des risques. Floirac, dans la banlieue nord de Bordeaux, affiche un taux très élevé de chômage. « Je l’ai achetée à la barre du tribunal de commerce, à la bougie, c’était le dernier commerce du quartier, personne n’en voulait et je l’ai eu pour pas cher », se souvient Daniel Rabaud.
Un an après, il réussit à faire transférer la pharmacie cinq cents mètres plus bas, près d’un collège et d’un lotissement, toujours dans le même quartier. « J’ai contacté un dentiste que je connaissais, et nous avons convaincu deux infirmiers et deux médecins de venir s’installer avec nous pour créer un pôle médical », explique-t-il en souriant. L’an dernier, son officine, où travaillent un assistant et une préparatrice, réalisait un million d’euros de chiffre d’affaires. Le pôle médical, dont personne n’avait même imaginé l’existence en 2001, est devenu réalité. Il constitue aujourd’hui la seule offre commerciale du quartier.
A retenir :
– densité : en 2015, on comptera 228 médecins pour 100 000 habitants, contre 335 en 2006.
– maisons de santé : la MSA est le principal promoteur des projets de regroupements de professionnels de santé.
– risque : les institutions officinales craignent d’éventuelles distorsions de concurrence qui naîtraient de relations « trop étroites » entre maisons de santé et officines, ainsi qu’un impact négatif sur le système de gardes.
La MSA lance la dispensation à domicile avec les pharmaciens ruraux
Outre les maisons de santé, la Mutualité sociale agricole a lancé au début du mois d’octobre deux expérimentations dans lesquelles les pharmaciens ruraux sont au coeur d’un dispositif de dispensation de médicaments à domicile (DAD) et de MAD entériné par les trois syndicats professionnels.
Dans le premier essai sur la DAD, l’officinal se déplace au domicile des patients sur demande du médecin si celui-ci juge nécessaire que son ordonnance soit exécutée dans les quatre heures. Il est dédommagé par la MSA de ses frais de déplacement et rémunéré sur la même base que les visites des médecins.
Dans la seconde expérimentation, le pharmacien se rend au domicile des assurés MSA, évalue et liste leurs besoins en matériel médical. Là encore, le pharmacien est rémunéré sur la même base que le médecin mais il doit s’engager à modérer ses tarifs sur le matériel médical. Le devis dressé doit être accepté par le médecin traitant du bénéficiaire avant tout achat. Le pharmacien s’engage également à revenir un mois après la livraison du matériel pour voir s’il est adapté aux contraintes des patients.
La dispensation à domicile est expérimentée pendant six mois dans huit départements : Charente, Calvados, Manche, Sarthe, Nièvre, Yonne, Côte-d’Or et Saône-et-Loire. 50 officines et 200 assurés participent à l’opération. Le MAD est quant à lui expérimenté pendant un an dans 13 départements : Ariège, Charente, Creuse, Corrèze, Corse-du-Sud, Loire-Atlantique, Côte-d’Or, Saône-et-Loire, Rhône, Calvados, Manche, Maine-et-Loire, Loiret. 200 assurés et 80 officines y participent.
A savoir : Les neufs projets soutenus par la MSA
– Aveyron (Salles-Curan).
– Charente-Maritime (Aulnay-de-Saintonge).
– Deux-Sèvres (Saint-Loup-Lamairé).
– Haute-Loire (Paulhaguet).
– Loire-Atlantique (Geneston, Montbert et Bignon).
– Meurthe-et-Moselle (Brin-sur-Seille).
– Pyrénées-Atlantiques (Mauléon).
– Vienne (Couhé-Vérac).
– Vosges (Vicherey).
- Rémunération des pharmaciens : une réforme majeure se prépare-t-elle ?
- Les métiers de l’officine enfin reconnus à risques ergonomiques
- Remises génériques : l’arrêté rectificatif en passe d’être publié
- Réforme de la rémunération officinale : quelles sont les propositions sur la table ?
- Paracétamol : quel est cet appel d’offres qui entraînera des baisses de prix ?
- Comptoir officinal : optimiser l’espace sans sacrifier la relation patient
- Reishi, shiitaké, maitaké : la poussée des champignons médicinaux
- Budget de la sécu 2026 : quelles mesures concernent les pharmaciens ?
- Cancers féminins : des voies de traitements prometteuses
- Vitamine A Blache 15 000 UI/g : un remplaçant pour Vitamine A Dulcis
