Un fléau qui tombe dans l’oubli

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Publié le 1 décembre 2002
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On parle beaucoup du développement de l’épidémie de sida dans le tiers-monde, mais elle n’a pourtant pas cessé en France où la vigilance se relâche : méconnaissance de la maladie, prévention négligée… Dans ce contexte, quelle place peut et doit occuper le pharmacien ?

L‘enquête 2001 de l’observatoire régional de la santé d’Ile-de-France sur l’infection à VIH-sida est implacable : des modes de transmission moins bien connus qu’en 1998, un risque de contamination plus faiblement perçu et des comportements de prévention qui se relâchent. « Le socle de connaissances sur les modes de contamination s’amenuise, constate, désabusé, Bertrand Audoin, directeur exécutif d’Ensemble contre le sida. On nous demande à nouveau si l’on peut être contaminé par les piqûres de moustiques ! C’est un vrai retour en arrière et un échec pour les pouvoirs publics. » Devant la banalisation de la maladie, le chef de l’Etat est intervenu dimanche dernier à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida, appelant à « une mobilisation au niveau de l’information, de la prévention, des soins et de l’insertion des victimes dans la vie sociale ».

Dans ce combat de santé publique, quelle place peut et doit occuper le pharmacien ? « Le problème c’est qu’il existe encore un formidable tabou : la crainte qu’on sache dans votre quartier que vous avez le sida, explique Christian Saout, président de l’association AIDES. Quand on voit quelqu’un au comptoir à qui l’on délivre 10 ou 20 boîtes, tout le monde comprend. C’est tout le problème de la confidentialité. Un paradoxe alors qu’il y a une bande de confidentialité à ne pas dépasser dans le moindre des guichets postaux ou bancaires… » En revanche, l’accès rapide aux traitements liés aux pathologies associées ou aux effets secondaires (supplémentation alimentaire, antioxydants, antidiarrhéiques…) plaide, aux yeux du président d’AIDES, en faveur de l’officine.

Le problème de la double dispensation.

Question cruciale au moment où la révision de la réserve hospitalière vient de démarrer : faudra-t-il maintenir le double circuit actuel ou bien réserver les antirétroviraux à l’officine comme le réclament les syndicats de pharmaciens ? Aujourd’hui, à peine plus d’un antirétroviral sur cinq est vendu en officine selon la DGS. Pourtant l’idée, à leur sortie de la réserve hospitalière en 1996, était de voir une majorité d’antirétroviraux dispensée en ville. « Les pouvoirs publics pensaient alors voir la dispensation diluée sur l’ensemble des officines, or elle s’est retrouvée hyperconcentrée sur quelques-unes », remarque Bruno Baron, titulaire de la Pharmacie du Village à Paris et responsable de l’association Pharm’AIDS.

Se former.

Côté associations de malades, on milite toujours pour le maintien des deux circuits, jugés complémentaires. « La double dispensation est un atout majeur pour les malades. Elle est même capitale parce qu’il existe plusieurs produits en ATU disponibles à l’hôpital. Pour que la dispensation passe exclusivement par la ville, il faudrait d’abord des pharmaciens très impliqués », estime Xavier Rey-Coquais, chargé de mission HIV d’Arcat-Sida. « Il faudrait une formation continue obligatoire, admet Jean Lamarche, de Croix verte et Ruban rouge. Il ne faut pas se leurrer, un pharmacien non formé ne sait pas faire. » Un point de vue partagé par Bruno Baron : « A l’exception de ceux qui sont très investis, les pharmaciens ne sont pas au point, d’autant que de nombreux produits sont prescrits hors AMM. Nous nous sommes battus il y a quatre ans pour créer une formation, or nous n’avons presque plus de demandes. »

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A la décharge des pharmaciens cette formation est très longue. Faut-il leur en vouloir de ne pas s’y attaquer s’ils ont peu de patients concernés ? « Act-Up nous a indiqué qu’à certains endroits les patients avaient du mal à entrer en contact avec des officinaux, soit parce qu’ils n’osent pas, soit parce que l’accueil s’est avéré mitigé, détaille Jean Lamarche. Dans ce cas, nous recherchons un pharmacien qui accepte la prise en charge, le signalons à Act-Up qui redonne l’information au malade. D’un côté comme de l’autre, c’est souvent le premier pas qui est le plus difficile. »

« Ne faites pas de bénéfice sur le préservatif ».

Autre point sensible pour la profession : la promotion du préservatif. On estime en effet aujourd’hui qu’un quart des premiers rapports entre 18-24 ans sont non protégés. Les pics de syphilis enregistrés ces deux derniers étés confirment la tendance et les ventes de préservatifs ont connu une chute de 30 % en cinq ans. Aujourd’hui seulement 2 000 officinaux environ vendent les préservatifs à 0,20 Euro(s) l’unité et autant à 2 Euro(s) la boîte de cinq. Une politique promue actuellement par Plus Pharmacie et Croix verte et Ruban rouge. « Aux 18 000 autres, j’ai envie de dire : ne faites pas de bénéfice sur les préservatifs tant qu’il y aura le sida !, lance Jean Lamarche. On a tous des enfants… »

« Le rôle du pharmacien est aujourd’hui de promouvoir l’usage du gel avec les préservatifs. Ce n’est pas compliqué et c’est du conseil, réagit aussi Christian Saout. De même, il faudrait promouvoir le préservatif féminin car l’épidémie concerne aujourd’hui à 50 % des femmes qui se révèlent trois à huit fois plus sensibles que les hommes au HIV. »

Pour l’ensemble des acteurs, c’est aux pouvoirs publics de promouvoir à nouveau le préservatif via des campagnes de communication ou la prévention en milieu scolaire. « Cela étant, pourquoi une instance représentative de la pharmacie ne serait-elle pas elle aussi à l’origine d’une campagne de communication sur le sujet ?, propose Christian Saout. Par exemple une affiche représentant une balance avec un préservatif sur un plateau et quatre ou cinq boîtes de médicaments de l’autre… Il faut que les officinaux sachent que le tissu associatif est disponible pour travailler avec eux sur des messages de prévention. »

Chiffres

55 000 cas de sida et 32 000 morts depuis le début de l’épidémie en France au début des années 80.

– 600 morts en 2001.

– 24 000 personnes vivent aujourd’hui avec le sida et de 70 000 à 127 000 seraient séropositives, dont un tiers de femmes.

– 4 000 à 6 000 contaminations par an dont, en 2001, 48,7 % hétérosexuelles, 23 % homo- et bisexuelles masculines et 16 % par usage de drogues injectables.

– L’Ile-de-France est la région la plus touchée après les Antilles et la Guyane, mais devant PACA et l’Aquitaine.

– La proportion d’hommes ayant déclaré avoir utilisé un préservatif au cours des 12 derniers mois est passée de 40 à 32 % entre 1998 et 2001.

A retenir

Les pharmacies centrales ont-elles meilleure presse que les officines aux yeux des malades ? Pas sûr. « La pharmacie hospitalière est venue à titre exceptionnel sur le VIH, considère Christian Saout, président d’AIDES. Elle est aussi très secouée par les malades. L’officine est le lieu normal de dispensation des traitements. A elle de prendre l’initiative et de relever le défi de la confidentialité. » A terme, le double circuit de dispensation devrait disparaître au profit de l’officine.

L’accès aux nouveaux traitements reste difficile

– Si les relations entre associations et laboratoires semblent s’être calmées depuis quelque temps, l’arrivée du T20 et du tipranavir, actuellement en phase III, risque à nouveau de les tendre en reposant le problème de l’accès aux traitements. « Les industriels ne veulent pas mettre en place de chaînes de fabrication tant qu’ils n’ont pas l’AMM, relève Christian Saout (AIDES). Mais s’il faut refaire le cirque de 1996 pour avoir davantage de traitements, nous le referons. »

Selon AIDES,10 % des patients, soit 8 000 personnes sont aujourd’hui en impasse thérapeutique, d’où la forte attente de nouveaux traitements et notamment du T20 aux effets « miraculeux » chez certains patients.

« La question qui va se poser dans les cinq ans à venir est celle de l’accès en France aux antirétroviraux génériques, prédit Bertrand Audoin (Ensemble contre le sida). Il n’y a pas de raison qu’elle se pose uniquement dans les pays en voie de développement. Et j’espère que l’économie réalisée alors par les pouvoirs publics permettra de financer la prévention et la recherche fondamentale. »