- Accueil ›
- Profession ›
- Socioprofessionnel ›
- Tristes graphiques
Tristes graphiques
Le plongeon de l’économie officinale avait déjà créé une vraie psychose fin 2008. Mais l’ampleur et la durée du phénomène, renforcées par la crise, font craindre une année 2009 aussi mauvaise. Un tableau noir qui contraste avec les perspectives régénérantes de la loi HPST.
Bonne et mauvaise à la fois. Voilà comment résumer 2008 mais aussi une bonne partie de l’année 2009. « Les douze mois qui viennent de s’écouler sont riches en événements positifs sur le plan professionnel mais inquiétants du fait de l’évolution économique des officines », commente Philippe Gaertner, président de la FSPF.
Retour un an en arrière : Attali, Beigbeider, le CRÉDOC, la Cour des comptes et les lobbyings européens ébranlaient tour à tour les trois piliers de la pharmacie. « Nous n’étions plus très nombreux à défendre le capital des officines aux pharmaciens », se souvient le président de la Fédération. En un an, tous ces oiseaux de mauvais augure ont – momentanément – disparu de notre champ de vision. En revanche, d’autres gros nuages noirs se sont amoncelés. Déjà en 2008, l’évolution du CA des médicaments remboursables avait été négative. La pharmacie, signant là la deuxième baisse de son histoire (après celle de 2006), a encore payé un lourd tribut à la maîtrise médicalisée. Depuis 2005, année de référence en termes de consommation pharmaceutique, les ventes de médicaments remboursables ont chuté de 280 millions de boîtes, provoquant pour le réseau une baisse de marge de 200 millions en trois ans. Le médicament est devenu le « bon élève » de l’ONDAM et, sur les 12 derniers mois (arrêtés à fin août 2009), il fait du surplace.
Les recettes plongent dangereusement
Les effets de la crise sont venus se surajouter à la longue série de mesures touchant la pharmacie. La récession a accentué le déficit de l’assurance maladie de plus de 11 milliards par rapport à l’objectif voté dans la LFSS 2009. Jamais les comptes sociaux n’avaient connu une telle débandade. Le creusement abyssal du déficit n’est désormais plus imputable aux dépenses de ville, enfin maîtrisées (là aussi c’est historique !), mais à l’insuffisance de recettes. En effet, grâce aux efforts sur le médicament notamment, la Sécu a économisé plus de deux milliards.
Les baisses de marge et de volume sur les médicaments remboursés sont également historiques. Ils fragilisent dangereusement l’équilibre des officines dont un tiers, selon la FSPF, connaît de réelles difficultés financières en raison d’importants problèmes de trésorerie. « 2008 a été une année de cassure, marquée par une baisse historique de la marge en valeur. Ce phénomène s’est amorcé au dernier trimestre et s’est accentué sur l’année 2009 sous l’effet de mécanismes convergents, représentés par les baisses de prix, la multiplication des grands conditionnements et des associations de molécules dans un même médicament », constate Gilles Bonnefond, président délégué de l’USPO.
Rififi sur les grands conditionnements
Selon ce syndicat, les boîtes trimestrielles ont fait perdre 158 millions de marge à la profession, sans qu’il soit prouvé que cette perte se soit transformée en économies pour l’assurance maladie, compte tenu des arrêts de traitement en cours de route. « De leur côté, les associations médicamenteuses mises au point au nom d’une meilleure observance sont faites en réalité pour maintenir des prix industriels chers au détriment de notre marge, condamne Gilles Bonnefond. Ils jettent le trouble sur la prescription du médecin et conduisent à des risques iatrogènes pour le patient en raison des doublons de principes actifs entre spécialités prescrites. » Le sujet fâche aussi l’UNPF. « Aujourd’hui, les grands conditionnements arrivent de tous les côtés. Avec les CAPI, les fameux contrats d’amélioration des pratiques, les pressions industrielles et l’effet des franchises sur la demande des assurés, les objectifs d’économies pour 2009 sont sûrs d’être atteints, voire même d’être dépassés, fulmine Claude Japhet, qui reproche à la FSPF d’avoir empêché l’USPO et l’UNPF d’aller au bout de la négociation, alors que l’évolution des grands conditionnements était inéluctable. »
En affectant une fois encore plus particulièrement les soins de ville, les mesures d’économies prévues dans la LFSS 2010 sont source d’inquiétudes légitimes. Comme le gouvernement s’interdit de toucher aux cotisations sociales, la profession risque de continuer à sacrifier son économie à la réduction des déficits. En conséquence, Philippe Besset, président de la commission Economie de la FSPF, ne voit pas d’éclaircie à l’horizon 2010. A plus ou moins brève échéance, les mauvais résultats risquent donc de laminer les officines et même d’emporter les plus fragiles. Les conséquences seront également dramatiques pour l’attractivité du métier auprès des jeunes.
Les missions HPST pour renflouer l’officine
La loi HPST est la seule capable de réchauffer les coeurs. « Cette loi est un élément majeur pour l’officine mais ne sera pas simple à mettre en oeuvre, prévient toutefois Philippe Gaertner. Il nous faudra réunir à la fois des moyens économiques et humains pour pouvoir développer la totalité des missions que l’on souhaite nous confier. » Un changement radical à tous points de vue : « Ce n’est plus le produit qui est au centre mais le patient. Ce changement va avoir une incidence très forte sur la manière de faire évoluer la pratique pharmaceutique. »
Pour les syndicats, l’enjeu économique de cette loi est de pouvoir renflouer l’officine par la rémunération de nouvelles missions, mais sans augmenter le coût social du médicament. « Les pouvoirs publics ne nous rémunéreront pas plus pour faire le même travail sur le médicament. Le supplément de rémunération s’obtiendra sur l’accompagnement du patient et le service rendu», poursuit le président de la FSPF. Mais on se mord la queue car les confrères ne pourront envisager d’investir en moyens techniques et humains pour améliorer la prise en charge du patient que lorsque la situation économique de l’officine sera au préalable stabilisée…
Aider les petites officines à se regrouper
Financer les nouvelles missions a un préalable qui se nomme évaluation du service pharmaceutique rendu, via des expérimentations. Les changements dus à la mise en place de la loi HPST, mais aussi des agences régionales de santé (ARS), seront profonds et lents. Dans l’immédiat, aucune solution de sauvegarde ne se profile, sauf à tailler dans le vif en envisageant des mesures radicales : regroupements, transferts… Dans ce contexte post-HPST, l’USPO n’hésite pas à fustiger la proposition de la FSPF de modifier les honoraires à la boîte pour mettre la loi sur les rails. « Ce n’est pas de cette façon que l’on amorcera la vraie réforme de la profession. Cette redistribution des cartes sans savoir à qui cela va profiter, à l’intérieur de l’enveloppe de marge constante du pharmacien, reviendra à tuer une partie du réseau. La rémunération mixte du pharmacien ne doit plus être discutée dans le cadre de l’enveloppe pharmacie mais bien dans celle de l’ONDAM. »
Concernant l’adaptation du réseau aux nouvelles demandes des patients, « il faut aider les pharmacies trop petites à se regrouper et celles situées dans des zones rurales désertifiées à s’émanciper de la proximité des médecins, préconise Philippe Gaertner. Dans le cadre de la coordination des soins, si le pharmacien suit les patients chroniques, renouvelle ses traitements, répond aux demandes de premiers soins en respectant un protocole de prise en charge selon les recommandations de la HAS, alors la pharmacie rurale restera viable même si le premier médecin est parti exercer à 30 kilomètres. »
Améliorer la productivité
En l’absence de mesures d’urgence sur la marge et de reprise de la croissance, les pharmaciens ne pourront donc compter que sur eux-mêmes. « Une partie de la marge à récupérer se trouve dans l’amélioration de la fonction achat et dans l’organisation interne de la pharmacie », pense Philippe Gaertner. Un des chantiers prioritaires sera donc d’améliorer la productivité. « Les pharmacies sont arrivées à un seuil de personnel en deçà duquel elles ne pourront pas relever les défis de la loi HPST. »
En cette fin d’année, les pharmaciens peuvent espérer une reprise de l’activité liée à la grippe. « C’est la situation la plus malsaine qui puisse exister, déplore Claude Japhet. L’économie de l’officine devient tributaire d’épidémies. C’est aberrant et va à l’envers même du principe économique d’une profession de santé. » Il soutient l’idée, défendue également par l’USPO, de réinjecter immédiatement les 150 millions perdus en 2008 dans le circuit officinal pour rémunérer les nouveaux services : préparation des doses à administrer, dispensation à domicile, intégration des pharmaciens dans la coopération interprofessionnelle, dépistage, prévention, éducation thérapeutique… « Notre avenir économique repose sur la diversification des activités en dehors du secteur du médicament qui sera de plus en plus fragilisant pour l’officine. » En effet, si les dépenses de santé repartent trop vite à la hausse, l’autorité de régulation, suite au déclenchement du comité d’alerte en cas de dépassement de l’ONDAM, ne manquera pas de se rappeler au bon souvenir des pharmaciens. Pour l’UNPF comme pour l’USPO, l’enjeu de demain est la prise en charge des produits de prescription facultative et du conseil pharmaceutique par les payeurs privés. « Il faudra être imaginatif dans les services et les relations avec les complémentaires santé », ajoute Claude Japhet. Et Philippe Gaertner de conclure : « Nous avons toutes les raisons d’espérer à condition de savoir maîtriser le bateau pharmacie et de l’emmener dans la bonne direction. »
Pour une base 100 à fin décembre 2005, la marge brute de l’officine se situe à un indice (cumulé sur douze mois) de 97,5 en juin 2009 contre un indice de 107 pour le CA industriel. On le voit, les plans médicaments successifs et la maîtrise médicalisée des dépenses de santé sont d’une terrible efficacité sur la marge brute des officines. Les disparités d’évolution avec l’industrie ne font que croître. La raison de cette dégradation tient à la baisse du nombre d’unités prescrites par patient et à la diminution du nombre de consultations et de visites. « Il faut un minimum de 3 % de croissance du CA industriel pour avoir une progression de la marge de l’officine, or l’activité industrielle n’est plus sur ce rythme d’évolution. C’est pourquoi il faut changer la rémunération du pharmacien et la déconnecter pour partie du prix industriel », assure Philippe Besset, président de la commission Economie de la FSPF.
Selon les données d’IMS Health (panel Pharmatrend), arrêtées à juillet 2009 en année glissante, le CA moyen des officines françaises s’établit pour cette année à 1,591 MEuro(s) contre 1,589 MEuro(s) en 2008, soit une progression symbolique de 0,12 %. Autant dire rien. Cela augure de nouvelles difficultés pour les pharmacies fragilisées. Dans le classement par région, la hiérarchie est respectée. Bénéficiant d’un quorum historiquement avantageux, les pharmacies alsaciennes confortent leur première place en termes de CA moyen par officine (2,128 MEuro(s)), grâce aussi à une progression d’activité supérieure à la moyenne nationale (+ 1 % environ). Mais la palme d’or revient à la Corse (+ 3,2 %), devant la région Rhône-Alpes (+ 1,17 %) et le Nord-Pas-de-Calais (+ 1,16 %) qui montent sur les deux autres marches du podium. Pas moins de 11 régions enregistrent une baisse du CA, parmi lesquelles la Lorraine (- 1,34 %), la Picardie (-1 ,56 %) et la Bretagne (- 1,88 %), qui ferment la marche.
Entre 2007 et 2008, la trésorerie des pharmacies s’est dégradée de 11 000 Euro(s) en moyenne. L’an dernier a vu une détérioration accrue des officines déjà sinistrées en 2007 (TR de 7 000 Euro(s) sur l’année, seulement !). Les trésoreries négatives de 2008 se sont dégradées bien plus que la moyenne, de 38 000 Euro(s). Il ne faut pas s’attendre à une amélioration en 2009. Au contraire, la mise en place progressive (depuis un décret du 22 septembre 2009) de la réduction des délais de paiement par la loi de modernisation de l’économie va se traduire par une tension encore plus importante sur la trésorerie. « En plus, les pharmaciens doivent faire face à la frilosité des banques », ajoute Philippe Besset, qui constate « un sentiment de désespérance et de repli très fort de la base ». Les espoirs se tournent désormais vers une reprise du marché. « Il faut transformer l’essai sur la loi HPST ! », exhorte-t-il.
Les grands modèles se sont fait une place dans les tiroirs des officines. Sur les douze derniers mois cumulés arrêtés à juillet 2009, ils ont permis une économie de 116 millions au prix d’une perte de marge de 96 millions pour l’officine. Le gain pour l’assurance maladie a dépassé les prévisions de la LFSS 2009 (107 MEuro(s) à la fin de l’année). Selon les prévisions de la FSPF, on s’achemine vers 141 millions d’économies à fin décembre 2009. Qui oserait dire que les pharmaciens ne jouent pas le jeu des grands conditionnements ? Leur taux de pénétration n’a rien à envier à celui des génériques. En juillet, il atteignait 79,9 % des traitements prescrits dans une durée permettant leur délivrance. « Bien que nous contestions, pour des raisons de santé publique, cette mauvaise idée de délivrer 3 ou 6 mois, les pharmaciens n’ont pas traîné les pieds, observe Philippe Besset. Maintenant, nous avons eu l’assurance de Noël Renaudin, du Comité économique des produits de santé, que les grands conditionnements ne seraient pas étendus à d’autres classes thérapeutiques que le champ initialement prévu… »
En 2008, la marge brute a progressé de 2,7 % en valeur mais pas en pourcentage. La perte moyenne du taux de marge est de 0,2 point à 27,5 %. La marge est donc toujours aussi friable, avec des répercussions variables selon les endroits : 19 % des officines ont un taux de marge inférieur ou égal à 26 %, tandis que 15 % ont un taux supérieur ou égal à 29 %.
Même cause, même punition pour le ratio clé de la rentabilité. L’EBE finit l’année sur une baisse de 3,1 %. En l’espace d’un trimestre, il perd 4 points, ce qui fait ressortir la moyenne annuelle à + 0,08 %. Le résultat courant avant impôts s’effondre également sur le dernier trimestre (- 2,9 % à fin décembre), ramenant la moyenne 2008 à + 0,7 %. Alors que dans le même temps, on peut dire que les autres achats et charges externes (+ 4,7 %), les impôts et taxes (- 2,2 %), les frais de personnel (+ 2,7 %), les cotisations de l’exploitant (+ 2,7 %) sont globalement bien maîtrisés. Le ralentissement de l’économie engagé au premier semestre 2009 se traduira sans doute par une nouvelle diminution importante de la rentabilité des officines clôturant leur exercice au cours des premiers mois de l’année 2009. 2009 risque donc de ressembler étrangement à 2006, qualifiée d’« année noire » pour la pharmacie.
En pointillé au premier trimestre (hausse de 4,4 % du CA), la tendance à la récession se dessine clairement au fil des mois, compte tenu de la conjoncture économique et des mesures prises par le gouvernement pour brider la croissance des dépenses de santé. Le recul est particulièrement marqué sur le dernier trimestre 2008 (+ 0,8 % de croissance seulement). Le décrochage de la marge en valeur n’est pas aussi net. Celle-ci parvient sur les neuf premiers mois de l’année à maintenir le rythme de la croissance au-delà de 3 % mais lâche prise sur le quatrième trimestre : les pharmaciens clôturant l’année civile affichent une marge à + 1,8 %
Le déficit des comptes sociaux devrait atteindre quelque 24 milliards d’euros en 2009, si l’on en croit les prévisions les plus noires. Par rapport à 2008, le plongeon est abyssal (le déficit a plus que doublé sous l’effet de la crise et de la chute des recettes qui en est la conséquence). Les grandes lignes du budget 2010 de la Sécurité sociale ont été dévoilées tout début octobre. Il n’y aura pas de quoi régler le déficit du régime général qui devrait dépasser les 30 milliards d’euros en 2010, toutes branches confondues, soit trois fois plus qu’en 2008, tandis que le médicament sera une nouvelle fois l’élément qui contribue le plus à renflouer les caisses de l’assurance maladie. « L’industrie a respecté sa feuille de route alors que la pharmacie est allée au-delà de la sienne puisque nos résultats sont en involution », souligne Philippe Besset (FSPF).
- Rémunération des pharmaciens : une réforme majeure se prépare-t-elle ?
- Les métiers de l’officine enfin reconnus à risques ergonomiques
- Remises génériques : l’arrêté rectificatif en passe d’être publié
- Réforme de la rémunération officinale : quelles sont les propositions sur la table ?
- Paracétamol : quel est cet appel d’offres qui entraînera des baisses de prix ?
- Comptoir officinal : optimiser l’espace sans sacrifier la relation patient
- Reishi, shiitaké, maitaké : la poussée des champignons médicinaux
- Budget de la sécu 2026 : quelles mesures concernent les pharmaciens ?
- Cancers féminins : des voies de traitements prometteuses
- Vitamine A Blache 15 000 UI/g : un remplaçant pour Vitamine A Dulcis
