« Stop au scandale bancaire ! »

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Publié le 18 juillet 2009
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Isabelle Adenot est depuis le 29 juin la première femme présidente de l’Ordre. Jean-Charles Tellier, lui, vient d’être réélu à la tête de la section A. Quant à Jérôme Paresys-Barbier, il a été également réélu à la tête de la section D. Interviews croisées.

Y aura-t-il rupture de style après 17 ans de présidence par Jean Parrot ?

Isabelle Adenot : Ce n’est pas ma nouvelle fonction qui va modifier ma manière d’être et de travailler. Je ne voudrais pas d’une présidence éloignée des réalités du terrain. Je conçois mon rôle comme une coordination de tous les métiers. D’une façon générale, je ne m’exprimerai pas à la place des sections. Cette interview croisée en témoigne.

La profession sort de rudes batailles face à Bruxelles, Attali, Leclerc… Le danger vous semble-t-il toujours présent ?

I.A. : Quand vous regardez l’état de l’économie nationale, quand vous savez que la croissance du secteur de la santé perdurera malgré la maîtrise des coûts, il est évident que d’autres acteurs continueront de s’y intéresser. A nous de mettre en avant notre différence avec d’autres opérateurs qui ont une simple relation fournisseur-client : à savoir la déontologie. L’Ordre mettra donc encore plus en exergue la défense de ses valeurs : compétence, qualité, indépendance. Ce sera l’une des priorités de mon mandat. Sans déontologie, l’officine n’est plus. C’est pourquoi elle doit être vécue par les confrères comme un guide, pas une contrainte.

Jean-Charles Tellier : A cet égard, la loi HPST va conduire à une révolution de notre exercice. Les nouvelles missions en germe sont le résultat d’un puzzle dont la première pièce est le maillage territorial, mais aussi la participation à des réseaux et demain le développement professionnel durable. Les regroupements donneront plus de moyens aux pharmacies. Avec cette loi, nous avons la trame de ce que nous devons faire, pas seulement de ce que nous pouvons faire.

Dès lors, y aura-t-il une taille critique nécessaire pour l’officine ?

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J.-C.T. : En termes de ressources humaines, oui.

D’où la nécessité de se restructurer ?

I.A. : Observez ce qui se passe autour de nous : les entreprises pharmaceutiques fusionnent, les établissements de santé vont se regrouper en communautés hospitalières (loi HPST), les LABM sont maintenant multisites… Ce phénomène arrivera vraisemblablement en officine. En revanche, ce qui ne doit pas arriver en regard de cela, c’est une perte de qualité du service en rajoutant des kilomètres à parcourir par les patients. Il faut conserver le maillage.

J.-C.T. : Par ailleurs, les pharmaciens pourront s’entraider pour acquérir ces spécialisations qui vont arriver via les nouvelles missions. Les confrères doivent comprendre qu’ils ne pourront plus tous tout faire partout. Je ne trouverais pas indécent que le titulaire d’un DU d’orthopédie se dise sur ce point plus pointu que son confrère qui devra décrocher son téléphone pour faire appel à un prestataire de services.

Vous prônez à la fois l’indépendance, les regroupements, les spécialisations… Vous pensez ce discours facile à faire passer ?

I.A. : Ce qu’il faut, c’est une indépendance dans sa capacité à exercer. Sans pression extérieure qui réduise la qualité et la sécurité, en privilégiant la rentabilité sur l’intérêt du patient. Quand le pharmacien refuse une vente, c’est bien qu’il fait passer la santé avant sa rentabilité…

Succursales, holdings avec investisseurs majoritaires, multipropriété… Etes-vous prêts à en discuter ou restez-vous campés sur le projet de SEL de l’Ordre ?

J.-C.T. : Notre projet de SEL de 2007 n’avait pas été déposé en temps voulu, moyennant quoi nous avons ensuite été bloqués à cause de l’Europe. Maintenant, il faut aller vite. Le plus pragmatique est de présenter le projet tel quel, nous avons donc relancé la machine depuis février, augurant une réponse favorable de l’Europe. Il est déjà important d’obtenir ça. Car, attention, j’entends certains dire « Maintenant que Luxembourg a tranché, nous sommes tranquilles ». Eh bien non ! Si nous revenons en arrière, nous nous retrouverons avec une nouvelle injonction européenne ! Quant aux holdings, le dossier est en bonne voie, il nous faut convaincre Bercy. Elles permettront aux pharmaciens investisseurs d’aider les jeunes à entrer dans la profession.

Mais les banques ferment les robinets…

I.A. : Je suis furieuse du barrage auquel les jeunes font face. Une profession qui n’est pas attentive à ses jeunes est une profession qui se meurt. Le problème qui se pose est évidemment financier. Et il faut dénoncer ce scandale des banques qui font des prêts sur des SELARL en demandant caution aux jeunes sur leurs biens propres ou sur le patrimoine de quelqu’un d’autre ! C’est bafouer le principe d’une société à responsabilité limitée. Nous aurons recours au médiateur du crédit sur le sujet.

Il s’agit là d’avoir du cash pour entrer au capital. Et les parts en industrie alors ?

I.A. : Le système ne décolle pas. Il paraît sans doute trop compliqué aux titulaires et aux pharmaciens investisseurs.

L’Ordre se mêle de questions d’argent !

I.A. : Oui, car lorsque l’économie est trop fragilisée, des confrères enfreindront les règles déontologiques. C’est dans ce contexte que l’Ordre doit aussi être attentif à ce que la profession vive correctement, même si ce n’est pas à nous mais aux syndicats de la défendre sur ces questions.

La loi HPST va nécessiter de relancer la formation continue obligatoire…

J.-C.T. : Il faudra des formations sur toutes les missions issues de la loi HPST – avec en filigrane l’évaluation des pratiques professionnelles qui fera l’objet d’un décret. Les formations obligatoires concerneront tous les pharmaciens, pas que les titulaires. Les confrères doivent bien comprendre qu’il y aura des référentiels opposables, et que s’ils n’entrent pas dans ces protocoles ils ne pourront pas faire certaines activités. D’ailleurs, il serait vain d’avoir obtenu les possibilités de la loi HPST si, derrière, nous ne nous montrons pas aptes à mener ces activités, améliorer l’observance, etc. Et tout ceci se mesure. Là aussi il faut être cohérent avec nos arguments avancés à Luxembourg.

Des confrères vous diront qu’ils n’ont pas le temps…

J.-C.T. : Ça, je l’ai toujours entendu. Mais avec 23 000 adjoints, la plupart des officines ont au moins deux diplômes…

I.A. : Oui, des confrères ont des difficultés économiques. Il n’empêche que nous devons garder le sens du métier. Pour certains, il s’agira de se le réapproprier !

Nous allons vers de « nouveaux pharmaciens » concentrés sur le coeur de métier ?

I.A. : Nous n’allons pas voir de « nouveaux pharmaciens ». Nous allons passer d’une pharmacie uniquement attachée au médicament, produit de masse, à une pharmacie attachée à la personne, avec des médicaments à haute valeur ajoutée, personnalisés (biotechnologies, génomique…), des relations plus étroites avec l’hôpital. De fait, l’officinal ira vers plus de « services santé ». Le dossier pharmaceutique illustre déjà en partie ce rapprochement vers une pharmacie personnalisée.

Quelles sont les étapes à venir du DP ?

I.A. : Une campagne grand public est programmée à l’automne. Mais il est déjà primordial que les confrères équipés du DP mettent leur macaron et leur kit de visibilité en évidence. Et j’insiste sur la nécessité que tous les médicaments soient dedans. On ne peut pas défendre sans arrêt l’unicité du médicament et ensuite considérer le médicament familial différemment. La généralisation reste prévue en 2010 et le DP sera testé sur la rétrocession avec deux hôpitaux de Nancy et Marseille. L’information sur les retraits de lots et les alertes sanitaires passeront par le DP. L’actualité y est propice !

Certains pharmaciens estiment que le DP ralentit le poste de travail…

I.A. : C’est qu’ils ont un problème de logiciel ou de connexion. Normalement, l’usage du DP est transparent. Au moindre problème, les confrères doivent donc appeler notre plate-forme de support.

Vous évoquez des pharmacies spécialisées, mais vous n’êtes pas très proactifs sur la liberté de communiquer…

J.-C. T. : Les confrères n’utilisent pas toutes les ressources permises par le CSP. Quant aux campagnes de communication, je pense que beaucoup de groupements ont besoin de recruter large pour des raisons économiques. Les campagnes des groupements servent-elles à sensibiliser le grand public… ou à susciter des adhésions ?

On entend dire de plus en plus que le ratio « adjoints/CA » n’est plus adapté…

I.A. : C’est vrai, car notre logique économique ne s’apprécie plus à partir du CA. Nous y travaillons avec les sections A, D et E. Le modèle qui en ressortira sera testé sur le terrain. On peut imaginer un ratio « nombre de pharmaciens/nombre de personnes » dans l’équipe, au regard du contrôle effectif du pharmacien et donc de sa responsabilité. A cela vous pouvez ajouter un quota en fonction de l’amplitude horaire.

Certains titulaires risquent d’en profiter…

J.-C.T. : Vous savez, on sait que le critère qualité est tellement visible qu’il fait gagner des clients. Même s’il faut être un peu patient. Cela étant, il est vrai que certains auront plutôt envie dans un premier temps de faire a minima. Il y en a déjà…