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Sortira, sortira pas ?
Avec des prix administrés à l’hôpital et une troisième tranche de marge des grossistes, le PLFSS 2004 prépare le terrain à l’ouverture de la réserve hospitalière. Mais la marge officinale devra parallèlement être revue à la baisse pour les produits les plus chers. Chronique d’un désordre annoncé.
A l’origine réservée aux produits importés non disponibles sur le marché français, la rétrocession aux patients ambulatoires par les pharmacies hospitalières a pris de l’ampleur au fil des ans. A tel point qu’en 2002, le régime général de l’assurance maladie a remboursé plus d’un milliard d’euros à ce titre. Des dépenses qui ont progressé quatre fois plus vite (+ 7,4 % par rapport à 2001) que celles relatives aux médicaments remboursables. « Depuis 1998, notre budget consacré à l’achat de médicaments rétrocédés a triplé », constate effectivement Frédéric Chauvelot, pharmacien à l’hôpital de Morlaix. Mais si les chiffres grimpent, la législation n’avance pas. En effet, la liste des médicaments vendus au public par les établissements de santé est attendue depuis la loi du 8 décembre… 1992, cette dernière officialisant l’activité de rétrocession. Objectifs : « faire le ménage » dans les médicaments rétrocessibles, fixer des prix de cession et établir cette fameuse liste.
Vous sentez-vous assez formé pour délivrer ces médicaments médicaments ?56 % des pharmaciens sont prêts à se former pour assurer la délivrance de ces produits. Mais seuls 13 % intégreraient un réseau ville-hôpital.Autant dire que les officinaux sont particulièrement concernés par ce décret qui devrait restreindre les médicaments rétrocédés au strict minimum, pour laisser aux pharmacies de ville la dispensation de la majeure partie des spécialités jusqu’ici destinées à la réserve hospitalière, soit au total 700 à 800 produits concernés.
Demain, la réserve hospitalière sera donc dédiée uniquement aux patients hospitalisés. Les médicaments rétrocessibles par les pharmacies à usage intérieur (PUI) devront répondre à des critères bien précis : contraintes particulières de distribution ou de dispensation, sécurité d’approvisionnement, suivi particulier, administration dans les établissements de soins… Dans ces conditions, les médicaments sous ATU nominative et les préparations magistrales hospitalières ne sont pas près d’arriver en ville. « Pour le protoxyde d’azote en obus, la question ne se pose pas non plus alors que le sort des anticancéreux est très discuté, explique Alain Chevallier, pharmacien à l’hôpital Broca (Paris). Il devient urgent de réguler la rétrocession sans y renoncer. Les médicaments toxiques, à marge thérapeutique étroite ou très innovants, y auront toujours leur place. Mais il est aberrant qu’un patient sous Bricanyl en nébulisation soit obligé d’aller à l’hôpital pour s’en procurer ! »
Montant de la rétrocession (France entière)Déjà 50 projets de décret !
Seulement voilà. A quand le texte définitif du décret dont on est déjà à la… 50e version ? La rédaction du Moniteur a directement posé la question au ministère de la Santé, mais la réponse se fait – elle aussi – toujours attendre. Cet été, Jean-François Mattei annonçait pourtant sa sortie pour la fin de l’année ou début 2004. Mais il a été récemment signifié aux syndicats de pharmaciens qu’il n’était a priori pas possible de sortir ce texte sans prendre de garantie économique, autrement dit tant que la marge des pharmaciens sur les produits chers n’aura pas été revue. La troisième tranche de marge imposée aux répartiteurs dans le cadre du PLFSS 2004 va également dans ce sens.
Une troisième tranche de marge pour l’officine ?
Contactées dans un premier temps par le ministère sur le principe d’une modification de la rémunération sur ces produits, la FSPF et l’UNPF se sont opposées à la mise en place d’honoraires, pourtant acceptée par leurs confrères hospitaliers. « On ne veut pas d’un plafonnement de marge », argumente Jean-Marc Yzerman, de la Fédération. Reste la solution d’une troisième tranche de marge commerciale à taux réduit. Mais à quel taux justement et à quel prix ? « Tout va dépendre des masses de produits qui vont sortir, avance Claude Japhet, président de l’UNPF. De plus, nous n’accepterons pas un niveau de troisième tranche trop bas. Pour l’instant nous n’avons aucune notion de l’intolérable ou de l’inacceptable. »
Marie-Christine Belleville, pharmacienne et responsable des affaires réglementaires pour une société de consultants (JNB Développement), évoque la sortie de 60 molécules onéreuses. Mais le volume que cela représente et les prix pratiqués pour les produits aujourd’hui distribués à l’hôpital manquent toujours aux syndicats pour travailler sur ce dossier. Des informations qui sont difficiles à obtenir en raison du système actuel d’achat des médicaments par les hôpitaux (liberté des prix) et de l’absence du codage des médicaments à l’hôpital.
De toute façon, la liste précise des produits susceptibles de sortir de la réserve hospitalière reste encore inconnue et ne sera publique, comme le prévoit le 50e projet de décret, que dans les… six mois après sa publication. Les syndicats devront donc vraisemblablement effectuer leurs simulations sans grands repères. Or la nouvelle marge devra être fixée avant que cette liste soit publiée. C’est dans ce contexte on ne peut plus flou que les syndicats ont rencontré les conseillers de Jean-François Mattei le 16 octobre dernier.
On apprend en revanche, à la lecture du dernier projet de décret, que « le remboursement des médicament inscrits sur la liste […] est effectué sur la base des prix de cession définis au présent article ». Article qui instaure justement l’administration des prix à l’hôpital (comme en ville) qui sera mise en place par le projet de loi de financement de la Sécurité sociale 2004 (PLFSS) voté en première lecture à l’Assemblée. Ce même PLFSS prévoit aussi la mise en place de la tarification à l’activité dans les hôpitaux en 2004, ce qui les obligera (pour la première fois ?) à serrer leurs dépenses médicamenteuses. Le train est donc définitivement en marche… ou presque.
La politique avant la santé publique.
« Tant qu’on ne séparera pas la santé publique et les aspects financiers, les freins politiques bloqueront la sortie de la réserve hospitalière, affirme Alain Chevalier. Actuellement, certains laboratoires demandent abusivement que leurs produits restent à l’hôpital où les prix sont libres. » Armelle Develay, présidente du Synprefh (Syndicat national des pharmaciens praticiens et des résidents des établissements français d’hospitalisation), qui représenterait 70 % des confrères hospitaliers, confirme : « Il faut parfois attendre deux à trois ans dans l’attente d’un accord de prix entre le laboratoire et la Sécurité sociale et, pendant ce temps, les médicaments restent à l’hôpital où ils n’ont rien à y faire. »
La parution du décret signifie purement et simplement l’encadrement des prix des médicaments sortis de la réserve hospitalière, qu’ils soient alors rétrocessibles ou distribués en pharmacie. « Aujourd’hui, nous considérons que nous n’achetons pas de manière efficiente les médicaments à rétrocéder, alors que pour une utilisation interne nous pouvons choisir de référencer une seule EPO pour tout l’établissement. Je dois en revanche respecter précisément les prescriptions pour une délivrance en ambulatoire. Les faibles volumes commandés pour certains produits laissent peu de marge de négociation avec les laboratoires », informe Frédéric Chauvelot.
Le décret à venir imposera donc aux industriels un prix de cession identique ville-hôpital pour les médicaments à double dispensation. A l’hôpital, les futurs prix de vente devront émaner d’un accord entre les industriels et les ministères via le Comité économique des produits de santé. Un arrêté prévoit de fixer la marge de ces produits, actuellement équivalente à 15 %. « Cette marge peut constituer une façon indirecte de financer certains dépassements budgétaires internes au niveau de l’hôpital », indique le Pr Jean Calop, pharmacien au CHU de Grenoble. On ne s’étonnera alors pas des réticences des directions hospitalières vis-à-vis du décret.
Le ras-le-bol des pharmaciens hospitaliers.
Côté pharmaciens hospitaliers, c’est au niveau de la marge forfaitaire (prévue à 15 euros initialement) accordée sur les spécialités rétrocédées que le bât blesse : « La valeur de ce forfait doit correspondre à la valeur réelle de nos actes de dispensation et de nos frais de gestion, soit 30 euros environ », réclame le Synprefh. Au nom du SNPHPU (Syndicat national des pharmaciens praticiens hospitaliers et des pharmaciens universitaires), Gilles Aulagner, son président, demande quant à lui 30 euros pour une première dispensation, 15 euros pour les suivantes et 23 euros pour une dispensation régulière.
En percevant des honoraires, les pharmaciens hospitaliers se sentent enfin reconnus pour leur travail. Beaucoup sont aujourd’hui à bout et réclament donc des budgets en relation avec une dispensation digne de ce nom. La diminution de l’activité de rétrocession est plutôt vue d’un bon oeil. « Nous allons pouvoir nous recentrer sur l’iatrogénie médicamenteuse dans les services », assure Frédéric Chauvelot. « Nous allons nous concentrer sur la sécurisation du médicament à l’hôpital », ajoute Armelle Develay.
A retenir
1 MILLIARD D’EUROS. C’est ce que la CNAM a remboursé en 2002 au titre de la rétrocession aux patients ambulatoires.
PRIX PLAFONNÉ
Malgré la résistance farouche de l’industrie, le prix du médicament hospitalier sera administré dès 2004.
UNE LISTE EN 2004
La plupart des produits aujourd’hui rétrocédés par l »hôpital vont passer en ville. Leur liste sera publiée dans les 6 mois suivant la parution du décret sur la rétrocession hospitalière, lui-même prévu début 2004.
3e TRANCHE
Le ministère de la Santé ne souhaite pas ouvrir la réserve hospitalière tant que la marge officinale n’aura pas été revue. Les syndicat refusent l’idée d’honoraire. On s’oriente vers une troisième tranche de marge.
L’hôpital pour la ville
Les pharmaciens hospitaliers sont globalement pour la dispensation de ces produits uniquement en ville.
Le cas épineux des anticancéreux
Les anticancéreux figurent bien sûr parmi les candidats à la sortie de la réserve hospitalière, mais la voie parentérale arrivera-t-elle à l’officine ? « L’idée, c’est vraiment de faire sortir tous les anticancéreux. Mais il se pose le problème de la reconstitution. Si, à l’avenir, les officinaux doivent intervenir dans la chimiothérapie ambulatoire sur le modèle allemand, il va falloir les aider », prédit Marie-Christine Belleville, pharmacienne et responsable des affaires réglementaires chez JNB Développement. Selon Frédéric Chauvelot, pharmacien hospitalier à Morlaix, cette mesure n’interviendrait pas sans risques. « La reconstitution des produits demande des normes d’hygiène drastiques ! A l’hôpital, elle mobilise deux préparateurs entre 20 et 30 minutes par préparation », précise-t-il. Autre souci : l’élimination des excrétats. « En une semaine, les produits de chimiothérapie peuvent dégrader une fosse septique », ajoute-t-il.
Une chose est sûre : il faudra prévoir la rémunération des pharmaciens et des infirmières pour cette prestation. A moins que des sociétés de sous-traitance pour chimiothérapie à domicile ne voient le jour…
A noter
Déjà des sorties au compte-gouttes
Devançant le calendrier, l’Afssaps modifie petit à petit les AMM et certains médicaments finissent par arriver en ville.
Depuis le début de l’année 2003, huit nouvelles spécialités se trouvent disponibles en pharmacie d’officine. Avec par ordre chronologique : Viraféronpeg, Fludara, Glivec, Renagel, Prograf, Zometa, Enbrel et Copaxone.
Un autre immunosuppresseur (Cellcept) viendra prochainement étoffer cette liste… au profit des patients greffés.
Ce qui se prépare…
Le décret en Conseil d’Etat établira une nouvelle classification des médicaments à prescription restreinte. S’ajoutent aux trois catégories déjà existantes deux nouvelles classes : les médicaments à prescription hospitalière et les médicaments à prescription réservée aux spécialistes.
En voici les conditions de prescription et de délivrance :
– Les médicaments réservés à l’usage hospitalier : administration au cours d’une hospitalisation. Ces médicaments ne seront plus rétrocessibles.
– Les médicaments de prescription hospitalière : aucune restriction du lieu d’administration et de délivrance du médicament.
– Les médicaments de prescription initiale hospitalière (PIH).
– Les médicaments à prescription réservée à des spécialistes : l’ordonnance de renouvellement peut être faite par un autre médecin. Mais elle doit être accompagnée de la prescription initiale lors de la délivrance (idem pour les PIH).
– Enfin, les médicaments nécessitant une surveillance particulière pendant le traitement, pouvant s’ajouter aux catégories précédentes. L’AMM peut prévoir l’inscription sur l’ordonnance des examens périodiques à réaliser ou la date limite de délivrance du médicament.
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