Rapport et désaccords

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Publié le 25 octobre 2003
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L’Ordre avait mandaté Jean-Jacques Daigre, agrégé de droit et avocat à la cour de Paris, pour une étude technique sur les possibilités de la loi MURCEF. Un rapport jusque-là réservé à la seule lecture des représentants de l’officine. « Le Moniteur » y a relevé un certain nombre de propositions qui vous intéressent.

Derrière le futur décret d’application de la loi MURCEF se dessine, outre l’intégration des jeunes dans le capital, la possibilité de créer des chaînes. Le permettra-t-on ? Jean-Jacques Daigre répond dans un premier temps que la loi permet déjà l’existence de minichaînes. A ceux qui craignent que la loi MURCEF remette en cause certains principes fondamentaux liés à l’officine, comme l’unicité du diplôme ou « indivisibilité capital/exploitation », il précise que cela est déjà fait… depuis plus de dix ans ! En fait, depuis les textes relatifs aux SEL. En prévoyant qu’un titulaire exerçant en SEL puisse avoir des parts minoritaires dans deux autres SEL, la loi a rompu avec le principe d’indivisibilité et le décret de 1992 « permet la création de petites chaînes de pharmacies, limitées à cinq SEL », note l’auteur (une SEL dans laquelle le titulaire exerce son activité, deux SEL où il détient une participation, deux SEL dans lesquelles la première SEL détient une participation). A noter que, par extension, une « toile » de SEL liées les unes aux autres peut déjà aujourd’hui être sans limite.

CHAÎNES

La loi MURCEF permettrait, en sus, que la majorité du capital appartienne à des pharmaciens n’exerçant pas dans l’officine (personnes physiques ou sociétés). Entre la loi sur les SEL et le futur décret d’application de la loi MURCEF, « de nombreux montages peuvent aujourd’hui être imaginés qui peuvent conduire à une perte d’indépendance économique du pharmacien en exercice sous couvert d’une organisation juridique formellement conforme aux textes », analyse Jean-Jacques Daigre. Dans une officine au capital détenu à 90 % par des associés investisseurs et à 10 % par le pharmacien exploitant, « même si on réserve à ce dernier la majorité des droits de vote, quelle sera sa véritable indépendance professionnelle ? », interroge-t-il.

Si on veut laisser la porte ouverte à des chaînes à grande échelle, en revanche, « il faut permettre des prises de participation majoritaires en capital assorties de la majorité des droits de vote ». Entre autres parce que, pour permettre l’intégration fiscale, « il faut que la société mère d’un groupe détienne 95 % du capital et des droits de vote ». Il s’agirait alors d’un choix clair de la profession puisqu’elle devrait demander la modification de la loi de 1990 sur les SEL.

RÉSEAU

S’il y a volonté de favoriser l’entrée des investisseurs non pharmaciens pour faciliter les regroupements et leur financement, le démembrement de la propriété (dissociation entre la nue-propriété et l’usufruit) de l’officine devrait être envisagé pour être applicable dans tous les types de sociétés. Impliquant une modification du Code de la santé publique (CSP).

A contrario, une limitation du principe des chaînes pourrait passer par la définition d’un périmètre géographique pour ces montages, et par la limitation du nombre d’étages de SEL autorisé (chaque SEL pouvant avoir des parts dans deux autres et ainsi de suite…).

En même temps, pourquoi ne pas se servir de la loi MURCEF pour faciliter les fusions et/ou rapprochements d’officine, se demandent certains, et ainsi faire d’une pierre deux coups : répondre aux sollicitations des pouvoirs publics pour concentrer le réseau et améliorer la viabilité économique de certaines officines. Des pistes techniques sont là aussi fournies, avec un obstacle de taille : l’imbroglio que constitue la fiscalité et la nécessaire prise de position de Bercy, à défaut d’une loi claire.

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JEUNES

Le troisième gros enjeu de la loi MURCEF (le principal but affiché) concerne l’intégration des jeunes dans le capital. Avec deux préoccupations sous-jacentes : renouveler démographiquement la profession mais aussi sauver la valeur des fonds de commerce dans les prochaines années. Pour cela, deux démarches : soit faciliter l’acquisition immédiate, soit en faciliter l’acquisition progressive ou différée.

Acquisition immédiate

– Pour pallier l’obstacle majeur du financement, qui se pose notamment aux jeunes, une première mesure déjà évoquée par le passé est proposée : que la profession crée une caisse professionnelle de garantie financée par une cotisation versée par chaque pharmacien qui donnerait sa garantie aux acquisitions, voire financerait une partie du prix. Une mesure qui marche très bien notamment chez les notaires et huissiers de justice, note l’expert. Ordre et syndicats sont maîtres d’une telle décision, commente-t-il.

– Deuxième mesure, la mise en place d’une holding de financement (SPF), dans le cadre de la loi MURCEF, acquérant la totalité des parts de la SEL propriétaire de l’officine mais laissant la majorité des droits de vote et du capital aux pharmaciens y exerçant. Pour contourner ici l’écueil de la non-déductibilité des intérêts de l’emprunt réalisé pour l’achat de parts de SPF, il faudrait obtenir l’assurance de Bercy que ces SPF peuvent servir à autre chose que simplement détenir des parts et ainsi avoir des revenus accessoires à son objet financier, liés à des prestations de services.

– Troisième mesure proposée, démembrer la propriété de l’officine : d’abord cession de la nue-propriété de l’officine avec paiement du prix par l’acquéreur (point important : la nue-propriété vaut moins cher que la pleine propriété) ; ensuite, le cédant perçoit au fil du temps des dividendes qui viennent compléter le prix de cession ; enfin, l’acquéreur devient propriétaire de l’officine ou des parts à la mort de l’usufruitier. Mesure législative nécessaire.

Acquisition progressive

Cas de figure n° 1 : un contrat prévoit un planning de cession des parts. La problématique ? Assurer une rémunération complémentaire correcte à un acquéreur (adjoint…) qui n’aura, au début, qu’une faible part du capital.

– Première solution proposée, l’association en industrie. Créer des parts d’industrie est possible dans les SNC, SARL, EURL, SELARL : l’apporteur en industrie est un apporteur de travail, explique l’expert. Mais il est un véritable associé au regard de la loi et a le même droit de vote qu’un associé en capital ; s’il n’a, à côté, que peu de parts en capital, il peut valoriser néanmoins son apport en travail et avoir une rémunération correspondante.

Problème pour un adjoint : l’associé en industrie n’a pas la qualité de salarié, ni au regard du droit du travail, ni au regard du droit social et fiscal.

Pour faire admettre ces possibilités, une modification de la partie législative du CSP sera nécessaire (interdiction actuelle de dissocier la propriété et l’exploitation).

– Deuxième solution proposée : faire admettre par la loi que l’associé d’une SEL de pharmaciens puisse choisir le statut de salarié, comme cela est déjà admis dans d’autres secteurs (avocats, experts-comptables).

– Premier cas possible, comme chez les experts-comptables, l’associé pourrait être salarié au regard du droit du travail (contrat de travail, assurance maladie, 35 heures, etc.) Pour la retraite, il pourrait cotiser soit à la caisse de retraite des pharmaciens (comme le font les avocats), soit à celle des salariés (cas des avocats anciens conseils juridiques), soit aux deux.

– Deuxième cas possible, l’associé en industrie bénéficierait du régime fiscal et social des salariés (protection sociale, retraite) sans être un salarié au regard du droit du travail. Intervention législative dans les deux cas.

Cas de figure n° 2 : partager l’augmentation de valeur de la clientèle. Ce cas nécessite qu’un pharmacien puisse être associé en industrie (voir ci-dessus) : il s’agirait de répartir l’augmentation de la valeur de la clientèle régulièrement (plus-value du fonds) et gratuitement entre les associés en capital et en industrie. Les société civiles professionnelles d’officiers publics (huissiers…) utilisent ce mécanisme : pourquoi ne pas le transférer aux SEL de pharmacie, suggère l’expert ? Ce qui passerait par une intervention législative.

Acquisition différée

L’expert propose ici l’application à l’officine de la location-gérance, « largement utilisée par les professions commerciales ». Le principe : le propriétaire de l’officine la louerait, pendant au moins cinq ans, à une société constituée soit par lui-même, soit par l’acquéreur, soit par les deux. Au terme de cette location, l’officine serait vendue à cette société. Il y voit deux avantages :

– pour le candidat à l’acquisition, commencer à exploiter l’officine et à en tirer des revenus ;

– et pour le propriétaire actuel de l’officine, percevoir un loyer exonéré de charges sociales (hors CSG et CRDS), ce loyer étant déductible pour la société locataire. De plus, le propriétaire actuel bénéficierait (en deçà d’un certain montant de loyer), au moment de la cession, d’une exonération de l’impôt sur les plus-values. Cela nécessiterait une modification de l’article L. 5125 du CSP.

La panoplie proposée est vaste. Reste que presque toutes les propositions nécessitent des modifications législatives qui devraient donc être demandées par la profession, par exemple dans le cadre du fameux décret à venir sur la loi MURCEF. Dès lors, la difficulté consistera, pour les différentes sections ordinales, syndicats, représentants des groupements…, à se mettre d’accord sur un texte à proposer aux pouvoirs publics. Or ces instances sont loin d’être d’un avis proche sur certains principes fondamentaux. Après les techniciens, la parole est donc ici plus que jamais aux représentants professionnels. Reste à savoir si tous souhaitent vraiment voir aboutir une vraie réforme sur le sujet.

Prises de position sur les SPFPL

Jean-Jacques Daigre a synthétisé la position de certains organismes de la profession sur les SPFPL, rencontrés en amont de l’étude. Morceaux choisis.

– La FSPF joue la carte de la concentration du réseau, comme l’UNPF, et réclame, par le biais de la loi MURCEF, « une intervention de l’Etat pour accorder des avantages fiscaux à toute fusion qui serait agréée et créer une possibilité d’emprunt bonifié ». Elle s’oppose aux chaînes et « plus encore » à l’ouverture du capital à d’autres que des officinaux, veut le maintien de l’indivisibilité et s’oppose à la dissociation capital/droits de vote. Elle estime que la qualité d’associé d’une SEL devrait faire disparaître celle de salarié.

– L’UNPF ne semble pas s’opposer à l’ouverture du capital des SPFPL à d’autres professionnels que les pharmaciens, note Jean-Jacques Daigre. Elle souhaite que le nombre d’officines pouvant être regroupées soit le plus large possible et prône la dissociation de la propriété et de l’exploitation pour favoriser l’investissement.

– L’APR estime que « si le décret d’application devait sortir, il ne devrait pas aller au-delà de ce que permet l’actuel décret relatif aux SEL ». Un rêve, donc : que la loi MURCEF ne soit jamais appliquée à l’officine ? « S’agissant des adjoints, l’APR estime qu’il n’est pas dans leur vocation de s’installer ou de s’associer. Il serait bon […] de les inciter à le faire, mais dans les conditions de tous ».

– Le Collectif des groupements se dit favorable à la création de chaînes sans limite de nombre ni limite géographique mais sans ouvrir le capital des SPFPL à des non-pharmaciens.

– La section A de l’Ordre ne se dit pas opposée à des regroupements limités et contrôlés, mais se dit surtout attachée à l’indivisibilité entre la propriété et l’exploitation.

– La section D reconnaît que le salarié devenant associé d’une SEL devrait perdre sa qualité de salarié au regard du droit du travail (35 heures, licenciement, chômage), mais qu’il devrait conserver son régime social et, accessoirement, fiscal de salarié.