- Accueil ›
- Profession ›
- Socioprofessionnel ›
- Quel grossiste mordra à l’hameçon ?
Quel grossiste mordra à l’hameçon ?
Les grossistes-répartiteurs ont six mois, soit jusqu’au 30 juin 2010 inclus, pour répondre à l’appel d’offres de Roche et décrocher l’exclusivité sur la distribution de l’ensemble de ses médicaments en ville, sous peine de perdre ce fournisseur. Une initiative originale en France dont les conséquences pour la chaîne de distribution du médicament sont encore difficiles à cerner.
Nous avons décidé de réorganiser la distribution de nos médicaments en ville dans l’objectif d’en améliorer l’efficience pour un service optimal rendu au patient. Par la présente, nous lançons donc un processus de sélection d’un ou plusieurs grossiste(s) qui non seulement souhaite(nt) s’engager sur l’amélioration de la distribution de nos produits mais présente(nt) également toutes les aptitudes pour mettre en oeuvre un tel partenariat. […] Nous tenons à souligner que cet appel d’offres auquel nous vous invitons à participer débouchera nécessairement à la fin de nos relations commerciales pour l’ensemble de nos spécialités avec ceux des grossistes-répartiteurs qui, soit auront décidé de ne pas répondre à cet appel d’offres, soit n’auront pas été sélectionnés à l’issue du processus. »
Ce courrier envoyé par le laboratoire Roche, le 8 janvier dernier, à tous les grossistes-répartiteurs français avait de quoi faire hausser le sourcil. Pour la première fois en France, un laboratoire décide de choisir celui ou ceux qui distribueront à l’avenir l’intégralité de ses médicaments. Rien à voir pour autant avec le « direct-to-pharmacy » pratiqué outre-Manche depuis bientôt deux ans (voir encadré page 7) et qui effraie tant les grossistes-répartiteurs français. Mais quelles seront les conséquences de cet appel d’offres de Roche pour la chaîne de distribution du médicament, y compris les officinaux ?
La faute à la sortie de la réserve hospitalière
Le laboratoire explique sa démarche par un portefeuille de produits distribués en ville majoritairement issus de la réserve hospitalière. « Depuis la sortie de la réserve hospitalière en 2005, nous sommes confrontés de façon croissante à de multiples incidents liés à la non-disponibilité de certains produits en officine ou à des délais beaucoup trop longs. Nous avons ainsi comptabilisé 600 incidents mensuels en moyenne ces derniers mois, indique Jean-François Chambon, directeur des Affaires publiques et de la communication de Roche France. Et toutes les mesures prises n’ont pas permis [d’en] diminuer la fréquence. » Parmi elles, la signature en 2006 d’une « charte de la distribution en faveur du patient » avec « un certain nombre de grossistes-répartiteurs volontaires n’a pas suffi ». Jean-François Chambon se dit donc « très ennuyé parce que le portefeuille de ville de Roche traite principalement des pathologies graves et longues qui ne supportent ni de rupture ni de retard thérapeutique ».
D’où l’appel d’offres, a priori uniquement motivé par la qualité des soins apportés aux patients, qui engagera contractuellement le ou les grossistes-répartiteurs sélectionnés. Dans l’avant-projet de contrat soumis aux répartiteurs et joint au courrier du 8 janvier, Roche leur demande de s’engager à pouvoir livrer les pharmacies dans un délai idéal inférieur à quatre heures, sinon au maximum de vingt-quatre heures. Le grossiste devra également « garantir, dans les cas d’urgence […], la livraison des pharmacies qui le sollicitent en dehors des heures d’ouverture » et « honorer les commandes des pharmacies de manière transparente, sans aucune discrimination liée à leur taille ou à tout autre critère, sans exception ». Le laboratoire déclare en outre souhaiter « un suivi et une traçabilité plus rigoureux ».
Une initiative qui devrait rester exceptionnelle
Cette nouvelle stratégie de distribution ne fragilisera-t-elle pas les grossistes-répartiteurs ? Rappelons qu’ils ont pour obligation de disposer en permanence d’un assortiment de médicaments comportant au moins 90 % des préparations exploitées en France. Si d’autres laboratoires suivaient l’exemple de Roche, les grossistes qui n’auraient pas décroché d’exclusivité pourraient se retrouver dans l’incapacité de proposer un éventail suffisant de produits. Jean-François Chambon assure que cet appel d’offres « respecte la législation française et ne menace pas l’activité de répartition ». Il rappelle que la mise en place d’une telle procédure résulte des caractéristiques des produits de Roche et ne constitue donc pas un modèle calquable par tous les laboratoires. En outre, ces produits ne représentent que 2,7 % de parts de marché dans la distribution de ville (alors qu’ils constituent 80 % de l’activité de Roche en ville), soit « un volume d’activité trop faible pour mettre en danger les grossistes-répartiteurs ».
Enfin, Roche se place dans « une logique d’excellence » en termes de disponibilité des produits et d’équité d’accès aux soins, via l’instauration « de relations privilégiées avec un nombre limité de grossistes-répartiteurs ». « Nous sommes dans un processus sain, au bénéfice des patients, et qui va dans le sens de permettre à chacun d’exercer au mieux ses responsabilités professionnelles », commente Jean-François Chambon. Qui souligne que la démarche de Roche a bien sûr été soumise pour avis aux autorités, lesquelles, « compte tenu du caractère très spécifique du portefeuille de produits de Roche, n’ont émis aucune objection ». Et qui déclare avoir reçu « beaucoup d’intentions positives ». Difficile de le vérifier à l’heure actuelle, d’autant que seule la CERP nous a indiqué avoir d’ores et déjà répondu à l’appel d’offres.
« Il est légitime qu’un laboratoire cherche à approvisionner au mieux ses patients au travers d’un circuit qui a beaucoup évolué, estime Daniel Galas, président de la CERP France. Aujourd’hui, au moins les trois grands réseaux (CERP, Alliance et OCP) ou, au mieux, tous les full-liners sont en droit d’espérer continuer à exercer leur métier. D’ailleurs, si tous les full-liners étaient reconnus, on arriverait à une reconnaissance de notre profession. Depuis une quinzaine d’années, nombre de short-liners se targuent du statut de répartiteur et ne le remplissent pas. » Daniel Galas « comprendrait mal d’être exclu »…
La concurrence ne devra pas pénaliser l’officinal
Quid du pharmacien ? Cette exclusivité ne risque-t-elle pas de compliquer son exercice, notamment en réduisant sa liberté de choix de son grossiste ? « Au contraire, assure Jean-François Chambon, sa vie en sera facilitée : le pharmacien n’aura plus à faire face à des difficultés d’approvisionnement et pourra mieux répondre aux attentes de ses patients. » Sur un aspect plus commercial, Roche rappelle que « les négociations commerciales n’interviennent pas sur ces produits-là ».
« L’histoire dira si c’est une initiative opportune, conclut Jean-Luc Delmas, membre du Conseil national de l’ordre des pharmaciens et ancien président de la section C (grossistes-répartiteurs). Je suis a priori optimiste, mais il ne faudrait pas que l’accès aux produits Roche soit rendu plus difficile pour les pharmaciens. »
Entre réelle démarche qualité et outil anticoncurrentiel, la frontière est fine… et la vigilance de rigueur. Nous saurons déjà le 1er juillet 2010 qui aura décroché le gros lot.
Ce n’est pas du DTP !
Au Royaume-Uni, de nombreux laboratoires (Pfizer, Eli Lilly, GlaxoSmithKline…) se sont lancés dans le « direct-to-pharmacy » (DTP), se recentrant sur un nombre limité de grossistes-répartiteurs qu’ils utilisent comme dépositaires : les grossistes ne sont alors pas propriétaires de leurs stocks et « ne font que livrer les commandes sur ordre », explique Jean-Luc Delmas (ordre des pharmaciens). A contrario, dans le schéma proposé par Roche, le ou les grossistes sélectionnés conserveront leur rôle d’intermédiaire commercial et le laboratoire assurera son rôle de dépositaire.
Short-liners versus full-liners
Deux types de services se côtoient dans la répartition : la répartition « full-lining » et la répartition « short-lining ». Les full-liners proposent une offre complète : une livraison plusieurs fois par jour de toutes les références commercialisées sur le marché français. Il s’agit des principaux opérateurs de la distribution (Alliance, CERP, l’OCP et Phoenix Pharma).
Les short-liners, plus controversés, ne proposent quant à eux qu’une livraison, journalière ou hebdomadaire, des spécialités les plus courantes à des prix plus avantageux. Parmi eux, on distingue notamment AlphaSanté, Active Répartition et D2P Pharma.
- Rémunération des pharmaciens : une réforme majeure se prépare-t-elle ?
- Les métiers de l’officine enfin reconnus à risques ergonomiques
- Remises génériques : l’arrêté rectificatif en passe d’être publié
- Réforme de la rémunération officinale : quelles sont les propositions sur la table ?
- Paracétamol : quel est cet appel d’offres qui entraînera des baisses de prix ?
- Comptoir officinal : optimiser l’espace sans sacrifier la relation patient
- Reishi, shiitaké, maitaké : la poussée des champignons médicinaux
- Budget de la sécu 2026 : quelles mesures concernent les pharmaciens ?
- Cancers féminins : des voies de traitements prometteuses
- Vitamine A Blache 15 000 UI/g : un remplaçant pour Vitamine A Dulcis
