OTC « Evoluer sous peine de tout perdre »

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Publié le 5 janvier 2008
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Suite à la motion votée par l’Ordre le 18 décembre sur le libre accès au médicament familial en officine, et à la veille de la première réunion organisée par l’Afssaps pour le choix des produits qui seront en OTC, Jean Parrot, président de l’Ordre, incite les pharmaciens à évoluer sur ce dossier qui divise. Interview.

« Le Moniteur » : La motion votée par l’Ordre fin décembre conditionne le libre accès (voir encadré p. 9). Or nombre de pharmaciens vous demandent de freiner des quatre fers sur ce sujet…

Jean Parrot : Vous savez bien que ce dossier du libre accès n’arrive pas à l’improviste. La santé est plus que jamais un enjeu de société majeur. Nous aurons presque à coup sûr une nouvelle réforme de notre système de soins après les municipales. Franchises, déremboursements…, cette politique continuera. Et puis, il y a eu la mise en demeure de Bruxelles, la commission Attali et l’épisode des « rentes de situation », des rapports de plus en pressants comme le rapport Beigbeder, et d’autres arrivent… Dans le même temps, beaucoup de pharmaciens ne veulent pas que nous bougions. Aujourd’hui, je dis aux confrères frileux qu’il faut choisir entre voir un pan du médicament partir ailleurs ou assouplir notre position sur quelques grands principes. Si les confrères ne veulent pas bouger, j’ai bien peur que d’autres le fassent à leur place. J’avoue que j’étais moi-même il y a quelques mois dans un front du refus concernant le libre accès. Je n’y suis pas resté cas le risque de tout perdre existe.

Le gouvernement s’est montré en effet très ferme sur sa volonté de permettre le libre accès en officine, mais une délibération du Conseil national de l’Ordre est bien nécessaire pour modifier le code de déontologie, et donc ces articles du Code de la santé publique ?

C’est le cas en effet, mais il faut être conscient que le gouvernement peut très bien s’il le souhaite faire sortir un texte de loi qui supplanterait un texte réglementaire et donc le code de déontologie. Nous ne pouvons pas prendre ce risque. Il vaut mieux accepter d’évoluer en interne, d’autant que nous avons les moyens de le faire intelligemment. Je préfère utiliser à cette fin le pouvoir que nous avons encore pour l’instant.

Selon vous, appliquer intelligemment l’accès libre c’est tenir compte des précautions listées dans la motion de l’Ordre du 18 décembre. L’acceptation de tous ces points est-elle un préalable à votre accord pour modifier le Code de la santé ?

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Oui. La modification de texte que nous élaborerons mentionnera que les médicaments doivent être stockés hors de la portée du public, sauf pour l’automédication, mais dans un espace parfaitement identifié et sous les conditions citées dans la motion.

Vous demandez entre autres une liste positive de produits pouvant être en OTC et surtout des AMM spécifiques, un système garantissant que les boîtes n’ont pas été ouvertes… Vous risquez ici de vous heurter au lobby industriel. On sait toutes les tracasseries d’une modification d’AMM…

Certes, mais il faut savoir ce que l’on veut. Et si on veut y aller, il faudra le faire proprement. Il faut notamment une zone dédiée dans l’officine, clairement identifiée. Hors de question de voir cohabiter au sein d’un même rayon des médicaments, des marques ombrelles ou des compléments alimentaires. Il ne doit pas y avoir tromperie du consommateur.

Pourra-t-on s’opposer réglementairement à cette cohabitation ?

Tout à fait. Les produit sans AMM et les compléments alimentaires ne seront pas dans cette zone ! Nous le ferons mentionner dans la modification de texte. Les laboratoires ne doivent pas tout mélanger. D’accord pour développer le médicament d’automédication, à ne pas confondre avec des produits plus que discutables sans AMM. Cela étant, avec le déremboursement accéléré du petit risque qui se profile, je comprends que les laboratoires réclament du dynamisme sur le médicament à prescription médicale facultative. Et, là-dessus, les pharmaciens sont mis au défi car les GMS ont d’ores et déjà annoncé qu’elles étaient prêtes à répondre présentes. Le non-remboursé pourrait représenter 7 milliards d’euros en France d’ici deux ans. 7 milliards, ça aiguise les appétits !

La motion ordinale rappelle la nécessité de déployer le dossier pharmaceutique pour sécuriser, aussi, l’automédication. Demanderez-vous d’attendre ce déploiement pour autoriser l’accès libre ?

Ce n’est pas un impératif dans la mesure où la modification des textes et l’élaboration des listes de médicaments pouvant être mis à disposition en accès libre prendront quelques mois. Mais le dossier pharmaceutique sera en effet primordial. Il le sera aussi pour apprendre au patient à se servir de sa carte Vitale autrement que comme carte de tiers payant.

L’Afssaps organise lundi une première réunion en présence de l’Ordre et des syndicats de pharmaciens pour établir la liste des produits qui pourront être devant le comptoir. Combien seront concernés ?

On peut tabler, à terme, sur une centaine de principes actifs, soit un millier de spécialités.

Le ministère a confirmé en décembre que le pharmacien garderait le choix de faire ou non du libre accès dans son officine. Mais vous préconisez un espace proche du comptoir…

Que les confrères se rassurent : ils auront effectivement le choix. Après, que l’espace dédié soit ouvert, fermé, chacun se débrouillera. Il faudra sans doute repenser l’espace officinal, peut-être multiplier les plots et réserver les comptoirs en barrage aux ordonnances. Et encore. Cela dit, l’essentiel est que le pharmacien fasse un effort d’éducation thérapeutique, quitte à se rendre dans cette zone pour conseiller le patient. Si le pharmacien s’y prend bien, il peut encore davantage jouer son rôle d’éducateur au sein du public.

Comme d’autres, le mouvement des Pharmaciens en colère refuse le libre accès en menaçant d’une mise sous séquestre des cotisations de l’Ordre en cas de modification du Code de la santé…

Ça, les confrères s’apercevront très vite que ce n’est pas vraiment possible… Sur le fond, je pense que nous avons vraiment là une carte intéressante si nous la jouons astucieusement ; avec les modifications de prise en charge qui se dessinent, nous pouvons devenir les premiers intervenants professionnels de santé sur le petit risque. Inversement, si nous nous braquons et que dans quelques mois une loi renvoie tout ça dans les grandes et moyennes surfaces, là, on me dira « Monsieur le président, vous n’avez pas fait votre travail ». Encore une fois, en observant toutes les pressions qui s’exercent désormais sur l’officine, il nous faut prendre les devants et avoir un coup d’avance, au risque de se faire massacrer. Je ne prendrai pas ce risque. C’est ce que la profession n’a pas pu ou pas su faire sur le décret sur les SEL que nous avions élaboré, et qui aurait enlevé en son temps à la Commission européenne une bonne partie des arguments qu’elle allait ensuite utiliser pour l’ouverture du capital.

Concernant l’OTC, je ne suis pas pessimiste, mais il faut arrêter de regarder passer les trains.

Les précautions exigées dans la motion de l’Ordre

Dans sa motion du 18 décembre sur le libre accès, le Conseil national de l’ordre des pharmaciens précise « son opposition formelle à une mise en libre-service pure et simple de tout médicament au sein de l’officine ». « Si les autorités de santé désirent une modification des textes pour permettre aux patients et consommateurs d’accéder directement à certains médicaments dans les officines », poursuit cette motion, l’Ordre estime qu’une telle réforme devra impérativement comporter les précautions suivantes :

1) A partir d’indications thérapeutiques et de principes actifs préalablement déterminés, établir une liste positive de spécialités pharmaceutiques pouvant être rendues directement accessibles en officine. Ces spécialités devront avoir obtenu dans l’AMM une indication pleine, reconnaissant leur efficacité pour traiter certaines affections de la vie courante.

2) Garantir qu’aucun produit ne puisse, par des allégations thérapeutiques fallacieuses, par son nom ou sa présentation, introduire dans l’esprit du public une confusion avec des médicaments autorisés.

3) Adapter les notices des spécialités sélectionnées afin de leur donner un maximum de clarté et de lisibilité.

4) Munir leur conditionnement extérieur d’un dispositif permettant de s’assurer qu’il n’a pas été ouvert avant sa délivrance.

5) Si ces spécialités pharmaceutiques sont présentées en avant du comptoir, les placer de façon qu’elles soient clairement repérables par le public et situées à la vue directe d’un pharmacien. Faire en sorte que les médicaments soient tenus hors de portée des enfants.

6) Laisser au pharmacien d’officine le choix entre un aménagement en accès direct de ce type ou une autre forme de présentation permettant une information équivalente du patient ou du consommateur.

A l’attention des pharmaciens, l’Ordre reprécise notamment la nécessité d’établir une totale transparence sur les prix et leur affichage.

Il semble que les pouvoirs publics soient d’accord sur la mise en place de ces garde-fous en vue d’une modification de la réglementation actuelle.