« Ne tombez pas malade dans l’Allier, Monsieur Kouchner ! »

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Publié le 26 janvier 2002
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Lettre ouverte à Monsieur Kouchner.

Je vous écris ce courrier sous l’emprise de la colère car le vendredi 11.01.2002, ma consoeur de Laprugne (Allier) a été livrée pour la dernière fois. La pharmacie, en cessation de paiement, va fermer définitivement. Ce village de 450 habitants avait perdu son médecin il y a déjà quelque temps et dans le village voisin le médecin vient de faire sa dernière garde, usé par la vie campagnarde ! Pendant ce temps-là, vous négociez des sanctions collectives de 40 centimes par boîte vendue, sans discernement, sans analyse autre que financière […].

Que le pharmacien soit gros ou petit, dans une région qui progresse de 15 % ou de 5 %, qu’il ait substitué à hauteur de 70 % ou pas du tout, qu’il ait fini de rembourser son officine ou qu’il vienne de s’installer, la sanction serait la même ? Ridicule, non ?

Si l’on veut tuer l’officine dans les régions déshéritées, il faut s’y prendre exactement comme vos services vous le proposent. Mon département a perdu 10 % de sa population et vous voulez nous sanctionner comme les confrères de régions à fort potentiel. Ne tombez pas malade en traversant l’Allier, vous n’y trouverez bientôt plus ni médecin, ni pharmacien disponibles, trop occupés à parer au plus pressé, et dans quelles conditions de sécurité ! (plus aucun pharmacien assistant ne veut venir dans nos contrées). […]

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Je vous ai toujours entendu défendre le maillage des professionnels de santé sur le territoire (un maillage n’étant pas une unité en soi, mais la juxtaposition sur un territoire d’individus uniques et différents) ; mais à continuer avec ces politiques globales applicables à tous, sans distinction de résultats, de compétences, d’efforts réalisés, vous poussez chacun à un individualisme exacerbé, source d’anarchie, donc de danger pour la santé publique.

Si 40 centimes peuvent paraître « séduisants » pour un énarque comptable, il saute aux yeux d’un esprit un peu plus éclairé, qu’à terme, cette mesure totalement « primaire » de politique à la petite semaine ne peut qu’accroître l’injustice et désorganiser la profession.

Ne parlez surtout plus de l’égalité des Français devant la santé, car il faudra expliquer le point commun entre un pharmacien du fond du Bourbonnais ou du bas Berry et son confrère des Champs-Elysées ; entre un médecin corvéable à merci et son confrère de ville qui dès 17 heures renvoie les malades vers les urgences.

A moins que tout cela ne soit voulu par les penseurs cyniques qui vous courtisent pour diminuer l’offre de soin ! Analyse à court terme : quand la moitié de la France sera sous-médicalisée et l’autre surmédicalisée, organisera-t-on un service obligatoire pour zone désertique, verra-t-on un jour un STO médicopharmaceutique en Creuse, Ardèche, Allier, etc. ?

L’heure est trop grave pour plaisanter, il est urgent de savoir ce que l’on souhaite mettre en place pour sauvegarder ce qui peut l’être encore. Il ne tient qu’à vous d’envisager des mécanismes de régulation plus adaptés et moins injustes, […] fondés sur l’individu et non les masses ; il est urgent de reconnaître que l’exercice campagnard présente de grandes différences ; l’aménagement du territoire n’est pas je l’espère un mot vide de sens.

Si d’aventure vos services l’acceptaient, nous pourrions proposer des solutions satisfaisant vos objectifs en fonction des spécificités de chaque situation. […] C’est un cri d’alarme que je vous lance, il est de votre devoir de prendre en considération les besoins en santé de ces populations vivant en zones pauvres et en voie de désertification avant que cela ne dégénère. […]