MÉDICAMENTS EN LIBERTÉ CONDITIONNELLE

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Publié le 5 février 2011
Par Magali Clausener
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Le 31 janvier, la Direction générale de la santé et l’Afssaps ont présenté la liste de 77 médicaments et 12 classes thérapeutiques sous surveillance renforcée. Décryptage.

La presse, le grand public et, bien sûr, les professionnels de santé attendaient avec impatience cette liste annoncée par le ministre de la Santé. Ils n’ont pas été déçus : plus de 140 médicaments sont sous surveillance renforcée.

Pourquoi publier maintenant cette liste de médicaments ?

Lors de la remise du rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur Mediator le 15 janvier dernier, Xavier Bertrand, ministre du Travail, de l’Emploi et de la Santé, annonçait la publication par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) d’une liste de 76 médicaments sous surveillance renforcée. Promesse tenue. Pour autant, la présentation de cette liste s’inscrit dans le cadre de la nouvelle législation européenne relative à la pharmacovigilance, publiée le 15 décembre 2010 au Journal officiel de l’Union européenne. Cette législation doit entrer en vigueur en juillet 2012. Elle comporte notamment l’identification des médicaments sous surveillance supplémentaire (voir encadré). Dans l’attente des textes d’application en France, la publication de cette liste constitue « une première étape de cette démarche », dixit le dossier de presse du 31 janvier. On peut comprendre que, même sans l’affaire du Mediator, la fameuse liste aurait été rendue publique tôt ou tard. Et, selon toute vraisemblance, sans être médiatisée. Une publicité qui peut nuire à la transparence affichée de l’agence et du ministère de la Santé. Cette liste qui comprend finalement 77 médicaments (Colokit a été rajouté) et 12 classes de médicaments, risque en effet d’inquiéter patients et professionnels de santé.

Quels sont les médicaments concernés par la liste ?

Il s’agit de médicaments ou de classes de médicaments (vaccins antigrippaux et antihépatite B, sclérosants veineux), ayant obtenu une autorisation de mise sur le marché (AMM) et déjà commercialisés, qui font l’objet de « mesures de surveillance renforcée » et/ou d’enquêtes de pharmacovigilance. Cette surveillance particulière est déclenchée soit parce que les autorités sanitaires jugent nécessaire de renforcer le suivi de ces médicaments à titre préventif, soit parce que des signaux de risque ont été détectés et justifient une vigilance accrue. Les motifs du suivi figurent sur la liste établie par l’Afssaps. L’agence précise également les actions en cours telles qu’un retrait d’AMM, la réévaluation du bénéfice/risque ou un examen par le Comité technique de pharmacovigilance.

Les médicaments de la liste sont-ils dangereux ?

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A ce jour, ces médicaments ne sont pas jugés dangereux. Leurs bénéfices sont supérieurs aux risques. Leur surveillance renforcée est pour Didier Houssin, directeur général de la santé, « une garantie pour les patients », puisqu’elle permet de prendre des mesures adaptées si les risques sont avérés.

Ces médicaments vont-ils être retirés du marché ?

Six médicaments sont sur la sellette et font l’objet d’une réévaluation du bénéfice/risque : Hexaquine, Mynocine et les génériques, Multaq, Nexen et la molécule nitrofurantoïne (Furadantine, Furadoïne, Microdoïne). La réévaluation du bénéfice/risque d’Actos et d’Alli est envisagée. Pour ce dernier, une toxicité hépatique est suspectée et les études d’utilisation françaises montrent un mésusage important (30 % des cas). Quant à Fonzylane, dont la presse a annoncé le retrait, un avis défavorable a bien été prononcé par la commission d’AMM le 27 janvier. Mais l’Afssaps doit enclencher la procédure contradictoire avec le laboratoire. Pour Champix, l’examen du renouvellement de l’AMM est en cours. Une proposition de retrait a été faite pour Noctran. Il faut aussi noter que Di-Antalvic figure sur la liste alors que la décision de son retrait d’AMM au 1er mars a déjà été prise.

Et les autres médicaments ? Leur retrait n’est pas, bien sûr, automatique, ni même envisagé à l’heure actuelle. Fabienne Bartoli, directrice adjointe de l’Afssaps, a d’ailleurs souligné que d’autres mesures pouvaient être mises en œuvre pour réduire les risques comme les restrictions d’indications et l’information des professionnels de santé et des patients.

Quel est le lien avec la liste des 59 médicaments déjà publiée dans la presse ?

Le 19 janvier, Le Parisien publiait une première liste de 59 médicaments sous surveillance. Il s’agit des médicaments soumis à un plan de gestion des risques (PGR). Cette liste figure sur le site internet de l’Afssaps depuis 2007. Celle présentée le 31 janvier reprend une quarantaine des 59 médicaments soumis à un PGR.

Qu’est qu’un PGR ?

Depuis 2005, un PGR est nécessaire pour les médicaments ou produits contenant une nouvelle substance active et pour tout médicament qui connaît un changement (nouveau dosage, nouvelle indication, nouvelle voie d’administration, nouveau procédé de fabrication). Depuis cinq ans, les dossiers d’AMM comportent automatiquement un PGR.

La mise en œuvre d’un PGR est également demandée lorsqu’un risque important est identifié après la commercialisation d’un médicament connu. Un PGR peut donc concerner des médicaments mis sur le marché depuis plusieurs années. C’est le cas de Rivotril, qui est commercialisé depuis le 1er juillet 1998 et a un PGR.

Un PGR est « composé d’une description détaillée des risques identifiés et des activités de pharmacovigilance pour les surveiller, des études post-AMM et des études d’utilisation », explique l’Afssaps. Il peut aussi comporter des mesures pour minimiser les risques (restriction ou modification des indications).

Ces médicaments sont-ils aussi surveillés au niveau européen ?

La plupart des médicaments de la liste ont obtenu une AMM européenne. Depuis 2005, le PGR est requis au niveau européen et dans les Etats membres. Les médicaments sont donc suivis au niveau européen. Ainsi, la toxicité hépatique d’Alli est examinée actuellement en Europe. La liste comprend aussi des médicaments qui ont une AMM uniquement nationale. Leur surveillance est donc française. Ces spécialités peuvent cependant être commercialisées dans d’autres pays. Aujourd’hui, un retrait dans un Etat membre n’implique pas un retrait dans tous les pays de l’Union européenne. Mediator en est un exemple. La nouvelle législation européenne doit permettre d’améliorer le système de pharmacovigilance et un retrait généralisé (voir encadré p. 11).

Cette liste est-elle définitive ??

Non, cette première liste sera régulièrement actualisée. Il faut néanmoins savoir que les PGR sont maintenus durant cinq ans, les médicaments étant réévalués cinq ans après leur mise sur le marché.

Pourquoi cette liste n’a pas été diffusée auprès des professionnels de santé ?

« Nous avons beaucoup de mal à informer les prescripteurs avant la presse et à avoir un canal de diffusion efficace. Actuellement, nous touchons 40 % des médecins. L’Ordre des médecins n’actualise pas ses listes, contrairement aux pharmaciens », a reconnu Fabienne Bartoli.

Quels conseils donner aux patients qui prennent des médicaments appartenant à cette liste ?

« Cette liste ne doit pas conduire les patients à interrompre leur traitement sans prendre conseil auprès de leur pharmacien », a insisté Fabienne Bartoli. Aux pharmaciens de rassurer les patients et de les inciter à consulter leur médecin.

La liste est disponible sur www.wk-pharma.fr

L’ESSENTIEL

1 SURVEILLANCE PARTICULIÈRE

La surveillance particulière est déclenchée soit à titre préventif, soit parce que des signaux de risque ont été détectés et justifient une vigilance accrue.

2 RAPPORT BÉNÉFICE/RISQUE

Ces médicaments ne sont pas pour autant considérés comme dangereux. Leur rapport bénéfice/risque reste favorable.

3 SUR LA SELLETTE

Hexaquine, Mynocine et génériques, Multaq, Nexen et la nitrofurantoïne sont néanmoins sur la sellette.

4 RETRAIT DU MARCHÉ

Di-Antalvic sera retiré du marché le 1er mars.

Pharmacovigilance : l’Europe resserre l’étau

Pour l’Europe, la sécurité du médicament passe par le renforcement de la coordination entre les Etats, l’harmonisation des informations au patient et la création d’un nouveau comité européen de pharmacovigilance. La directive (2010/84/UE) et le règlement (1235/2010), publiés fin 2010 au JO de l’Union européenne, et qui entreront en vigueur en juillet 2012, énoncent sept mesures. La définition de l’effet indésirable inclut désormais toutes les situations d’utilisation, un élément déjà pris en compte en France. Les médicaments « sous surveillance supplémentaire » seront publiés sur le site de l’EMA (Agence européenne du médicament) et verront un logo apposé sur leur conditionnement. Les laboratoires seront soumis à des plans de gestion de risque au moment de l’AMM mais également après. Les résultats des études post-autorisation seront publiés sur le site de l’EMA. Tous les effets indésirables seront centralisés au niveau européen sur une seule base de données, Eudravigilance. Parallèlement, un portail web européen sera accessible aux professionnels de santé et aux patients qui seront invités à faire remonter les informations sur les effets indésirables. Enfin, pour les situations d’urgence, la procédure actuelle sera élargie aux médicaments disposant d’une AMM sur le marché national.

Marie Luginsland

Chiffres clés

77

C’est le nombre de médicaments soumis à une surveillance renforcée.

12

classes thérapeutiques font également partie de la liste fournie par l’Afssaps.

40 %

des médecins sont directement informés par l’Afssaps.

Les bons vœux du Leem

« Le rapport de l’IGAS n’est pas un rapport emblématique de ce qui se passe dans l’industrie du médicament », a déclaré Christian Lajoux, président du Leem (Les entreprises du médicament), lors de ses vœux, le 31 janvier. En clair, Servier est le seul « mauvais exemple » au sein de la profession. Christian Lajoux reconnaît cependant que le Leem doit améliorer son fonctionnement, notamment la transparence des relations entre l’industrie et les experts sur le modèle du Sunshine Act américain. Mais il n’a pas manqué de rappeler que différentes règles de bonne conduite avaient été mises en place en particulier pour la visite médicale (charte, certification). Et d’ajouter : « Il y a un vrai contre-pouvoir : les délégués de l’Assurance maladie. » Or, l’Assurance maladie compte environ 1 ? 000 délégués, contre 19 269 visiteurs médicaux à la fin 2009 ! « Aujourd’hui, dans notre pays, les visiteurs médicaux ne poussent pas les médecins à prescrire plus », a-t-il aussi assuré. Il n’avait pas vu le film diffusé à certains visiteurs médicaux du laboratoire Lilly que s’est procuré Libération. Une panthère fouette un médecin qui répète les arguments pour prescrire Zypadhera (video disponible sur www.liberation.fr). « Une initiative individuelle », qu’a condamné Lilly. Christian Lajoux qui affirme que « les comportements inacceptables » sont régulièrement évoqués au syndicat, a donc un nouveau sujet de discussion. MC