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L’Etat veut sa part
Sur la scène politique et médiatique, le dossier des remises commerciales concernant le générique n’a jamais été aussi brûlant. Le débat est engagé entre le gouvernement et la profession. Mais les représentants de l’Etat le répètent à l’envi : ils veulent récupérer une partie des remises pour les reverser à l’Assurance maladie. Etat des lieux.
Il faudra s’y résoudre. Même si aujourd’hui 84 % d’entre vous s’opposent à un partage des remises sur les génériques avec l’assurance maladie (voir ci-contre), l’affaire semble entendue : d’une manière ou d’une autre, l’Etat récupérera sa part. Les politiques se sont saisis du dossier et ils ne le lâcheront pas. Réforme de la Sécurité sociale oblige, aucune source d’économie ne sera négligée.
« Nous savons qu’il y a des marges arrière. Il ne paraît pas anormal que celles qui dépassent les marges de droit public reviennent en tout ou partie à l’assurance maladie », a récemment martelé dans nos colonnes Yves Bur, député UMP et président du groupe Médicament et produits de santé à l’Assemblée nationale (voir Le Moniteur n° 2519 du 17 janvier 2004). En coulisses, les négociations sont déjà engagées entre les génériqueurs, le ministère de la Santé, Bercy et la profession. « Les négociations se déroulent depuis plusieurs mois, confirme Claude Japhet, président de l’UNPF. Tout est sur la table : les conditions commerciales, le principe des marges arrière, les contrats de coopération et les conditions d’un partage avec l’Assurance maladie. » L’enjeu est de taille. Il ne s’agit pas seulement de trouver un mécanisme pour reverser une partie de l’argent à l’Assurance maladie. Il faut surtout clarifier un système qui fait planer une véritable épée de Damoclès sur la tête des pharmaciens.
Une situation absurde et intenable.
Pour le moment, la DGCCRF a suspendu ces vérifications, attendant l’issue des négociations, mais elle n’exclut pas de les reprendre si les choses restaient en l’état. Claude Le Pen, professeur d’économie de la santé à Paris-Dauphine et président du cabinet de consultants CLP Santé, dénonce dans les règles du jeu actuelles du marché des génériques une situation absurde et intenable qui favorise l’illégalité, les pratiques de dumping, de revente à perte, de remises croisées et les fausses prestations de services assimilées par la DGCCRF à des remises déguisées. « Parce ce qu’il faut favoriser la croissance des génériques en France, l’Etat fait comme s’il n’avait rien vu », dénonce Frédéric Thomas, manager senior au pôle santé du cabinet Arthur D.Little.
« L’illégalité de ces pratiques n’est pas évidente puisqu’il n’y a pas de surremises sur les factures », constate Jean-Jacques Zambrowski, consultant en stratégies et économie de la santé, tout en reconnaissant que des avantages sont accordés au pharmacien sous forme de contrats de coopération commerciale, qui, en principe, doivent concerner une prestation effective, justement rémunérée, et sans lien de proportionnalité avec le montant des commandes livrées de manière concomitante. « Reste que le pharmacien est directement exposé puisque acheter avec la remise de 10,74 % sur le PFHT en cas d’achat direct et vendre au prix de la vignette revient à facturer à la Sécurité sociale une prestation qui n’a ni été fournie ni été payée », rappelle Jean-Jacques Zambrowski.
Or les pharmaciens n’ont pas droit de facturer à la Sécurité sociale un bien plus cher que ce qu’il a coûté. Le problème c’est que les officinaux sont dans l’impossibilité de répercuter au comptoir les suppléments de remises.
Pas question de renoncer aux remises.
Epinglés par la DGCCRF lors de contrôles, certains officinaux ont objecté qu’ils ne pouvaient pas se rappeler pour chaque boîte son circuit d’achat et la marge perçue. Réponse de la DGCCRF : puisque les officinaux ne peuvent pas répercuter les compléments de remises proposées d’une façon ou d’une autre par les laboratoires sur le prix public, ils doivent les refuser. Impensable ! D’où la nécessité de sortir de l’absurdité de ce système, de clarifier la situation.
Pour autant il n’est pas question pour les pharmaciens de renoncer aux remises sur les génériques. Elles sont indispensables. Sans elles, le marché n’aurait jamais décollé et il ne pourrait pas continuer de progresser. Très tôt d’ailleurs, les syndicats ont reproché au taux de remises autorisé de 10,74 % d’être une compensation insuffisamment motivante pour créer un réel marché du générique, compte tenu des difficultés rencontrées pour développer la substitution et du travail pédagogique permanent à réaliser auprès des patients. « Etranglez les remises et les pharmaciens étrangleront le marché ! », a déjà prévenu Bernard Capdeville, président de la FSPF.
Les génériqueurs acquiescent. « Le générique s’est développé en France grâce au pharmacien et à la rémunération qu’il en tire. Son travail reste compliqué et soumis à différentes contraintes logistiques et de stockage », rappelle Hubert Olivier, P-DG du laboratoire Ratiopharm. Et même si, selon lui, le générique commence à entrer dans les moeurs, cela ne rend pas moins légitime la revendication des pharmaciens. « S’agissant de la substitution, il ne faut pas toucher à l’équation « marge générique égale marge princeps plus une incitation pour le pharmacien » », tranche Gilles Bonnefond, secrétaire général de l’USPO.
Doit-on déplafonner les remises ? Dans les discussions engagées avec l’Etat, les représentants syndicaux posent un préalable à tout partage avec l’Assurance maladie : la libéralisation des remises commerciales. « Il n’y a pas réellement besoin de la réclamer, elle existe déjà dans les faits », commente Bernard Capdeville. « Si l’on veut que le marché des génériques perdure, il faut être cohérent et laisser les pharmaciens s’organiser avec leurs fournisseurs pour que l’économie réclamée par la Sécurité sociale soit au rendez-vous, argüe Jean-Jacques Zambrowski. Dans tous les pays où le générique se développe, il y a des mécanismes incitatifs pour motiver la demande. »
Or, dans un pays comme la France où l’Etat fixe tous les paramètres économiques (prix, marge et taux de remboursement), aucun des acteurs n’est véritablement incité à acheter un générique au lieu de son princeps. « A force de vouloir régenter, les pouvoirs publics sortent de l’épure de l’économie libérale pour un système qui n’atteint pas ses objectifs, constate encore Jean-Jacques Zambrowski. Ils prennent des mesures d’incitation en traits discontinus et ne font pas ce qu’ils ont promis de faire. Ainsi, par exemple, aucun contrôle n’a été prévu pour vérifier que les médecins remplissent correctement leurs obligations de prescrire en dénomination commune. »
Pour l’économiste Claude Le Pen aussi, le plafonnement des remises n’a plus de raison d’être : « Il n’a d’intérêt pour la Sécurité sociale que s’il tue la concurrence entre génériqueurs, or ce n’est pas le cas ! » Pragmatiques, les génériqueurs sont ouverts à une libéralisation des remises qui s’inscrit complètement dans l’univers concurrentiel du générique. « Le gouvernement a fait le choix de confier le développement des génériques au pharmacien, ses efforts de substitution doivent correspondre à un avantage en termes de rémunération qui soit garanti dans le temps, sans risque de remise en cause à chaque nouveau projet de loi de financement de la Sécurité sociale ou par les tarifs forfaitaires de remboursement », estime l’industriel Hubert Olivier.
Partager avec la Sécurité sociale.
Quelques voix discordantes se font néanmoins entendre pour refuser un déplafonnement des remises. Selon Philippe Besnard, président de G GAM, une libéralisation totale serait problématique dans le cadre européen. « Une différenciation importante des prix entre les Etats membres n’est pas souhaitable car elle pourrait relancer le commerce parallèle et déstabiliser le marché européen », pense-t-il. « Les pharmaciens y trouveraient leur intérêt sur le plan individuel mais pas sur le plan collectif, assure Frédéric Thomas. Certes, ils réaliseraient un bénéfice, mais déplafonner les remises reviendrait à faire entrer le loup dans la bergerie. En effet, les surremises profitent à ceux qui se lancent dans les génériques mais qui ne sont pas forcément ceux qui, économiquement, en ont le plus besoin. Elles peuvent accélérer la disparition de certaines officines et donc la concentration du réseau. Pour l’instant, les génériqueurs sponsorisent les pharmacies, mais demain, lorsqu’ils se seront concentrés, ils n’auront plus intérêt à faire des surremises et les pharmaciens subiront la loi des marques, à l’instar de ce qui se passe dans le secteur de la grande distribution. » Quoi qu’il advienne, que la profession obtienne ou non une libéralisation des conditions commerciales, elle devra accepter de partager les fruits de la croissance du marché des génériques avec la Sécurité sociale.
Baisser le prix des génériques ?
Déterminer les mécanismes de ce partage ne sera pas aisé tant les avis divergent. Principale intéressée, l’Assurance maladie reste muette sur le sujet. La Fédération a, elle, déjà évoqué la possibilité pour les pharmaciens de reverser une partie des remises. Concrètement, le pharmacien verrait figurer le total des remises obtenues sur sa facture avec la mention « dont ACOSS 30 ou 50 % », somme directement versée par le laboratoire à l’ACOSS. « On n’a pas inventé la poudre. Mais le reversement à l’ACOSS est le système le plus en phase avec les mécanismes de distribution qui existe en amont de l’officine », explique Bernard Capdeville. « L’Etat devra nous fixer un objectif de substitution correspondant au montant des économies qu’il souhaite réaliser, explique de son côté Claude Japhet. Si l’objectif n’est pas atteint, on peut envisager une contribution complémentaire ou une baisse des prix des génériques. »
Cette baisse des prix des génériques serait une troisième solution. « Ce n’est pas au pharmacien d’aller chercher la remise pour la redistribuer. Si l’on veut qu’il devienne un acheteur pour tirer le maximum de remises au profit de l’assurance maladie, alors il faut l’autoriser à le devenir sur tous les médicaments, expose Gilles Bonnefond, secrétaire général de l’USPO. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons une baisse des prix qui permettra à l’Etat de récupérer une partie des remises. » « S’il apparaît que les surremises sont trop importantes, c’est que les prix des génériques sont trop élevés, commente Claude Le Pen. La logique est donc de libéraliser les remises en adoptant une politique fine d’ajustement de leurs prix. »
La politique des TFR mise en place par le gouvernement apparaît de ce point de vue comme la pire des solutions : alignant les prix et les remises des génériques avec ceux des princeps, elle casse le marché des génériques, source même des économies de l’assurance maladie. Comme le dit Stéphane Joly, P-DG des laboratoires Ivax, « quelle que soit la solution retenue, le pharmacien devra toujours gagner plus en délivrant un générique qu’un princeps ». Tout l’enjeu des négociations est donc de trouver un point d’équilibre acceptable pour tous : la Sécu qui table sur un certain montant d’économie, les génériqueurs qui souhaitent rentabiliser au mieux leurs produits et le pharmacien qui revendique une rémunération à la hauteur de son investissement dans la substitution. L’essor du générique en France est à ce prix.
Quelle est la taille du gâteau ?
L’Etat veut reprendre une partie des remises versées aux officinaux par les génériqueurs. Très bien, mais que représente globalement le volume des remises aujourd’hui ? Difficile à dire. Notamment parce que ces remises n’apparaissent souvent qu’à travers les contrats de coopération. Et comme les génériqueurs restent pour le moins discrets sur leurs pratiques commerciales…
Selon Frédéric Thomas, manager senior au pôle santé du cabinet Arthur D.Little, le montant total des remises (contrats de coopération inclus) représentent en moyenne 30 % à 40 % du prix du générique alors que le prix public du générique est en moyenne inférieur de 22 % par rapport au princeps. « Cela représente une enveloppe financière égale voire supérieure à l’économie générée par la vente de génériques », en déduit-il.
Or, d’après certaines estimations, la vente des génériques permettrait déjà à la Sécurité sociale de réaliser 80 millions d’euros d’économies chaque mois malgré le TFR (tarif forfaitaire de responsabilité)… Une ponction sur les surremises lui en assurerait quasiment le double. Comment y résister ?
Marges arrière ou surremises ?
Les laboratoires de génériques, très chatouilleux sur le sujet, bannissent le terme de surremises de leur vocabulaire, préférant parler d’« accords de prestations de services » dans le cadre de la coopération commerciale. Ils estiment le terme de surremises trop négatif. Logique : si une remise est plafonnée par un texte de loi et que pourtant des remises au-delà de ce plafond se pratiquent, il y a surremises, qui plus est illégales puisque non conforment à la loi. En revanche, les contrats de coopération commerciale sont parfaitement légaux. On parle donc plutôt dans ce cas de marges arrière, comme elles se pratiquent notamment dans la grande distribution. Reste à savoir si ce qui est contenu dans ces « accords de prestations de services » ne peut pas être considéré comme des remises déguisées.
Mais marges arrière ou surremises, qu’importe pour l’Etat : il ira chercher les économies qu’il souhaite réaliser.
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