« LES MARCHÉS FINANCIERS NE VONT PAS ATTENDRE »

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Publié le 17 décembre 2011
Par Magali Clausener et Laurent Lefort
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Chirurgien-dentiste, le député UMP du Bas-Rhin ne pratique pas la langue de bois en matière d’assurance maladie. Il est vrai qu’il est rapporteur à la commission des Affaires sociales pour le PLFSS, et précisément pour le budget de la Sécurité sociale. Son objectif : avoir en France un système de santé qui soit moins onéreux.

• « Le Moniteur » : Vous avez présidé la mission sur les agences sanitaires à l’Assemblée nationale. Quel est votre avis sur la loi de renforcement de la sécurité sanitaire, qui réforme le circuit du médicament ?

Yves Bur : Il était indispensable de revoir et de réactualiser la sécurité sanitaire du médicament au regard du Mediator. Les Français ont besoin d’avoir confiance dans leur système de sécurisation du médicament. Le nouveau cadre législatif apporte davantage de garanties de transparence et de responsabilité, ce qui va dans le sens d’une confiance retrouvée. Face à l’affaire Mediator, la réaction de Xavier Bertrand, ministre de la Santé, a été rapide et a permis de mobiliser l’ensemble des acteurs du médicament (experts, industriels, professionnels de santé, sans oublier les patients) pour redéfinir ce nouveau cadre. On ne pourra pas dire que les technocrates ont tout décidé. Les Français doutent du médicament, mais cela ne veut pas dire non plus qu’ils n’ont pas confiance dans le prescripteur et le pharmacien.

• Et que pensez-vous du projet de loi de financement de la Sécurité sociale [PLFSS] pour 2012 ?

Le PLFSS est encore une fois un PLFSS de crise. La crise de l’euro – qui est une crise de confiance – débouche sur une crise de croissance. Ce PLFSS 2012 réaffirme notre volonté de tout faire pour sauver la solidarité face à la vieillesse et la famille. Nous avons 6,5 milliards d’euros de nouvelles recettes mobilisées au niveau de l’assurance maladie, qui aura un déficit de moins de 6 milliards d’euros, et un objectif national des dépenses de santé [ONDAM, NdlR] qui s’installera durablement à 2,8 %*. Les ONDAM sont de moins en moins élevés mais pourtant de mieux en mieux respectés. C’est un PLFSS courageux pour traverser la crise et les élections, car on est dans une période préélectorale.

• Dans un contexte de crise économique et de déficit structurel de la Sécurité sociale, comment envisagez-vous le financement de cette dernière ?

Une augmentation de la CSG [contribution sociale généralisée, NdlR] et des cotisations est inéluctable. Il faut poursuivre la maîtrise des dépenses – qui naturellement évoluent de plus de 4 % –, ce qui implique des plans d’économies annuels de 2 milliards d’euros. Il y a un problème de recettes que nous ne pourrons pas traiter en permanence par des taxes diverses et variées. On doit expliquer aux Français que la santé a un coût et que le meilleur vecteur de financement est la CSG. Il ne faut pas faire croire que les taxes, qui finalement pèsent sur les Français, auront moins d’impact sur la croissance que l’augmentation de la CSG. Il est impératif que notre pays retrouve une croissance forte et durable, sinon notre système fondé sur la richesse produite ne pourra plus fonctionner. Je considère que nous devons éviter, à l’instar des Allemands, de continuer à augmenter les charges des entreprises, car cela affaiblit la compétitivité. Le premier plan d’austérité met 6 milliards d’euros à la charge des entreprises. Mais l’enjeu, la priorité, est de muscler nos entreprises pour qu’elles soient compétitives. On a perdu 10 points de compétitivité avec les 35 heures, l’augmentation des charges sociales, et maintenant on le paye. Les Allemands ont fait le contraire et sont compétitifs.

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• Faut-il une réforme brutale du système de santé ?

Je ne crois pas au grand jeu de la réforme. Il faut une réforme permanente, patiente et persévérante de l’efficience du système. La vraie question maintenant est de savoir si ce rythme est applicable avec les attentes et les exigences du marché financier qui, elles, sont immédiates. Peut-on se contenter de demi-mesures et prétexter que les Français ne sont pas capables de supporter davantage ? A force de décaler les réponses de fond, d’autres pays sont obligés de faire des réformes brutales. Mais, contrairement à la France, ils donnent également moins d’importance aux attentes corporatistes qui fragilisent la réforme.

• Côté dépenses, vous préconisez un déremboursement des médicaments à 15 %. Ne craignez-vous pas des réactions virulentes de la part des patients, des laboratoires et des pharmaciens ?

Le déremboursement concerne les médicaments qui présentent peu d’utilité thérapeutique. L’argent des Français doit être dépensé le mieux possible. On parle des transferts de prescription, mais c’est un argument de circonstance pour ne pas avoir à prendre des décisions en cette période de crise. La solution, c’est de voir avec les médecins comment éviter les transferts de prescription ou remplacer ces molécules de peu d’effet thérapeutique par des molécules qui en ont un. Le médecin doit s’interroger aussi : est-ce que le malade a besoin de ces médicaments à effet placebo ? Et nous devons nous demander aussi si nous pouvons encore nous payer ce genre de plaisanterie. Il faut sortir les Français de l’addiction au médicament.

• Vous êtes aussi partisan d’une politique plus forte sur le générique ?

La politique de générique en œuvre en France a fait perdre plusieurs milliers d’euros à l’assurance maladie à force de reniements et de reculades. Aujourd’hui, la France doit être le seul pays où la méfiance envers le générique est aussi grande, y compris de la part des professionnels de santé. C’est une méfiance irrationnelle et injustifiée. Devant le refus des génériques par les médecins, on a donné le pouvoir aux pharmaciens de piloter la substitution en négociant directement avec les laboratoires et en octroyant des marges arrière. Ce système a déstructuré le socle économique des officines, les marges ont augmenté et les prix de vente aussi, mais les pharmacies se retrouvent endettées et en difficulté.

• Il y a également le problème de l’augmentation des mentions « non substituable ». Quelles mesures et sanctions contre les médecins préconisez-vous ?

Il faut que la prescription de génériques fasse partie des objectifs de bonne pratique, mais le regard que les médecins portent sur le générique constitue un frein. Il est important qu’on arrête les démarches rétrogrades. L’amendement de la loi de réforme du médicament qui oblige les médecins à écrire la mention au lieu d’apposer un tampon est un plus : il faut faire feu de tout bois.

• Vous avez déclaré à plusieurs reprises que vous étiez favorables aux grands conditionnements. Dans le même temps, l’UMP, dans son programme sur la santé, préconise le déconditionnement des médicaments. Qu’en pensez-vous ?

On va déconditionner quoi ? Tous les médicaments ? Il faut arriver à aller vers des conditionnements les plus proches des besoins et des traitements avec moins de gélules dans les boîtes. Mais, dans d’autres cas, les grands conditionnements sont nécessaires et génèrent des économies. Chacun voit son porte-monnaie plutôt que l’intérêt collectif. On a tous les outils pour dépenser mieux et je m’étonne que l’Assurance maladie ne soit pas plus exigeante sur les dépenses.

• L’amendement que vous avez proposé dans le PLFSS 2012 visant l’appel d’offres sur trois classes de génériques par le Comité économique des produits de santé a été rejeté. Que pensez-vous de la proposition de l’UMP, qui figure dans ses 45 mesures pour la santé, que les pharmaciens négocient le prix des génériques avec les industriels, à l’instar des Anglais ?

L’amendement que j’ai déposé mettait en place une expérimentation sur l’appel d’offres pour les inhibiteurs de la pompe à protons, les statines et les inhibiteurs de l’enzyme de conversion. Cela devait permettre à l’assurance maladie de bénéficier de prix et de plus d’efficience. Le prix en France des génériques est de 15 centimes l’unité, alors qu’il est de 12 centimes en Allemagne et de 7 centimes au Royaume-Uni. Quant à la proposition de l’UMP, elle est effectivement basée sur le modèle anglais. Le pharmacien joue le rôle d’acheteur pour le compte de l’Assurance maladie et rend la plus grande part de l’économie réalisée. Quoi qu’il en soit, le modèle actuel n’est pas plus acceptable. Il faut tout expérimenter mais aussi mettre en place des accords-cadres avec les pharmaciens. Tout cela prend du temps. Et, encore une fois, la question que l’on peut se poser est : a-t-on encore le temps ? Les marchés financiers ne vont pas attendre et pointent nos incohérences.

• Quelle est pour vous la place des pharmaciens dans le système de santé de demain ?

Les pharmaciens sont pour l’instant des distributeurs de médicaments. Dans une zone de désertification médicale, le pharmacien est le premier recours dans le système de santé de proximité. Là encore, la France tarde par rapport à d’autres pays à s’engager sur la voie de la coopération médicale. Nous sommes un pays de corporatisme, de préservation des prés carrés. Face au risque de précarisation des ressources humaines, il va falloir accepter de partager les compétences et permettre aux pharmaciens de jouer un rôle de premier recours. La résistance du corps médical ne tiendra pas. Il faut travailler dans l’esprit du réseau. Il faudra que les gens apprennent à se respecter. Il faudra reconnaître les autres professionnels de santé. Le pharmacien et l’infirmier pourraient faire des contrôles et renouveler les prescriptions. La situation démographique va dicter ses règles. Le problème sera l’offre de remplacement. En Bourgogne, 30 % des médecins vont partir à la retraite. Est-ce qu’on va avoir le temps de se bagarrer sur des questions de compétences alors qu’il sera nécessaire d’améliorer la prise en charge des patients ? Les pharmaciens l’ont bien compris, le corps médical tarde à comprendre les évolutions qui s’imposent à lui, la frilosité des médecins ne tiendra pas.

• Que pensez-vous du changement de mode de rémunération des pharmaciens prévu dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2012 ?

L’organisation de notre système de santé est dictée par la recherche d’une meilleure efficience, pas par une politique de volume mais par une meilleure prise en charge. Là aussi, il a fallu bousculer la culture des médecins. Les contrats d’amélioration des pratiques individuelles sont au cœur de la convention. C’est la rémunération à la performance et à la qualité qui donne un complément à la rémunération de l’acte. S’il y a quelqu’un qui prescrit autant de médicaments, c’est le médecin. Les médecins ont surtout une culture curative et non pas préventive, et le système les a installés sur une rémunération fondée sur le volume. Il faut sortir de la culture du volume tout en informant les patients. C’est la même situation pour les pharmaciens auxquels il faut assurer des revenus.

• Dans un système de santé qui devrait évoluer, comment articuler le régime obligatoire et le régime complémentaire ? Quel rôle doivent jouer les assurances complémentaires ?

Le rôle majeur reste celui de l’assurance maladie. Les assurances complémentaires doivent nous montrer qu’elles ont une véritable envie de partager la gestion des risques. Jusqu’à présent, elles se contentent d’encaisser les cotisations et de verser la différence aux assurés. Aujourd’hui, elles peuvent jouer un rôle dans la prévention, la gestion du risque, généraliser des plates-formes de service pour accéder à une meilleure information des patients. A terme, on pourrait envisager de leur confier la prise en charge de la totalité de l’optique et un rôle accru en matière de prothèse dentaire. La culture d’un système d’information partagé dans la gestion du risque n’est pas encore installée. L’Union nationale des organismes d’assurance maladie complémentaire est pour l’instant la cinquième roue du carrosse. J’avais défendu, dans la loi Fourcade, la possibilité pour les mutuelles de constituer des réseaux avec les professionnels de santé. Cela aurait été au profit de la qualité et du coût de la santé. Il y a la question des difficultés d’accès aux soins « physiques » sur certains territoires, mais aussi financières avec les dépassements d’honoraires. Dans les trois à quatre ans qui viennent, il faudra avoir des réponses structurantes. Les mutuelles l’ont bien compris, mais pas le corps médical.

* L’interview d’Yves Bur a été réalisée avant le deuxième plan d’austérité et la réduction de l’objectif national des dépenses de santé à 2,5 %.