Leclerc : la riposte

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Publié le 19 avril 2008
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Affiches, tracts, films… Les pharmaciens, par la voix des groupements ou des syndicats, ont décidé de contre-attaquer après la campagne publicitaire de Leclerc pour vendre des médicaments non remboursés dans ses espaces de parapharmacie. ça gratouille et ça fait souvent très mal ! Morceaux choisis.

Un ménage français dépense en moyenne 5,60 euros par mois en produits de médication familiale contre 460 euros par mois en produits d’alimentation. Les 25 % de baisse annoncés sur ces premiers produits entraîneraient donc une économie réelle de 1,40 euro dans le budget mensuel des ménages. On comprend aisément la supercherie du coup de pub orchestré cette dernière semaine », peut-on lire dans un communiqué de Pharmesprit, une société de services (voir Le Moniteur n°2 700).

Ce n’est pas tout. Dès le lendemain des premières diffusions télévisées du spot de Leclerc, une centaine d’étudiants de la fac de pharmacie de Nancy ont manifesté sur le parking de l’hypermarché Leclerc à Vandoeuvre-lès-Nancy, en Meurthe-et-Moselle. Ils y ont interpellé les clients en dénonçant les risques sanitaires de la vente en grande surface des médicaments non remboursés. Une jeunesse soucieuse de préserver ses futurs intérêts financiers ? « Inexact, répondent-ils, nombre d’entre nous se destinent à la recherche ou à l’industrie»

Du côté de l’APLUS, l’accent est mis sur les « graves méprises » que commet Michel-Edouard Leclerc, en insistant sur le fait que la santé des patients « n’est pas en solde ». Chez les répartiteurs, Yves Kerouédan, directeur général de la CERP Rouen, s’est fendu d’une lettre ouverte pour expliquer à Leclerc que la santé des Français n’est pas à vendre. Le Collectif des groupements, PHR, Plus Pharmacie, l’ANEPF, Giphar, l’UNPF et l’USPO sont les partenaires de la « contre-campagne Leclerc » p montée à toute vitesse qui s’étale depuis le 14 avril dans Le Figaro, Le Monde, Le Parisien, Libération, 20 Minutes, Direct Soir et Direct Matin. Lucien Bennatan, président de PHR, n’exclut pas de poursuivre cette riposte médiatique au-delà de 15 jours. Avec éventuellement une campagne télé en mai.

Il y a pharmacien et pharmacien

Claude Japhet, président de l’UNPF, met en garde : « Il y a une différence entre les pharmaciens d’officine et les docteurs en pharmacie employés en parapharmacie. Les premiers sont responsables de leurs actes et sont tenus au secret professionnel. » « Un pharmacien Leclerc, qui n’a pas vu un médicament depuis dix ans et qui est cantonné à 7 % des médicaments (ceux à prescription médicale facultative), sera très vite en difficulté », complète Pascal Louis, président du Collectif des groupements. Enfin, « dès lors que l’on est dans des circuits de distribution ouverts comme en Grande-Bretagne ou en Espagne maintenant, les contrefaçons entrent dans le pays », observe Claude Japhet. Gilles Bonnefond, président délégué de l’USPO, révèle que « des pharmaciens travaillant en GMS disent qu’ils ne sont ni à l’aise avec la campagne Leclerc ni demandeurs du médicament. »

« La campagne Leclerc extrapole une supposée explosion des tarifs à partir de l’augmentation d’un veinotonique déremboursé en janvier, précise Gilles Bonnefond. Or l’augmentation des médicaments conseil n’a pas dépassé 1 % en 4 ans et celle des produits à prescription médicale facultative non remboursables n’a été que de 2,7 % entre février 2007 et février 2008 (+ 4,85 % en 4 ans). Les veinotoniques ont eux baissé de 0,3 % sur 4 ans ! En rendant 120 millions d’euros de marges arrière, la pharmacie a permis une baisse du prix des génériques. Or personne n’a vu les prix du Caddy baisser suite à la suppression des marges arrière. Au contraire, ils ont augmenté de 7 % en quatre mois, on n’a jamais vu ça ! »,

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Avec la charte de bonnes pratiques récemment signée et l’observatoire des prix qui va être mis en place, les pharmaciens se sont engagés à une baisse des prix. « Laissez-nous donc faire nos preuves », scande Lucien Bennatan. Quant à la réalité de la concurrence, remise en cause par Michel-Edouard Leclerc, elle existe non seulement entre pharmacies et mais aussi entre groupements, a tenu à préciser Pascal Louis. Contrairement à ce que pensent les clients et les pouvoirs publics ! Et elle sera d’autant plus vive que l’on permettra l’usage de la communication et de la publicité aux officines.

Il ne faut pas avaler n’importe quoi

Aux pharmaciens, le message immédiat est « Participez ». En placardant les affiches reçues entre mardi et jeudi dernier, et en distribuant les tracts afférents. La campagne presse a coûté 150 000 euros. C’est dix fois moins que celle de Leclerc. Un coût maîtrisé parce que tout un pan se déroule dans les officines elles-mêmes. Second message : les pharmaciens devront baisser les prix du non-remboursable. En Italie et au Portugal, la rupture du monopole a abouti à une diminution de 10 à 12 % des prix. « Nous nous sommes donc engagés auprès des pouvoirs publics à une baisse équivalente », informe Claude Japhet. Autrement dit, la sauvegarde du monopole passe aussi par cet effet sur les prix.

Autre groupement, autre communication. Forum Santé, a également conçu des affiches pour marquer sa contestation 5. Ses 130 officines adopteront aux alentours du 21 avril un visuel humoristique et tout aussi caustique que les flacons mis en scène. De quoi rappeler au public qu’il ne faut pas avaler n’importe quoi. Et, accessoirement, n’importe quelle couleuvre. Les Pharmaciens en colère ont appelé à une action commune. « Syndiqués ou non, découragés ou déterminés, de droite ou de gauche, nous sommes tous indignés de cette campagne », écrit Philippe Pistre, cofondateur du mouvement. Lequel propose un tract à photocopier o et à remettre à chaque client, pour tout type de vente. Un spot humoristique ra été réalisé pour l’occasion. Il est téléchargeable sur http://www.pratispharma.com ou sur http://www.quiestcher.fr pour être diffusé sur les écrans de l’officine. Dernière incitation : effectuer des relevés de prix dans le Centre Leclerc le plus proche de la pharmacie pour alimenter un observatoire de prix.

Depuis le 11 avril, les officines IFMO-Pharmélia tet u disposent de deux affiches qui jouent la carte de la proximité, « qu’aucun autre circuit ne peut garantir », et de la sécurité de dispensation du médicament, « l’un des moins chers d’Europe ». Avant de rappeler que « le médicament n’est pas une boîte de petits pois ».

Sur le même registre alimentaire, des linéaires composés de produits habituellement vendus en GMS sont mis en place dans les officines de l’Hérault jusqu’à la fin du mois d’avril. Cette initiative de la chambre syndicale des pharmaciens de l’Hérault fait des émules e. Le Cantal, l’Ardèche et les Charente-Maritime sont prêts à embrayer. Les produits seront ensuite offerts à des associations caritatives.

Faire annuler la campagne

Univers Pharmacie, l’UNPF, l’USPO et Directlabo ont assigné Leclerc en référé pour faire annuler la campagne, sous astreinte de 20 000 euros par jour de retard. Ils veulent en effet convaincre les magistrats que la campagne publicitaire est mensongère et trompeuse, en vertu de l’article 121-1 du Code de la consommation. Cette demande, présentée par l’avocat colmarien Mikhaël Allouche, a été examinée mercredi au tribunal de grande instance de Colmar. « Qu’un juge nous entende et rende recevable un référé, c’est déjà une victoire, dans la mesure où le CSA a donné un avis positif sur la campagne. On n’a rien à perdre. Au pire la campagne se poursuivra », fait remarquer Gilles Bonnefond. Réponse du tribunal lundi 21.

Quant à la FSPF, elle maintient le cap de sa campagne de communication prévue dans cinq semaines (voir Le Moniteur du 12 avril). Jocelyne Wittevrongel, présidente de la commission Communication du syndicat, confirme le chiffre de 1 200 retours en une semaine avec des chèques de 150 à 200 euros en moyenne à la suite de la demande de financement. Rassurant tout ça.

Carrefour s’y met aussi !

José Luis Duran, président du directoire de Carrefour, a rejoint la position de Michel-Edouard Leclerc lors de l’assemblée générale du groupe le 15 avril. « Je serais ravi de proposer une offre plus large en parapharmacie et en pharmacie, avec des prix plus compétitifs, comme nous le faisons déjà en Espagne et en Italie», a-t-il déclaré. L’attrait des enseignes de GMS pour les médicaments n’est pas prêt de s’arrêter. « La brèche est ouverte, admet Willy Hodin, directeur général de PHR. Chaque acteur de la GMS va prendre position pour pouvoir capter des parts de marché dans la perspective d’une libéralisation. » Sur le terrain des médicaments, la GMS n’est pas crédible pour autant. « Jusqu’à présent, la GMS n’a pas démontré sa capacité à vendre les produits moins cher, au vu de la hausse des denrées alimentaires dans leurs magasins. Pourquoi en serait-il autrement pour les produits pharmaceutiques, dont ils ignorent les règles de dispensation et de distribution ? », s’interroge Willy Hodin. Quoi qu’il en soit, le mouvement de fond enclenché par Leclerc pourra-t-il décider le législateur à déréglementer ? « Il est clair que le marché s’oriente vers une concurrence de circuits de distribution. Quand il tranchera, le législateur devra veiller à ce que les règles soient les mêmes pour tous les acteurs, qu’il s’agisse de gardes, de tiers payant ou de garantie contre les contrefaçons. »

Veinotoniques et pouvoir d’achat, même combat

Depuis le 7 avril, la majorité des 300 officines de la chambre syndicale des pharmaciens de l’Hérault (CSPH) ont mis en oeuvre une opération « baisse de prix » sur Bio Cirkan et Ginkor Fort. « Les patients peuvent désormais les trouver dans nos officines à un prix moins élevé que lorsqu’ils étaient pris en charge par la Sécu », note Jean-Michel Ferrando, vice-président de la CSPH. « A l’heure où le pouvoir d’achat des Français est en baisse, nous voulons communiquer sur le fait que le réseau officinal n’est pas plus cher que les autres réseaux », explique Frédéric Abecassis, président du syndicat local. L’opération a été difficile à monter. Si la plupart des laboratoires ont été contactés par la CSPH, seuls Pierre Fabre et Idim Pharma ont accepté le partenariat proposé. « En se regroupant pour les commandes, chaque officine a pu stocker de faibles quantités en obtenant le meilleur prix et en répercutant les remises », explique Jean-Michel Ferrando. L’opération a été annoncée dans la presse locale le jour même où, sur TF1 et M6, Leclerc lançait sa campagne publicitaire. La coïncidence n’a pas déplu aux pharmaciens héraultais. « Nous n’étions pas au courant que Leclerc préparait cette campagne, mais cela ne pouvait pas tomber mieux. » L’action « pouvoir d’achat » du syndicat fait réagir, même dans d’autres départements. Déjà des pharmaciens héraultais souhaitent la même opération sur une autre classe thérapeutique. Peut-être en septembre.