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Leclerc fait son fils de pub
Quand on leur dit « non », certains comprennent « peut-être » ! Michel-Edouard Leclerc est de ceux-là. Rien n’y fait. Ni Nicolas Sarkozy, qui a refusé le rapport Attali, ni Roselyne Bachelot, qui soutient le monopole. Mais Leclerc veut le médicament. Il l’a dit dans une pub qui fait grand bruit. La riposte s’organise.
Les médicaments non remboursés sont de plus en plus chers. Leclerc demande que ses docteurs en pharmacie puissent vendre ces médicaments à des prix Leclerc. » Le slogan est limpide, l’attaque frontale. En lançant ce spot publicitaire, diffusé uniquement sur TF1 et M6 (le budget annuel que l’enseigne consacre à ces 2 chaînes serait de 26 MEuro(s)), Michel-Edouard Leclerc refait pression sur les pouvoirs publics pour ouvrir le monopole des pharmaciens. Autorisée par le CSA, qui n’y voit aucune connotation politique, la publicité a pourtant reçu l’avis négatif du Bureau de vérification de la publicité (dont le rôle n’est que consultatif), jugeant par ailleurs certains visuels dénigrants à l’égard du médicament.
La ministre de la Santé pique une colère
S’exprimant mardi sur i-télé, Roselyne Bachelot – qui a réaffirmé son attachement au monopole lors du dernier Pharmagora – a jugé mensongère l’affirmation de Michel-Edouard Leclerc selon laquelle les médicaments non remboursés seraient vendus 25 % moins chers si le gouvernement ouvrait le marché à la GMS. Leclerc, qui « reste convaincu que son projet aboutira, malgré la frilosité des politiques », ainsi qu’il le déclare dans une interview accordée sur Lepoint.fr, juge la réaction de Roselyne Bachelot « corporatiste ».
Au-delà de la polémique, Leclerc tente d’influencer l’opinion publique en agitant le sacro-saint argument du pouvoir d’achat. « Seules les conditions véritables de libre concurrence pourront produire un effet significatif et durable de régulation des prix des médicaments d’automédication », lit-on dans le dossier de presse du groupe de distribution. Son principal argument : la hausse des prix consécutives aux mesures de déremboursement, passées et à venir, constitue « un potentiel d’érosion pour le pouvoir d’achat des Français, déjà fragilisé ».
Pour apporter une caution de sérieux à ses revendications, le géant de la grande distribution a concocté une étude chiffrée, qui s’appuie sur des données statistiques issues notamment d’un panel de pharmacies de la société IMS Health. Un relevé de prix de quatre produits déremboursés met en avant une flambée des prix après déremboursement, comme Euphytose (+ 48 %) ou Hexaspray (+ 46 %). En zoomant sur une petite dizaine de produits, l’étude est pourtant loin d’être exhaustive. Et, comme si cela ne suffisait pas, Leclerc attaque les pharmaciens de front : « La décomposition du prix des médicaments après intervention du déremboursement montre que c’est la distribution qui a le plus augmenté sa marge (+ 55 %), plutôt que les entreprises du médicament (+ 16 %). »
On comprend donc mieux l’attitude ambiguë du Leem. Dans une lettre adressée le 8 avril à Michel-Edouard Leclerc, Christian Lajoux écrit : « Concernant les prix publics, vous soulignez un différentiel de croissance entre les évolutions des prix fabricants et prix publics. Je souhaite être encore plus précis. Entre 2000 et 2007, les prix fabricants, pour les médicaments déremboursés, ont augmenté de 5% contre 25 % prix public. » L’USPO indique pourtant que les 100 premiers produits de médication officinale n’ont augmenté que de 1 % en quatre ans. Sur son site, Leclerc s’engage à « renforcer le recrutement des docteurs et de préparateurs en pharmacie dans les mois qui viennent, éditer des fiches-conseil sur l’automédication et à étendre la couverture du réseau de ses parapharmacies ». Y figure même une pétition invitant les internautes à se déclarer favorables à une ouverture du monopole. Mercredi 9 au matin, seulement 709 l’avaient signée ! Et pour bien enfoncer le clou, Leclerc a même ouvert dans deux de ses parapharmacies de la région parisienne un rayon automédication. Vide pour le moment.
L’Ordre fait un procès en référé à Leclerc
La réaction de l’Ordre ne s’est pas fait attendre. « La santé publique fourvoyée au supermarché, non merci ! », clame-t-on au siège du Conseil national. « Il ne faut pas confondre médicament et marchandise, pharmacien et chef de rayon, pharmacie et magasin ! », met en garde le président Jean Parrot. Entre plateaux télé, émissions de radio et journaux grand public, il est sur tous les fronts. « Notre angle d’attaque, c’est la santé publique. Les arguments économiques de Leclerc ne sont pas pertinents car, à l’heure actuelle, le panier du non-remboursé n’est que de 30 euros par an et par habitant. Il a prétendu aller dans le sens de l’Europe, en fait, il veut capter le médicament pour l’image de marque de ses magasins et est avant tout intéressé par les 50 à 70 millions d’euros supplémentaires à gagner ».
L’Ordre, dès vendredi, a fait un procès en référé et a obtenu que le terme de « pharmaciens » dans les publicités télévisées et écrites soit remplacé par « docteurs en pharmacie ». Une maigre consolation. « Le rapport Attali écarté, nous considérons que Leclerc est définitivement disqualifié pour parler de la santé », juge Gilles Bonnefond, président délégué de l’USPO. « La démagogie consumériste n’a pas lieu d’être quand la santé publique est en jeu », commente de son côté le Collectif des groupements.
Les industriels se rangent du côté des pharmaciens. Magali Flachaire, déléguée générale de l’AFIPA, ne change pas d’un iota ses positions « Nous continuons à défendre le monopole des pharmaciens, assure-t-elle. C’est une chaîne, dont nous faisons partie, sûre et sécurisée. Le spot publicitaire de Leclerc n’est qu’une opération de communication qui montre une image bien peu valorisante du système de santé et du pharmacien en particulier. Michel-Edouard Leclerc tente d’activer l’opinion publique, mais il n’a pas compris qu’il s’adresse à des patients et non à des consommateurs », conclut-elle. Le spot n’est pas non plus du goût d’Hugues Lecat, directeur Santé Classique et Officine de Sanofi-Aventis : « Le médicament n’est pas un produit de consommation comme un autre. C’est pour cela que cette campagne ne respecte ni le patient ni le professionnel de santé. » Le laboratoire français ne semble pas prêt à céder au chant des sirènes de la GMS dans le cas d’une ouverture du monopole. « Nous n’envisageons pas de vendre nos médicaments dans deux circuits de distribution et sommes très attachés au réseau des officinaux », réitère Hugues Lecat.
A l’USPO, on considère que la communication de Leclerc « s’apparente à de la diversion. Il promet des baisses de prix sur des produits qu’il n’est pas autorisé à distribuer pour mieux dissimuler les augmentations sur des produits de grande consommation. Où est passé l’argent des marges arrière dans les grandes surfaces qui aurait dû se traduire par une baisse de prix du Caddie de 15 %. Alors que dans le circuit pharmaceutique la suppression des marges arrière se traduit par 120 millions d’euros en baisses de prix, au bénéfice des patients ».
Une analyse que partage Claude Japhet, président de l’UNPF. « Ce ne sont que mensonges et manipulations. On vient juste de mettre en place un accord sur les pratiques commerciales et Leclerc revient à la charge sur les prix. De là à croire que cela le dérange… De qui défend-il le pouvoir d’achat quand on sait que 8 dirigeants ou propriétaires de Centres Leclerc figurent parmi les 500 plus grandes fortunes de France ? » Roselyne Bachelot mise à part, Claude Japhet trouve que « le mutisme du gouvernement est dramatique ».
L’Ordre espère réunir les représentants syndicaux et autres leaders de la profession pour réfléchir à une action commune. Pour Jean Parrot « la meilleure communication serait de passer directement par les confrères ». Claude Japhet, qui aurait aimé qu’une réunion de crise générale soit mise en place sans tarder, réclame une action coordonnée avec toute la profession. Mais il se dit aussi très pressé de réagir. Comme l’USPO, il a été approché par Lucien Bennatan, président du groupe PHR, qui a décidé d’adresser aux 1 670 adhérents de son groupe des affiches d’1 m 50 par 1 mètre parodiant la campagne de Leclerc. « Notre riposte sera également diffusée dans la presse quotidienne régionale et au moins dans deux titres nationaux comme Le Parisien et Le Journal du dimanche, explique Lucien Bennatan. Idéalement, j’aimerais que les affiches soient dans les officines le 16 avril. »
La Fédération lance un appel de fonds auprès des officinaux
De son côté, Pharmaciens en colère se prépare à ouvrir un site grand public (qui pourrait s’intituler http://www.quiestcher.com) et qui comprendra tracts et documents téléchargeables en vue d’affichages dans les pharmacies. « Que les instances professionnelles fassent une communication média est très bien, même si cela aurait été plus efficace via une intersyndicale, note Philippe Pistre, coleader du mouvement. Mais n’oublions pas l’impact que peut aussi avoir une communication sur site, dans les officines, auprès de nos 4 millions de clients quotidiens. Nous envisageons également un observatoire des prix Leclerc versus les nôtres », conclut-il, observant que la charte de bonnes pratiques et le décret sur les centrales d’achat des pharmaciens permettront de peser encore plus sur les prix en officine.
Enfin, dès vendredi 4 avril, la FSPF a engagé auprès des officines un appel de fonds via un fax invitant à verser par chèque une somme multiple de 75 euros (chiffre correspondant à l’indemnisation des astreintes) pour réaliser une campagne nationale de communication. « Les premiers retours des pharmaciens sont très encourageants. Les piles de chèques grandissent et certains montants sont de 600 euros », constate avec satisfaction Philippe Gaertner, président de la FSPF. Il faut dire que les bases de la campagne avaient été érigées en prévision de la remise du rapport Attali. « Nous souhaitions avoir une campagne d’avance tout en espérant qu’elle ne sorte jamais », ajoute-t-il. Raté. La campagne, pour un budget d’un million d’euros, se composera d’affiches dans les officines, de publicités dans la presse régionale et nationale ainsi que sur Internet. Et si les fonds le permettent, une déclinaison audiovisuelle est envisagée. Seul hic, compte tenu des délais de réalisation, son lancement n’interviendra pas avant six semaines, confie Philippe Gaertner. Lequel conclut qu’« aucune vente de médicament en libre accès ne se fera sans un conseil du pharmacien ou de son équipe ». Voilà qui tombe plus que jamais sous le sens.
ce que vous en pensezOrganiser une riposte
Guy BARRAL, Brignais (Rhône)
Il faut une campagne d’excellence qui rassemble l’ensemble des syndicats. Le résultat ne sera que médiocre si nous sommes désunis. J’ai reçu le fax de la FSPF m’invitant à verser une contribution correspondant à une ou plusieurs fois le montant de la garde. Ma participation dépendra de la façon dont sera préparée la campagne. Si elle est organisée en interne, ce sera 75 Û. Si la profession fait appel à une pointure, je suis prêt à mettre trois ou quatre fois plus. Pas besoin de Leclerc pour avoir des prix bas et une concurrence sur les prix, les discounters au sein de la profession nous suffisent.
Monique DURAND, Champigneulles (Meurthe-et-Moselle)
Ma décision de participer financièrement à une campagne professionnelle n’est pas encore prise. Je ne trouve pas normal que les pharmaciens syndiqués paient pour ceux qui ne le sont pas alors que cette campagne sert l’ensemble de
la profession. J’aimerais que tous y contribuent par le biais d’une ponction sur la cotisation ordinale, comme pour le dossier pharmaceutique. Je trouve la pub de Leclerc déconcertante. Les augmentations de prix décriées ne sont pas vérifiées, sauf exceptions qui sont le fait des politiques de déremboursement des laboratoires. Nous n’avons pas la même vision que Leclerc. Nous dispensons le médicament seulement quand le patient en a besoin.
Anne-Marie SUSPLUGAS, Grabels (Hérault)
Je suis prête à réagir tout de suite. Une contribution de 150 Û me paraît raisonnable mais il faut que tous les pharmaciens soient partants. Je suis scandalisée par cette campagne totalement irrespectueuse. Mes patients l’ont aussi perçue comme cela et m’ont demandé si la profession allait réagir. Nous n’avons pas de leçon à recevoir de Leclerc alors que le Caddie de la ménagère flambe et que ses fins ne sont que mercantiles. La campagne de la profession devra jouer la transparence, expliquer que les prix baissent en pharmacie.
Enquête flash en direct du Net*
Seriez-vous prêt à contribuer personnellement à une campagne de la profession pour contrer Leclerc dans les médias grand public ?
– Jusqu’à 100 euros : 31,14 %
– Jusqu’à 500 euros : 12,50 %
– Jusqu’à 1 000 euros : 5,23 %
– Au-delà de 1 000 euros : 5,23 %
– Non, cela relève des instances professionnelles : 45,90 %
De l’influence très relative du prix
Selon une étude qui vient d’être publiée par Reader’s Digest Magazine, portant sur la confiance accordée par les citoyens de 16 pays européens aux produits OTC, le prix bas arrive en cinquième position par ordre d’importance dans leur choix (28 % d’entre eux le citent parmi les trois items (parmi neuf qui leur étaient cités) les plus importants pour eux). L’item numéro un concerne l’efficacité connue du médicament (à 61 %) devant l’expérience personnelle du produit concerné (51 %).
Source : « OTC News ».
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