Le tant attendu « Livre blanc » de l’officine

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Publié le 23 février 2008
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Ordre, syndicats et groupements ont fait front commun pour présenter, le 19 février, le « Livre blanc de l’officine ». Une centaine de pages qui font le bilan de la pharmacie d’aujourd’hui et échafaudent les perspectives de demain. Morceaux choisis.

Lorsque j’ai rencontré Jacques Attali, il m’a dit qu’il nous voyait avant tout comme des commerçants. Je me suis donc permis de lui faire remarquer qu’on n’avait pas besoin de six ans d’études pour faire marcher une caisse enregistreuse. Bizarrement, cela ne lui a pas tellement plu », a rapporté Jean Parrot en préambule à la présentation du « Livre blanc de l’officine ».

Passé cette anecdote, le président, déterminé et cinglant, a posé le décor qui a conduit à sa publication, soit cent pages de propositions dessinant le portrait-robot du pharmacien du futur : la mise en demeure européenne concernant l’ouverture du capital, les deux rapports au vitriol de Jacques Attali et Charles Beigbeder et, enfin, l’inattendue prise de position de Roselyne Bachelot en faveur de l’automédication devant le comptoir…

C’est à Gilles Bonnefond, président délégué de l’USPO, qu’est revenue la tâche d’aborder la question du maillage territorial. La profession a proposé des modifications l’année dernière : création d’une seconde pharmacie à partir de 3 500 habitants, le seuil restant à 2 500 pour la première, transferts possibles sur la France entière et regroupements favorisés. « Le maillage doit coller aux besoins de la population pour assurer la permanence des soins et diminuer la surdensité officinale dans certaines zones de centre-ville », explique Gilles Bonnefond. Yves Trouillet, président de l’Association de pharmacie rurale, ajoute une note prudente : « Je suis partisan d’une modernisation du réseau mais pas d’une restructuration. Il doit pouvoir rester des officines rurales seules au pays. La vision de cauchemar serait que des pharmacies de seconde zone apparaissent. Cette mort lente donnerait une image épouvantable de la profession.» Jean Parrot et Gilles Bonnefond évoquent néanmoins une augmentation de la taille des officines « avec plusieurs diplômes, pour permettre une offre plus large et étoffer les services qui feront partie des nouvelles missions (HAD, MAD, services à la personne) ».

Naissance du « pharmacien relais de prescription »

« Remettre un médicament réservé à la prescription sans présentation d’une ordonnance […], il est des cas d’urgence où une telle décision doit être prise dans l’intérêt du patient […]. On peut regretter que la situation juridique de ces actes ne soit pas toujours totalement claire », peut-on lire dans le livre blanc. Lequel évoque encore « le pouvoir de prescrire dans des cadres bien cernés, en accord avec le médecin : suivi de malades chroniques stabilisés, problèmes liés au traitement et ajustement des dosages dans certaines maladies, délivrance de contraceptifs oraux, besoins liés à la prévention tels que certains vaccins (grippe) ». Pour la vaccination, Claude Japhet, président de l’UNPF, propose même de systématiser dans les officines le contrôle du carnet de vaccination, arguant d’une couverture vaccinale aléatoire chez les adultes. Des discussions sont actuellement en cours avec l’Assurance maladie. Toutes les conditions sont donc réunies pour qu’un « pharmacien relais de prescription » naisse. Côté dispensation, le livre blanc reconnaît qu’il « reste beaucoup à faire pour améliorer la qualité de la dispensation ». Sur ce point, le dossier pharmaceutique, dont un premier bilan des expérimentations menées sera présenté le 19 mars, compte parmi les sérieux atouts. « Il faudra aussi que l’on puisse communiquer sur la qualité de nos prestations et de nos services », fait remarquer Claude Japhet.

Un feuillet thérapeutique individualisé signé par le malade

L’éducation thérapeutique du patient est « une mesure emblématique et porteuse d’avenir », selon Jérôme Paresys-Barbier. Le président de la section D s’interroge : « Qui peut, mieux que les pharmaciens, faire du cousu main comme le demande la future loi d’accès aux soins ? » Le livre blanc propose de faire du pharmacien un « agent de liaison entre les patients, les pouvoirs publics et les autres professionnels de santé ». Un feuillet thérapeutique individualisé signé par le malade pourrait renforcer cet engagement. « L’éducation thérapeutique, c’est un accord triplement gagnant, selon Jean-Charles Tellier, président de la section A. Les pharmaciens seront revalorisés dans leur tâche, les payeurs intéressés par les économies engendrées et les patients mieux soignés. »

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Comment l’appellera-t-on ce nouveau pharmacien ? Pharmacien référent, peut-être. « Accompagnement, conseil, observance, éducation thérapeutique, sont les points cardinaux de la pharmacie de demain », confirme Philippe Gaertner, président de la FSPF. Le pharmacien sera encore plus qu’aujourd’hui un accompagnant du patient chronique. « Tout ce qui ne nécessite pas de diagnostic doit passer par le pharmacien », complète Gilles Bonnefond. Le pharmacien va renforcer son rôle d’acteur majeur du dépistage et de la prévention.

Oui au libre accès, non au libre-service

Plus surprenant, l’Ordre remet sur le tapis « la possibilité de mettre en accès direct des boîtes ne contenant pas le médicament ». « La formation est l’un des outils nécessaires à l’accompagnement de ce libre accès, et non libre-service », fait remarquer Philippe Gaertner. « Il sera nécessaire de mettre en place très rapidement un suivi de pharmacovigilance important sur ces produits », précise Claude Japhet. Pascal Louis, président du Collectif des groupements, évoque « une ordonnance d’automédication remise lors de la délivrance et précisant le nom du médicament, son indication, avec posologie rédigée à la main ». Une prescription pharmaceutique, en somme…

« N’oublions jamais que les officines sont le premier poste de santé, car il faut souvent monter un étage pour aller chez le médecin », fait remarquer avec humour Norbert Scagliola, président de la section E. C’est exactement ce que suggère le livre blanc : les pharmaciens doivent contribuer « à la veille sanitaire et au traitement des personnes malades, blessées ou contaminées en cas de crise sanitaire » L’officine, poste de premier secours, doit rester un réflexe naturel. Jean Parrot y tient.

« Aujourd’hui, nous sommes rémunérés sur notre activité principale, la dispensation du médicament. Cette rémunération à la vente ne pourra suffire compte tenu des changements à venir comme la prévention, le dépistage, l’éducation, les transferts ou délégations de tâches du médecin vers le pharmacien, changements que nous souhaitons accompagner », expose Claude Japhet. L’avenir verra peut-être l’acte pharmaceutique devenir un fondement de la rémunération officinale. Philippe Gaertner acquiesce : « Le développement de services nouveaux doit pouvoir permettre de disposer d’équipes motivées, performantes et compétentes. Il faut une lisibilité sur la rémunération pour ces nouvelles fonctions. »

Vers des pharmacies spécialisées ?

Des propositions seront faites dans le cadre du projet de loi de modernisation du système de santé présenté en septembre prochain. Jean Parrot reste modeste : « Nous voulons simplement que la loi consacre quelques lignes pour dire que les professionnels de santé doivent s’organiser entre eux pour assurer la continuité des soins. » Il reconnaît qu’aujourd’hui les officinaux font parfois plus ou moins de l’exercice illégal pour rendre service à la population. Il souhaite vivement que s’organise un cercle de qualité autour du patient. Des expérimentations de coordination en région sont même évoquées « dans un souci de partage avec les médecins, car il n’est pas question de dresser les professionnels les uns contre les autres ». Jean Parrot livre en guise de question une autre piste de réflexion : « Pourrons-nous continuer à être tous généralistes ? Peut-être devrons-nous réfléchir à des pharmacies spécialisées ? »

Dès 1997, l’OMS soulignait que les compétences des pharmaciens restaient sous-utilisées par rapport à leur potentiel. Même son de cloche dans un rapport du ministère de la santé au Royaume-Uni en 2003 : « Les pharmaciens représentent probablement la plus grande ressource inexploitée pour l’amélioration de la santé. » Avec le livre blanc, les choses pourraient bien changer.

Capitale question

S’il y a une question sur laquelle le président de l’Ordre est quelque peu gêné aux entournures, c’est sur la propriété pharmaceutique. Et pourtant l’injonction européenne est bel et bien là comme une épée de Damoclès. « Nous avons des collaborateurs, précise Claude Japhet, l’ouverture du capital doit se faire avant tout vers eux. » Des réunions de travail ont d’ailleurs lieu entre la section A et D. Elles semblent en bonne voie pour aboutir rapidement. « Nous nous opposerons fermement à l’apport de capitaux extérieurs », promet de son côté Philippe Gaertner. Le livre blanc accentue le souhait que les SEL puissent exploiter jusqu’à trois officines et que les pharmaciens associés puissent créer entre eux des sociétés de participations financières de professions libérales