La France lâche les LABM A qui le tour ?

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Publié le 10 mai 2008
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Ils étaient cinq Ordres contre une Europe assoiffée de libéralisme. Mais rien n’y a fait : la France vient de céder sous la pression de la Commission européenne et a promis d’augmenter l’ouverture du capital des LABM d’ici à la fin de l’année. Motif : la présidence de l’Union européenne en juillet ! Les officinaux peuvent avoir peur pour leur paroisse.

La France prenant la présidence de l’Union européenne en juillet prochain, « nous nous devons d’avoir une forme de respect vis-à-vis de la Commission européenne ». Le ton est donné et le ministère de la Santé ne s’en cache pas. Selon les propos mêmes de la conseillère en communication de Roselyne Bachelot, Géraldine Dalban-Moreynas, le gouvernement a donc cédé à l’injonction de la Commission relative à l’exploitation des laboratoires d’analyses de biologie médicale pour… bien se faire voir ! La France s’est ainsi engagée à augmenter l’ouverture du capital des LABM – aujourd’hui limitée à 25 % – d’ici à la fin de l’année, dans le cadre de la réforme de la loi de 1975 qui régit la profession. En échange, la Commission a suspendu la saisine de la Cour de justice. Gagnant-gagnant ? Pas pour tout le monde. Du côté des professionnels de santé, l’inquiétude est bien sûr palpable. Si le ministère assure maintenir sa position contre l’ouverture du capital des officines, arguant qu’il s’agit de « deux choses indépendantes », les pharmaciens, eux, se sentent plutôt pris dans l’engrenage d’un « phénomène d’ouverture capitalistique effréné », pour paraphraser Claude Japhet, de l’UNPF.

« On ne peut qu’être inquiet ! »

Claude Japhet rappelle que si les biologistes exerçent certes dans des structures capitalistiques partielles, les officinaux se trouvent aujourd’hui engagés avec la Commission européenne dans une procédure identique. Il ne voit donc pas pourquoi cette dernière s’arrêterait exceptionnellement en si bon chemin. Même son de cloche du côté de la FSPF : des différences fondamentales existent entre LABM et officines, mais ne suffisent à pas rassurer Philippe Gaertner face à la pression européenne exercée à l’encontre des pharmaciens. Gilles Bonnefond, de l’USPO, ajoute que les biologistes « paient une mauvaise gestion ». Tous expliquent donc cette augmentation d’ouverture du capital des LABM mais y voient un mauvais présage. Ils s’étaient d’ailleurs unis pour tenter de mettre en garde les pouvoirs publics contre les risques qu’entraînerait une telle mesure : ordres des médecins, des pharmaciens, des chirurgiens-dentistes, des sages-femmes et des masseurs-kinésithérapeutes. Tout simplement parce qu’ouvrir le cadre d’exercice des biologistes cliniciens libéraux, c’est toucher à la législation ayant créé les SEL, ces sociétés d’exercice libéral communes à toutes les professions libérales en France. Y compris les officinaux.

Toutes les SEL sont concernées

La loi du 31 décembre 1990 est d’ailleurs celle sur laquelle le groupement de laboratoires européens d’analyses LABCO a tiré en premier. En 2006, ce dernier avait porté plainte auprès de la Commission européenne, la jugeant incompatible avec la liberté d’établissement prévue dans le traité européen. Avant de déposer, en 2007, une nouvelle plainte contre l’ordre des pharmaciens et la France pour violation du droit communautaire de la concurrence dans le domaine de la biologie. « Les biologistes ne sont [donc] pas les seuls sur la sellette », assure Robert Desmoulins, président de la section G (pharmaciens biologistes) de l’ordre des pharmaciens. « Je ne vois pas comment donner un statut particulier aux SEL de biologistes. C’est légalement impossible. » Résultat : « Les SEL vont être bousculées. » A ses yeux, cette libéralisation de la biologie relève « de la folie pure » : « C’est la porte par laquelle les financiers rentreront dans la santé. Et des financiers purs et durs. » Robert Desmoulins craint le pire : « Ouvrir à des financiers, c’est ouvrir à des réseaux, très puissants, qui ne pourront plus être contrôlés. C’est rentrer dans un autre monde, complètement improductif, et ça fera augmenter le volume des prescriptions. » Bref, « c’est faire rentrer la biologie médicale dans la directive Bolkenstein, comme un service ! » Et Robert Desmoulins de prévoir une aggravation des inégalités d’accès aux soins, l’utilisation des données personnelles de santé, la déshumanisation de la prise en charge…, les patients aussi pourraient en pâtir. Une campagne de communication à destination du grand public à l’initiative de l’ordre est d’ailleurs prévue.

Des syndicats en désaccord

L’ordre des pharmaciens se rend bien compte qu’il s’agit avant tout d’un problème purement politique. « Ça vient du Premier ministre. Nos élus ne réalisent pas les incidences de cette mesure. » Mais il reste persuadé que la profession est toujours soutenue par la ministre de la Santé. A l’instar des syndicats. Et lorsqu’on évoque une consensualité gouvernementale à l’aune de la présidence française de l’Union européenne, Gilles Bonnefond rétorque : « Je ne pense pas que ce soit l’état d’esprit du Président ». Pourtant, même le secrétaire général du Syndicat des biologistes, Jean Bégué, se demande « comment les pharmaciens vont s’en sortir »

Oui, comment ? Les syndicats ne semblent pas d’accord sur la marche à suivre. L’UNPF entend « réfléchir très vite à l’ouverture du capital des officines », expliquant qu’« il vaut mieux l’organiser entre nous plutôt que se retrouver dans la situation des biologistes. Nous mènerons de notre côté une réflexion, quitte à aller très loin dans les discussions avec la Commission. Tant que la sanction n’est pas tombée, il y a toujours des moyens de discuter ». L’USPO veut assouplir l’ouverture du capital au sein de la profession, pour aider les jeunes à s’installer notamment, mais rejette l’idée de capitaux externes. Elle appelle surtout à un « vrai débat politique sur l’organisation de la santé ». La FSPF, de son côté, refuse catégoriquement toute idée d’ouverture, confortée dans sa position par l’ouverture total du capital des LABM : « Si le curseur quitte le point zéro, il faut accepter le risque d’un 100 %. » Philippe Gaertner rappelle que la Commission n’est pas intéressée par une ouverture entre pharmaciens, mais demande des capitaux extérieurs. « C’est le point où la vigilance doit être la plus forte. Je suis absolument opposé à ce qu’on y touche. Cela engendrerait une catastrophe. Faire entrer les capitaux entraînera une déstructuration du réseau. »

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Et les groupements ? Il semblerait que la brèche les intéresse… Le président du Collectif national des groupements d’officine, estimant qu’on peut tout à la fois « ouvrir le capital et en délimiter les contours », déclare que « la réflexion peut porter sur des circuits de distribution ». Pascal Louis prône une certaine proactivité au sein de la profession. Mais que pèsera toute cette agitation sous un gouvernement qui abdique déjà avant de présider l’Union ? Un corbeau croasse.

Pourtant notre gouvernement est intervenu devant la CJCE… dans le dossier italien

Paradoxe. Face à la Cour de justice européenne (CJCE), le gouvernement français lache les LABM… alors qu’il a monté cet automne un mémoire en intervention devant cette même Cour pour soutenir l’Italie, mais sur l’ouverture du capital des pharmacies, cette fois.

La Commission européenne a en effet porté plainte devant la CJCE en estimant que réserver le capital des officines italiennes aux pharmaciens « constitue une entrave disproportionnée à la libre circulation des capitaux et à l’exercice du droit d’établissement ».

Le gouvernement français écrit, lui, que les articles 43 CE et 48 CE en cause « ne s’opposent pas à une telle réglementation ». Certes, il s’agit d’« une restriction à ces deux libertés », admet-il, mais elle est « justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général, à savoir la santé publique ». Or la jurisprudence constante de la Cour permet de telles restrictions « si les mesures prises à ce titre n’excèdent pas ce qui est objectivement nécessaire », rappelle notre ministère des Affaires étrangères, qui ajoute : « Une telle réglementation permet (…) de garantir aux patients un service de qualité qui ne soit pas conditionné par des préoccupations financières. » En sus, tout conflit d’intérêt lié à une concentration verticale est ainsi évité, analyse-t-il. La Commission affirme, elle, dans ce dossier italien, que la présence de pharmaciens diplômés salariés suffit.

Autre menace que le gouvernement essaie de parer : la CJCE a jugé en 2005 dans une plainte impliquant la Grèce que, pour l’optique, l’ouverture du capital ne devait pas être entravée. Une jurisprudence pour les autres secteurs de la santé ? Non, argumente la France : les différences entre les deux activités sont trop différentes, les lunettes et lentille ne présentant généralement aucun risque pour le patient, contrairement au médicament.

Reste à savoir maintenant si notre présidence de l’Europe, à partir de juillet, sera réellement un atout pour défendre l’officine à la française, comme l’affirme Roselyne Bachelot. La reculade du gouvernement côté biologistes peut donner de sérieux doutes. Le gouvernement l’avoue, ce n’est pas le moment de fâcher la Commission. Quant à cette dernière, selon nos informations, elle a sciemment retardé la publication de sa réponse sur notre propre mise en demeure, compte tenu de la présidence française.