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La Cour de justice relance la subsidiarité
La Cour de justice européenne vient de conforter le principe de subsidiarité en matière de santé dans une affaire allemande. Une semaine après, le 18 septembre, la Commission européenne adressait un nouvel avis motivé à l’Allemagne et au Portugal concernant le capital des officines. La Commission deviendrait-elle nerveuse ?
A une semaine d’intervalle, un chaud et un froid ont soufflé sur la pharmacie européenne. Tout d’abord, le 11 septembre 2008, en déboutant la Commission de sa plainte contre l’Allemagne qui portait sur l’approvisionnement en médicament des hôpitaux, la Cour de justice européenne (CJCE) a reconnu implicitement le principe de subsidiarité et redonné confiance aux pharmaciens allemands. « Nous sommes heureux que le procureur général [Yves Bot (1), NdlR] soit français car un Britannique, par exemple, en aurait décidé tout autrement », a cependant noté Hans-Günter Wolf, président de l’ABDA, la fédération des pharmaciens allemands, lors de ses assises à Munich le 18 septembre. La Commission avait porté plainte contre l’Allemagne pour infraction à la libre circulation des marchandises. Outre-Rhin, en effet, les hôpitaux qui ne disposent pas de pharmacie propre sont autorisés à s’approvisionner auprès des pharmacies hospitalières ou de pharmaciens libéraux du même arrondissement ou de l’arrondissement voisin (département). Mais pas ailleurs.
La notion de proximité légitimée
Certes, la Cour de Luxembourg reconnaît qu’il s’agit bien d’une entrave à la liberté de circulation des marchandises, mais elle spécifie que la protection de la santé – en l’occurrence la proximité et la disponibilité en cas d’urgence – prévaut dans ce cas. « Cet arrêt renforce la notion de pharmacien de proximité et pourra avoir une influence jusque dans les pratiques de fournitures de médicaments aux établissements pour personnes âgées », analyse Isabelle Adenot, membre du Conseil national de l’ordre français, siégeant au Groupement pharmaceutique de l’Union européenne.
Mais ce jugement de la CJCE rappelle surtout qu’en matière de santé, il y a lieu de laisser à l’arbitrage de chaque Etat membre le degré de sécurité qu’il souhaite offrir à ses citoyens. Ce dernier point fait renaître l’espoir des officinaux allemands qui attendent avec inquiétude l’issue du procès qui les oppose à la Commission : la Cour européenne de Justice doit statuer d’ici au printemps sur la conformité avec le droit européen de la législation allemande interdisant la propriété des officines par des non-pharmaciens (l’avocat général, dont les avis sont généralement suivis par la Cour, doit se prononcer le 18 décembre).
La Commission européenne rattaque sur le capital
Empressement de la Commission à réagir face à ce revers ou hasard du calendrier ? L’instance exécutive européenne a lancé la semaine dernière un avis motivé à l’encontre de l’Allemagne et du Portugal leur enjoignant de répondre à ses griefs dans les deux mois, sous peine d’une saisine de la Cour de justice européenne. En cause outre-Rhin, les textes qui réservent la propriété des officines aux pharmaciens (seuls ou en association) et qui interdisent à des non-pharmaciens de posséder plus de quatre pharmacies (une principale et trois succursales). Au Portugal, c’est l’interdiction pour les entreprises de vente en gros de posséder ou gérer une pharmacie qui est visée, de même que l’impossibilité de posséder plus de quatre officines.
Dans les deux cas, la Commission estime que ces réglementations nationales sont contraires à l’article 43 du traité européen, car disproportionnées par rapport à la nécessité de garantir la protection de la santé.
Reste donc à savoir si, dans les procédures d’infractions à venir, la CJCE fera de son côté un lien direct entre possession du capital des pharmacies et protection de la santé, comme elle l’a fait le 11 septembre quand il s’agissait de juger de la pertinence de contraintes géographiques. « Il serait évidemment imprudent d’affirmer aujourd’hui que la Cour tranchera dans un sens ou dans l’autre, mais tout n’est pas joué concernant le capital, loin de là, insiste pour sa part Isabelle Adenot. Le jugement du 11 septembre est important et nous avons des atouts à faire valoir. Et puis, 67 % des officines européennes sont détenues par des pharmaciens. Il faut arrêter de dire que les Français jouent les irréductibles Gaulois. Enfin, des fonds de pension induiront-ils une gestion des officines en faveur de la santé ou bien de l’intérêt des actionnaires ? C’est cette question qui sera en jeu. » Et c’est cette question que devront se poser les juges au printemps.
Bachelot veut reprendre le pouvoir aux juges
Des juges qui, paradoxalement, sont amenés ces temps-ci à trancher des décisions que les politiques, soit représentants des Etats membres, soit parlementaires européens, devraient prendre. Le gouvernement français semble vouloir tout faire pour inverser cette tendance. « Je défendrai [au prochain Forum pharmaceutique (2) du 2 octobre] notre modèle pharmaceutique […], modèle que certains souhaitent voir ébréché par voie contentieuse, a réaffirmé lundi la ministre de la Santé Roselyne Bachelot. Ces questions sont trop graves pour être traitées au travers de plaidoiries devant la Cour de justice. C’est entre Etats membres que nous devons en débattre sereinement. C’est dans ce sens que j’ai proposé à mes homologues européens d’adresser une lettre commune à la Commission », a-t-elle conclu. Et l’un des arguments massue sur lesquels la ministre s’appuiera est la lutte contre la contrefaçon, celle-ci étant inexistante en France. « Depuis la consultation sur la contrefaçon lancée en mars, la France est passée du stade de modèle décrié à celui d’un modèle cité en exemple par Bruxelles », fait d’ailleurs remarquer Isabelle Adenot. L’espoir renaît. Mais la bataille de l’Europe ne fait que commencer.
(1) Une semaine avant, l’avocat général avait auditionné, avec les 13 juges de la CJCE, les pays opposants et défenseurs de la propriété du capital réservée aux pharmaciens (voir « Le Moniteur » n° 2743 du 13 septembre 2008).
(2) Le Forum est un groupe de discussion mis en place par la Commission en 2005, rassemblant des ministres de tous les Etats membres, des représentants du Parlement européen, des patients, de l’industrie pharmaceutique, des caisses d’assurance maladie ainsi que des professionnels de la santé.
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