Homéopathie : satisfait ou pas remboursé !

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Publié le 1 septembre 2019
Par Yves Rivoal
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Agnès Buzyn a tranché. En décidant que les médicaments homéopathiques ne seraient plus remboursés à partir du 1er janvier 2021, la ministre des solidarités et de la santé s’est rangée, comme elle l’avait indiqué, à l’avis de la Haute Autorité de Santé (HAS). En prenant toutefois le soin de prévoir une période transitoire. Explications…

Après des années de controverse, Agnès Buzyn a finalement décidé de suivre la recommandation de la Haute Autorité de Santé. Cette dernière s’était prononcée le 28 juin dernier en faveur du déremboursement de l’homéopathie, arguant du fait que « ces médicaments n’ont pas démontré scientifiquement une efficacité suffisante pour justifier d’un remboursement » (voir encadré). La ministre des Solidarités et de la Santé a annoncé le 10 juillet dernier qu’elle allait engager « la procédure de radiation des médicaments homéopathiques de la liste des médicaments pris en charge par l’Assurance maladie pour une mise en œuvre au 1er janvier 2021. » Avant cela, le 1er janvier 2020, le taux de remboursement des médicaments homéopathique passera de 30 à 15 %. Objectif de cette période transitoire : laisser du temps aux patients, aux industriels et aux prescripteurs pour se préparer au déremboursement total.

UNE PERTE chiffrée à 180 M€.

Pour Gilles Bonnefond, le président de l’USPO qui n’a jamais caché son hostilité à la fin brutale du remboursement, cette décision est sans surprise. « La HAS ayant évalué l’homéopathie sur les critères de l’allopathie, alors que son mode de fonction nement est totalement différent, il était acquis qu’elle se prononcerait en faveur du déremboursement. Et comme la ministre a toujours indiqué qu’elle se rangerait à l’avis de la HAS… » Pour le président de l’USPO, cette mesure aura de lourdes conséquences sur l’économie officinale : 180 M€ de perte de marge pour les pharmacies. « Elle pourrait aussi inciter les Français à se tourner vers des pratiques ésotériques non contrôlées, alors que le recours à l’homéopathie se fait dans un cadre réglementé et sécurisé, le plus souvent avec un médecin et en pharmacie », ajoute Gilles Bonnefond qui regrette que le gouvernement n’ait pas choisi d’apaiser le débat et de couper la poire en deux, en faisant passer le remboursement par le régime obligatoire de 30 % actuellement à 15 %. « Le gouvernement a retenu cette solution, mais seulement pendant un an, alors qu’elle avait un triple avantage. Elle aurait d’abord entériné un déremboursement de fait. L’Assurance maladie appliquant une franchise de 0,50 € sur chaque boîte, le remboursement aurait été égal à zéro. Elle aurait aussi permis de maintenir des prix réglementés sur l’homéopathie. Avec le déremboursement total, on risque de se retrouver avec des prix multipliés par trois ou quatre par les laboratoires. Les complémentaires santé auraient enfin pu continuer à rembourser de manière systématique ou optionnelle ces médicaments. »

UNE ÉGALITÉ de traitement remise en cause.

Hélène Renoux, présidente de la société savante d’homéopathie, ne cache pas son incompréhension face à une telle décision, et pointe elle aussi du doigt le mode d’évaluation retenu par la HAS. « La commission de la transparence n’a pas tenu compte des travaux que nous lui avions remis et qui démontraient l’efficacité de l’homéopathie sur au moins cinq champs pathologiques : la rhinite allergique, la diarrhée infantile, la lombalgie, les otites moyennes aiguës chez l’enfant et les bouffées de chaleur pour les femmes souffrant d’un cancer du sein. Il semble aussi que l’évaluation ait été biaisée par des a priori, car à partir du moment où vous décrétez que le mode d’action physico-chimique de l’homéopathie ne peut pas fonctionner, c’est tout le jugement qui est faussé. » Pour Hélène Renoux, cette décision pénalisera beaucoup de Français. « Dérembourser l’homéopathie, c’est mettre un terme à un acquis social et prendre le risque de réserver ces traitements aux catégories de la population les plus aisées. »

DE LOURDS enjeux économiques.

Pour les laboratoires leaders du marché, le Français Boiron, le Suisse Weleda et l’Allemand Rocal-Lehning, le déremboursement total est un coup dur. Boiron avait d’ailleurs demandé la suspension de son cours de bourse le 27 juin, en apprenant dans la presse la décision de la HAS en faveur du déremboursement. La campagne de mobilisation en faveur de l’homéopathie “MonHoméoMonChoix” lancée par ces trois laboratoires et les principaux acteurs du secteur n’a pas produit les effets escomptés . Les arguments mis en avant, le fait que trois Français sur quatre se soignent avec l’homéopathie, la liberté de choix, le risque de transfert vers des médicaments plus coûteux pour la collectivité, ou les menaces sur l’emploi – Boiron avait communiqué sur 1 000 postes menacés en cas de déremboursement, Weleda et Rocal-Lehning sur 300 – n’ont pas été davantage entendus. Et ce malgré le soutien affiché de personnalités politiques, comme Laurent Wauquiez, Xavier Bertrand ou Gérard Collomb…

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A l’ère de la médecine intégrative.

Pour Yves Lévi de l’Académie nationale de pharmacie et de l’Académie nationale de médecine, « cette décision est on ne peut plus logique, car il n’y a aucune substance reconnue pour son effet thérapeutique dans les produits homéo pathiques. Le soulagement exprimé par les patients relève de l’effet placebo incluant un dialogue personnalisé avec son prescripteur. » D’ailleurs, dans leur recommandation commune de mars 2019, les deux académies nationales de médecine et de pharmacie invitent même le gouvernement à aller plus loin. Elles demandent à ce qu’aucun diplôme universitaire d’homéopathie ne soit délivré par les facultés de médecine et par les facultés de pharmacie. Mais il convient d’après elles « d’inclure ou de renforcer dans les études de médecine et de pharmacie un enseignement – obligatoire dans le 2ème cycle, optionnel dans les 3ème cycles – dédié à la relation médecinmalade, à ses effets non spécifiques, aux effets placebo avec attente, aux effets bénéfiques du conditionnement, et au bon usage des médecines complémentaires intégratives. »

L’ESSENTIEL

→ Agnès Buzyn, la ministre des Solidarités et de la Santé, s’est prononcée en faveur du déremboursement des médicaments homéopathiques à compter du 1er janvier 2021, suivant ainsi l’avis de la Haute Autorité de Santé (HAS).

→ A partir du 1er janvier 2020, le taux de remboursement des médicaments homéopathiques passera de 30 à 15 %. Cette période transitoire doit permettre aux patients, aux industriels et aux prescripteurs de s’adapter.

→ D’après l’USPO, la fin du remboursement des médicaments homéopathiques pourrait entraîner 180 M€ de perte de marge pour les pharmacies.

1,2 M

c’est le nombre de personnes qui ont signé la pétition en faveur du maintien du remboursement de l’homéopathie sur le site « MonHomeoMonChoix », début juillet.

Rapport

Pas d’efficacité suffisante

Avant de se prononcer en faveur du déremboursement des médicaments homéopathiques, la Haute Autorité de Santé (HAS) a évalué 1 200 médicaments homéopathiques et analysé plus de 1 000 publications scientifiques, les contributions des parties-prenantes, ainsi que les dossiers déposés par les trois laboratoires concernés par l’évaluation : Boiron, Weleda et Rocal-Lehning. Après avoir identifié des données scientifiques pour 24 affections et symptômes traités avec l’homéopathie, la HAS a estimé que les données cliniques ne permettent pas de conclure à une efficacité suffisante pour justifier d’un remboursement. Son avis s’appuie sur le fait « qu’aucune étude robuste ne permet d’évaluer l’impact de ces médicaments sur la qualité de vie des patients », et qu’il n’y a pas non plus « d’impact attribuable aux médicaments homéopathiques sur la consommation d’autres médicaments, la diminution du mésusage, le nombre d’hospitalisation, les retards à la prise en charge, ou sur l’organisation de soins. »

EN PREMIÈRE LIGNE

Sur les 359 M€ de C.A réalisés en 2018 par Boiron, leader mondial du marché l’année dernière, 60 %, soit 215 m€, sont issus des médicaments homéopathiques remboursables.

126,8 M€

c’est le montant remboursé par l’Assurance maladie en 2018, pour les médicaments homéopathiques. Un chiffre en baisse de 2 %, par rapport à 2017.