Fraude à la Sécu : les infirmiers libéraux remontés contre « Cash Investigation »

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Fraude à la Sécu : les infirmiers libéraux remontés contre « Cash Investigation »

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Publié le 15 décembre 2022
Par Pauline Machard
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France 2 a consacré le 8 décembre une enquête à la fraude des professionnels de santé… Et en particulier à celle des infirmiers libéraux. Les syndicats déplorent une mise à l’index du métier. 

Les professionnels de santé libéraux, champions de la fraude à la Sécu ? C’est le postulat de l’équipe de « Cash Investigation », dans sa dernière émission : «  Hold-up sur la Sécu : à qui profite la fraude ? » S’appuyant sur des données de l’Assurance maladie, l’équipe fait valoir qu’en 2021, 72 % des montants de fraude détectés les concernaient. Et selon les journalistes, les infirmiers libéraux seraient les champions, avec 1 milliard d’euros de fraude en 2019, devant les généralistes (306 millions) et les kinés (245 millions). Une scénarisation qui donne le ton du reportage, « assez caricatural sur le fond comme sur la forme », juge Daniel Guillerm, président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI). « C’est un magazine qui fait plutôt du cash que de l’investigation », enchérit Ghislaine Sicre, à la tête de Convergence Infirmière

Interroger le montant

Les représentants syndicaux – qui n’ont pas été consultés dans le cadre du reportage –, s’interrogent sur le chiffre d’1 milliard avancé par les journalistes. Une donnée qui « nous scotche », commente Daniel Guillerm. S’il ne doute pas que certains individus jouent « des failles du système pour profiter des bons à tirer de l’Assurance maladie », il se dit étonné d’un « montant aussi important ». D’autant que « notre enveloppe globale est de 13 à 14 milliards d’euros ». Autre question, celle de la source : un prérapport de 2019 de la Cour des comptes resté confidentiel. « Ce chiffre n’a pas été confirmé par Thomas Fatôme [directeur général de la Cnam], ni par la Cour des comptes, puisque le rapport n’a pas été publié », observe le président de la FNI. La « transparence sur les chiffres », c’est ce pour quoi plaide Ghislaine Sicre. Pour que ceux-ci « soient requêtés par huissier, et communiqués en même temps à la Cnam, aux syndicats, au ministère »

Comprendre les indus

À l’instar d’Antoinette Tranchida, à la tête de l’Organisation nationale des syndicats d’infirmiers libéraux (Onsil), les représentants dépeignent un reportage « à charge ». Qui passe à côté de la « présomption de culpabilité systématique » à l’encontre des infirmiers diplômés d’Etat libéraux (Idel)*, – alors que ceux-ci devraient bénéficier d’une « présomption d’innocence ». Pour Ghislaine Sicre, au lieu de préjuger de mauvaises intentions, il faudrait plutôt s’intéresser à l’origine des indus, en investiguant les problématiques rencontrées au quotidien par les Idels. 
Car ces indus peuvent s’expliquer. Par la nomenclature complexe par exemple, source d’erreurs, car elle comprend plus de cent actes qui, dans certaines prises en charge, se cumulent entre eux avec des règles différentes. Par une erreur de cotation commise et répétée de bonne foi, etc. Et il est bon d’avoir aussi en tête que « la majorité des procédures de la Caisse contre les infirmiers sont déboutées », signale la présidente de l’Onsil.

Tous fraudeurs ?  

Les syndicalistes condamnent fermement toutes les escroqueries captées par Cash Investigation, mais pointent les risques d’amalgames – dont la rédaction se défend –, entre les brebis galeuses et l’immense majorité de la profession. Par extrapolation, « on est tous des fraudeurs », fustige Antoinette Tranchida, qui entend interpeller l’Ordre national des infirmiers et, en l’absence de réaction de ce dernier, se « réserve le droit de porter plainte »
Car, à cause de la mise en avant de quelques « individus sans scrupule », c’est, jugent les syndicalistes, une grande majorité, honnête, qui trinque. « Le fraudeur, c’est l’arbre qui cache la forêt », formule Ghislaine Sicre. La présidente de Convergence Infirmière craint que cette émission donne le coup de grâce à une profession « usée, fatiguée, malmenée, déconsidérée, sous-payée, accablée » et qui « ne trouve plus de sens dans ce qu’elle fait », écrit-elle dans sa Lettre à Elise [Lucet, productrice].

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* accentuée depuis le vote de l’article 44 dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), qui va permettre aux caisses de réclamer des indus dont le montant sera extrapolé sur la base d’un échantillon statistique et non plus les indus correspondant aux erreurs effectivement constatées.