Dans l’ombre des médecins

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Publié le 16 mars 2002
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50 000 professionnels de la santé pour les organisateurs, 13 000 selon la police, ont défilé le 10 mars, avec un seul mot d’ordre : « La santé avant tout ». Même si tous les syndicats avaient appelé à manifester, peu d’officinaux ont finalement fait le déplacement. Noyés dans la masse, ils ont tout de même essayé de faire entendre leur voix pour dire non à la maîtrise comptable. Réactions.

Kouchner, assez de riz. On veut du blé », « Les médecins ne sont pas des dindons », « Guigou nuit gravement à la santé », « Kiné oui, niké non ». Dimanche, le pavé parisien a visiblement inspiré les blouses blanches. Les slogans plus fleuris les uns que les autres émaillaient un cortège où toutes les professions de santé étaient représentées : des médecins surtout, des dentistes beaucoup, mais aussi des kinés, des infirmières, des ambulanciers et… une poignée de pharmaciens dont certains se sont faits plus remarquer que d’autres, comme cette officinale portant sur son dos sa fille revêtue d’une pancarte : « Je ne serai pas pharmacienne comme Maman ». Ou ce confrère arborant dans son dos la décomposition du prix du médicament pour expliquer aux nombreux passants que le pharmacien « ne se met pas tout dans les poches ».

Au total, selon nos estimations, 300 à 400 pharmaciens avaient fait le déplacement. Les Franciliens, déjà mobilisés par la grève des gardes, souvent plus en difficulté, étaient les plus représentés : une soixantaine d’adhérents de la Chambre syndicale des pharmaciens parisiens (CSPP), adhérente à la Fédération, et environ 70 membres de l’Union des pharmaciens de la région parisienne (UPRP) et de l’APLUS. Quant aux provinciaux, ils étaient éparpillés dans le cortège, chacun défilant sous la banderole de son département.

Force est donc de constater que la mobilisation n’était pas vraiment au rendez-vous. « Pour l’ensemble de la Franche-Comté (Doubs, Haute-Saône, Jura et Territoire de Belfort), nous n’étions que quinze pharmaciens dont dix de l’UNPF », regrette Pascal Ceresa, président de l’Union régionale des pharmacies comtoises, titulaire aux Hôpitaux-Neufs (25). « Nous avons crié pour ceux qui n’étaient pas là », s’amuse Andrée Ivaldi, titulaire à Paris, membre de la CSPP, la voix encore enrouée. « Je suis revenue avec un moral très mitigé. Dire qu’il y avait 15 000 pharmaciens dans les rues de Paris il y a une vingtaine d’années… », se souvient, un brin nostalgique, Claire Sevin, titulaire à Clamart (92).

« Les confrères n’ont pas compris le but de cette manifestation »

Si les troupes étaient maigres, les leaders syndicaux brillaient également par leur absence. « Dimanche, les plus représentatifs n’étaient pas ceux que l’on croit, ironise Patrice Devillers, président de l’USPO, qui avait mobilisé une vingtaine de ses adhérents. Il est inadmissible de la part de l’UNPF ou de la Fédération de n’avoir envoyé aucun représentant national. Si Gérard Boucher, président de l’APLUS, et moi-même n’avions pas été là, aucun pharmacien n’aurait tenu la banderole de tête de la manifestation avec l’ensemble des responsables syndicaux des autres professions de santé. »

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La profession aurait-elle loupé là une occasion de se retrouver ? « Il y a les confrères qui s’en foutent. Ceux qui sont usés, à saturation. Ceux qui ne savent plus où ils en sont et qui ne comprennent plus rien avec tous ces syndicats. Ce n’est pourtant pas le moment de se diviser mais plutôt de se fédérer », analyse Claire Sevin. « Je reproche à nos syndicats d’entraîner la division au lieu d’ouvrir un débat commun, critique aussi Andrée Ivaldi. Mais je crois également que les confrères n’avaient pas compris le but de cette manifestation. On ne manifestait pas pour nos propres revendications ou pour les 20 euros des médecins, mais contre la maîtrise comptable. » Voilà peut-être pourquoi les pharmaciens sont restés à la maison : un thème insuffisamment mobilisateur, trop loin des revendications officinales. « La maîtrise comptable est pourtant au coeur de nos préoccupations, explique Pascal Ceresa. C’est elle qui fait de nous de simples variables ajustables du système de santé. On nous répète depuis des années que les dépenses augmentent et que l’on coûte trop cher. Mais sans dire qu’il y a de plus en plus de cancers, de maladies de longue durée, sans compter le vieillissement de la population. Il faut agir autrement. Le ras-le-bol est généralisé. Il serait temps que les politiques prennent sérieusement en compte les revendications des professions de santé. »

Don Quichotte à la Bastille

A lire les réactions après la manifestation, ce n’est pas gagné. Elisabeth Guigou se défausse sur la CNAM tandis que Bernard Kouchner – qui déclarait il y quinze jours à peine que « les trains spécial manif font au moins vivre la SNCF » – estime qu’une manifestation aussi proche des élections « est forcément politique », ajoutant qu’il n’y aurait pas de nouvelles négociations avec les généralistes et que les différentes catégories de professionnels qui défilaient dimanche « ont été plus ou moins revalorisées, mais toutes ont été revalorisées… ». Quant à la CNAM, largement conspuée au cours du défilé, notamment par les pharmaciens qui la jugent responsable de tous leurs maux administratifs, elle est aussi détachée, son président Jean-Marie Spaeth déclarant froidement que le mouvement « se sclérosait ».

Côté médecins, si MG-France considère aussi que le mouvement des médecins s’effrite, la CSMF, leader du mouvement de contestation, compte bien s’appuyer sur ce qu’elle juge comme un succès pour y donner une suite. « Nous serons désormais les pitbulls de ce gouvernement et du suivant s’ils ne nous écoutent pas. Ceux qui parient sur un essoufflement se trompent lourdement », déclare le probable futur président de la CSMF, Michel Chassang. « Nous serons certainement appelés à renouveler ce défilé et j’espère que la majorité de mes confrères se rassembleront pour défendre leur métier », prévient Olivier Rozaire, membre du bureau de l’USPO. Avec quel succès et quelle chance d’être entendu ? « Quand on est arrivés à la Bastille dimanche, je me suis aperçue qu’on jouait Don Quichotte à l’Opéra… », ironise Claire Sevin. « Les nombreux confrères que j’ai eus au téléphone avant et après la manif parlent tous d’épuisement. Moi je me battrai toujours, affirme Brigitte Visot, coorganisatrice de l’action pour la CSPP, mais la leçon est comprise. La prochaine fois, il faudra faire du porte-à-porte pour persuader les confrères de venir. »