Allemagne : Attention réactions en chaîne

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Publié le 28 septembre 2002
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VPC, réimportations, génériques, rabais aux caisses d’assurance maladie : autant de leviers destinés à faire baisser les dépenses en médicaments, autant de pressions supplémentaires sur une profession qui s’interroge désormais sur ses chances de survie… Il se déroule outre-Rhin des manoeuvres que toute l’Europe pharmaceutique ferait bien de surveiller.

Evolution de la marge (en taux)

Berlin. Fin juin, l’ABDA (Bundesvereinigung Deutscher Apothekerverbände), organe représentant l’ordre des pharmaciens et le syndicat professionnel majoritaire, déposait dans la cour du ministère de la Santé plusieurs caisses contenant 7,7 millions de signatures récoltées par les pharmaciens allemands dans leurs officines. Objet de la pétition : interdire la vente de médicaments par correspondance et par Internet. Mais la récente victoire du SPD aux élections législatives devrait sonner le glas de ces revendications officinales.

Evolution du CA des pharmacies allemandes (en milliards d’euros)

La VPC divise. Dans son officine de Wesel, Holger May n’a pourtant pas agité le spectre de la vente de médicaments sur Internet, qui selon ses confrères mettrait en danger la santé des patients et supprimerait les services de garde. Et pour cause, Holger May est membre du BVDVA, la fédération des pharmaciens pour la vente à distance : « Cette pétition n’est que du chantage, une manipulation des clients que l’on oblige à renoncer à d’autres modes de distribution sous prétexte que leur pharmacie risque de disparaître. »

Pour de toutes autres raisons, Wilhelm Raida n’a pas davantage déposé la pétition sur son comptoir de la Löwen-Apotheke à Darmstadt. La méthode n’est pas assez dissuasive selon lui. Il lui préfère la force de frappe. Fin août, Wilhelm Raida, qui est aussi le président du syndicat dissident BVDA (hostile à la VPC de médicaments), a porté plainte contre Doc Morris, le pharmacien vépéciste néerlandais. Chefs d’accusation : exercice illégal de la pharmacie, mise en danger de la vie d’autrui…

Part du médicament remboursé dans le CA et évolution du CA moyen (kEuro(s)Euro(s)hors TVA)

Ces actions sont les signes de la mobilisation d’une profession aux abois. Car les pharmaciens estiment faire les frais de la politique d’un gouvernement tentant par tous les moyens possibles de réduire l’avancée galopante des dépenses de médicaments. Non content de garder la mainmise sur les prix des médicaments par le biais d’une commission sévèrement gardée par les caisses, le ministère de la Santé, depuis le 1er février, a fait passer le rabais que les pharmaciens doivent accorder aux caisses d’assurance maladie de 5 à 6 %. Par ailleurs, il a obligé les pharmaciens à délivrer des produits réimportés. Depuis le début de l’année toujours, souhaitant renforcer la prescription des génériques, le gouvernement contraint les médecins à prescrire en DCI, à charge au pharmacien de délivrer un générique ou un produit figurant dans les deux tiers inférieurs de la liste des prix.

CA et bénéfice des pharmaciens avant impôts en milliers d’euros (évolution)

Austérité inefficace. Las, les médecins n’ont suivi que partiellement les directives ministérielles, arguant de contingences médicales. Cette inconstance aurait pu profiter aux pharmaciens, si elle n’avait contribué à élargir davantage leurs stocks. « Ne pouvant anticiper sur les choix des prescripteurs, nous sommes obligés désormais d’avoir le maximum de produits en stock, en sus des génériques que nous délivrons de notre propre chef », explique Peter Stahl. Pour l’ibuprofène, il dénombre ainsi dix-neuf produits différents dans son stock de la Sonnen Apotheke à Neustadt, alors que, selon lui, trois suffiraient largement.

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Cette augmentation des coûts, davantage que la baisse du chiffre d’affaires induite par les génériques et les produits réimportés, a infléchi le bénéfice des officines. « Après 3,4 % de baisse en 2001, j’accuse cette année un recul de 17 % de mon bénéfice », annonce Peter Stahl.

Pourtant, alors que le gouvernement avait annoncé une baisse de 4,9 % des dépenses en médicaments, les premières statistiques de l’année 2002 font état pour cette année d’un taux d’augmentation de… 8,9 %.

Reconversion. De là à penser que la VPC et les nouveaux réseaux de distribution qu’elle induira (lire page 26) représentent la solution miracle, il y a un pas que le futur gouvernement – reconduit – n’hésitera pas à franchir. Ce serait alors la fin de l’une des dernières professions en Allemagne à disposer d’un monopole.

Certaines officines ont fait les frais de l’économie de marché par un autre biais. Ainsi à Darmstadt, ville de 135 000 habitants, trois pharmaciens pris à la gorge par les prix de l’immobilier dans les zones piétonnières (entre 75 et 100 Euro(s) par m2 et par mois) ont dû fermer leur officine. Prémices de ce que sera bientôt le paysage de la pharmacie allemande, organisée en chaînes ou en franchises en centre-ville ? Toujours est-il qu’aucun pharmacien allemand ne peut aujourd’hui se soustraire à la question de son avenir, voire de sa reconversion. En droguiste ? En esthéticien ? A Neustadt, Peter Stahl s’interroge. Quant à Wilhelm Raida, il a beau fustiger Doc Morris et la VPC, prudent, il est en train de créer sa propre société de VPC de matériels pour diabétiques : « Ainsi, lorsque le temps sera venu, avec la levée de l’interdiction de la VPC, je serai déjà positionné sur le marché. »

Repères : Haro sur le médicament !

– Début 2001, Ulla Schmidt, ministre de la Santé, supprime la budgétisation sur la prescription des médicaments. Elle renvoie dos à dos médecins, pharmaciens, industriels et caisses : à leur charge d’équilibrer les comptes dans un système autogéré.

– En 2001, les dépenses en médicaments augmentent de 11,2 %. Ulla Schmidt annonce des mesures qui contribueront à réduire en 2002 de 4,9 % les dépenses par rapport à l’année écoulée.

– Janvier 2002, le gouvernement oblige les médecins à rédiger les produits en DCI et à cocher la case « aut-idem » sur les ordonnances. Elle permet aux pharmaciens de substituer, pourvu que le produit figure dans le tiers inférieur de la liste des prix.

En juin, seuls 50 % des médecins en feront usage.

– Avril , Ulla Schmidt propose de nommer un inspecteur du médicament qui, à l’image des Pays-Bas, contrôlerait les rabais accordés par l’industrie pharmaceutique aux médecins et aux officinaux.

– Printemps, un décret fixe à 5,5 % la part minimale de CA que le pharmacien devra obligatoirement réaliser avec des produits réimportés (en moyenne 10 % moins chers), taux qui sera porté à 7 % en 2003. Ils représentent déjà aujourd’hui 7,2 % du marché allemand.

– Juillet, le gouvernement publie une liste de 170 principes actifs (20 % du marché concerné) pour lesquels l’« aut-idem » doit être absolument appliqué.

– Septembre, le médicament est rendu officiellement responsable du déficit des caisses, chiffré pour le premier semestre 2002 à 2,5 MdEuro(s). L’augmentation des dépenses en médicaments est de 2,5 %. Sans le versement exceptionnel de 205 MdEuro(s) de l’industrie pharmaceutique aux caisses d’assurance maladie, ce taux excéderait 4 %.

Ce don n’a rien de philanthropique. Il s’agit d’un accord passé avec le ministère qui, au cas échéant, aurait opéré une augmentation de 4 % du prix du médicament.

Six mille pharmacies en trop en raison de la libre installation

Fermetures inquiétantes. En mars dernier, l’ABDA déplorait la fermeture de vingt-trois officines, un chiffre jamais atteint de mémoire de pharmacien. Et ce en dépit de l’augmentation des dépenses de médicaments.

L’ABDA est encore plus pessimiste, estimant que l’augmentation de un point de remise (5 à 6 %) du rabais concédé par les pharmaciens aux caisses leur coûtera 10 % de leurs revenus.

Mais, selon une étude du centre de politique sociale de l’université de Brême, 6 000 officines seraient « superflues » en Allemagne. Un pays qui a l’une des plus fortes densités de pharmaciens (1 pour 3 670 habitants) en Europe.

Surpopulation officinale. Le numerus clausus est aboli depuis 1958, date d’un jugement de la Cour suprême qui entérinait le libre exercice de la profession. Tout pharmacien remplissant les conditions requises (nationalité allemande, diplôme, équipements et locaux adéquats) peut s’installer où bon lui semble. Il est courant de dénombrer ainsi dans les centres-villes par moins de trois à quatre pharmacies dans un périmètre de cinq cents mètres.

Holger May, qui est dans cette situation à Wedel, énonce ainsi le paradoxe de la profession : « Nous nous trouvons de par cette absence de quota dans une économie de marché, en libre concurrence entre nous, tout en étant soumis par ailleurs aux aléas d’une économie dirigée : les prix sont fixés par une commission, les rabais aux caisses également… »