A qui la faute du bilan mitigé des nouvelles missions ?

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Publié le 18 juin 2016
Par Magali Clausener
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Une enquête réalisée par l’Ordre des pharmaciens sur les nouvelles missions relevant de la loi HPST révèle un bilan en demi-teinte sept ans après la promulgation de la loi.

Plus de 870 pharmaciens ont répondu au questionnaire sur les principales missions énumérées par l’article 38 de la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST), mis en ligne sur le site de l’Ordre du 9 mars au 4 mai 2016, 61 % des répondants appartiennent à la section A, 36 % à la section D et 3 % à la section E (pharmaciens d’Outre-mer). Premier résultat important : une majorité des pharmaciens (499) déclarent participer, soit à l’éducation thérapeutique du patient (ETP), soit à des actions d’accompagnement des patients. Un chiffre qui montre leur engagement, mais qui doit être nuancé. En effet, un bon tiers des pharmaciens qui pensent réaliser de l’ETP, ne le font pas réellement faute d’avoir suivi la formation obligatoire de 40 heures. Quant aux missions d’accompagnement des patients, les officinaux sont également nombreux à déclarer (402 pharmaciens) participer aux entretiens pharmaceutiques de patients (AVK et asthme) dans le cadre conventionnel. Et 207 proposent un accompagnement pour d’autres pathologies : le diabète essentiellement et, dans une moindre mesure, le cancer, l’hypertension artérielle, la nutrition et la diététique ainsi que la surcharge pondérale et le sevrage tabagique. En revanche, seuls 87 pharmaciens sont référents d’un EHPAD (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes). En matière de coopération interprofessionnelle, 153 pharmaciens se disent impliqués dans une telle démarche. Pour autant, ils ne sont que 30 officinaux à avoir été désignés « pharmacien correspondant » de l’équipe de soins par le patient.

Manque d’informations et de rémunération

Les résultats interpellent, alors que la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) a été promulguée le 21 juillet 2009. La méconnaissance de certaines missions expliquerait en grande partie cette relative implication. Mais si les pharmaciens, pourtant intéressés, ne se sont pas lancés, c’est en partie par un « manque d’informations pratiques ». Pour Alain Delgutte, président de la section A de l’Ordre, « la complexité de la mise en œuvre de certaines missions, comme le pharmacien correspondant, explique ce bilan décevant ». Et de faire un parallèle avec les entretiens pharmaceutiques : « Les pharmaciens ont bénéficié d’un accompagnement de l’Assurance maladie sur la sélection des patients et d’outils comme une check-list pour mener les entretiens. Dans le cas de l’asthme, les modalités étaient plus compliquées et les pharmaciens ont été bien moins nombreux à réaliser des entretiens ». Pour jouer le rôle de pharmacien référent, tous ne sont pas à proximité d’un EHPAD. Les syndicats mettent, quant à eux, l’accent sur le financement de ces missions. « La loi permet au pharmacien de faire, mais pas d’avoir une rémunération, commente Philippe Gaertner, président de la FSPF. Peut-on raisonnablement penser que cela peut être fait sans rémunération? Non. » Gilles Bonnefond, président de l’USPO, relève les difficultés relatives à la coopération interprofessionnelle : « Il faut que les médecins, les infirmiers et les pharmaciens aient envie de bouger, et que les ARS aient aussi cette volonté. La situation est très hétérogène selon les régions. De plus, le financement est précaire et c’est décourageant ». Philippe Gaertner souligne aussi les problèmes liés à l’ETP : « Si le pharmacien n’est pas dans une SISA*, il lui est impossible d’être rémunéré ». Alain Delgutte nuance : « Le financement n’est pas l’élément moteur, les pharmaciens ne sont pas obnubilés par l’argent. Mais c’est un élément de réflexion et ils doivent être rémunérés pour leur travail ».

Quid des nouvelles missions ?

Mais ce bilan mitigé pose une autre question : la profession va-t-elle s’emparer des autres missions de la loi HPST, à savoir les services et les prestations destinés à favoriser l’amélioration ou le maintien de l’état de santé des personnes (alinéa 8 de l’article 38 de la loi) ? Certes, le décret n’a pas encore paru. Et Isabelle Adenot, présidente de l’Ordre, a protesté auprès du Premier ministre et de la ministre des Affaires sociales et de la Santé, menaçant de saisir le Conseil d’Etat**. Le 8 juin, les représentants ministériels se sont défaussés sur l’Assurance maladie lors du comité de liaison, estimant que ces nouvelles missions devaient être négociées dans le cadre de la prochaine convention pharmaceutique. Cependant, le cabinet de Marisol Touraine a indiqué, le 14 juin, que l’arbitrage n’était pas encore rendu sur ce sujet. Il est évident que le financement pose problème aux pouvoirs publics. Aurait-il fallu se saisir plus tôt du sujet ? « A chaque rencontre, nous n’avons pu obtenir la parution des textes demandés, affirme Philippe Gaertner. Les dossiers ne sont pas traités et n’avancent pas. C’est insupportable. Et ce n’est pas non plus dans l’intérêt du patient. » « Marisol Touraine bloque les dossiers, ne craint pas de dire Gilles Bonnefond. Nous sommes en train de nous engager dans un conflit ouvert avec le gouvernement. » « Nous aurions peut-être pu faire mieux et plus vite, et les pharmaciens auraient pu se montrer plus volontaires, estime Alain Delgutte. Mais la réalité est féroce. Il va bien falloir trouver des solutions pour les patients dans les déserts médicaux ». Et de conclure : « C’est un changement de paradigme, de conception du métier. Cela prend du temps ».

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*Société interprofessionnelle de soins ambulatoires

**Les ministres disposent de deux mois pour répondre avant que l’Ordre puisse déposer un recours devant le Conseil d’Etat pour « délai déraisonnable ».

À RETENIR

• Adoptée en 2009, la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) renforce le rôle des pharmaciens et leur confie de nouvelles missions.

• Sept ans après l’adoption du texte, une enquête de l’Ordre des pharmaciens révèle que faute d’informations ou/et de rémunérations, les pharmaciens ne se sont pas impliqués autant qu’on pouvait l’imaginer.

• La non-parution des décrets d’application sur les services mécontente la profession.

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