Un psy dans sa pharmacie

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Publié le 5 décembre 2009
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A Milan, 24 pharmaciens proposent volontaires de consulter gratuitement un psychologue dans leur officine. Rencontre avec l’une d’entre eux, Manuela Bandi, qui participe à ce projet unique lancé par la Mairie et l’Ordre des psychologues de Lombardie pour lutter contre le stress urbain.

Emmitouflée dans une doudoune noire, une blonde aux yeux clairs s’engouffre prestement dans une petite pièce cachée entre la vitrine et le back-office. « Vous voulez un verre d’eau, un café ? », lui demande Manuela Bandi, la titulaire. Alors que la cliente s’installe sur une chaise et répond « non » dans un soupir, la psychologue s’empresse de refermer la porte pour écouter ses confidences.

Depuis la mi-octobre, un après-midi par semaine, la Farmacia Bandi vit ainsi au rythme des consultations de « sa » psychologue, Lara Bellardita. Ce concept baptisé « psychologue de quartier » est une idée de la Mairie de Milan et de l’Ordre des psychologues de Lombardie (OPL). Testé dans un premier temps dans deux officines, il a été étendu à la rentrée à 22 autres, dont 20 privées, toutes volontaires. Objectif : proposer des consultations psy gratuites afin de faciliter l’orientation des patients et créer des centres d’écoute dans une ville rongée par le stress.

Manuela Bandi, 40 ans, explique pourquoi elle a tenu à y participer : « Notre profession demande une grande écoute, or je ne suis pas spécialiste en la matière. Je peux avoir une sensibilité, certes, mais donner un conseil sans avoir de diplôme peut parfois faire plus de mal que de bien. Un jour, une femme est arrivée au comptoir et m’a dit : « J’attends mon quatrième bébé, mon mari ne le sait pas et je ne veux pas d’autre enfant. Qu’est-ce que je fais ? » C’est difficile d’avoir la bonne réponse. Maintenant, je sais que je peux proposer à mes clients de rencontrer un professionnel. »

Les séances durent en moyenne 45 minutes

Fille d’un couple de pharmaciens, Manuela Bandi a toujours eu un intérêt pour la dimension psychologique de son métier. Lors de ses études, elle a même suivi quelques cours de médecine sur des thèmes psy. « Par curiosité, mais j’avais 20 ans et pas la même maturité », précise-t-elle. Dès que le projet pilote de « psychologue de quartier » est né, Manuela l’a suivi avec attention à travers son syndicat Federfarma, la Fédération italienne des titulaires de pharmacies. « J’ai eu peur que cela ne se fasse pas ! Puis, finalement, après quelques mois de test, j’ai été contactée par mon syndicat pour participer, raconte la pharmacienne. J’ai tout de suite dit oui. Des psychologues sont alors venus vérifier que je pouvais mettre à la disposition du praticien un bureau. Ma pharmacie a une surface de 120 m2, mais la seule pièce isolée en fait 4. C’est là que je prends des mesures (tension, glycémie…) et que je stocke les échantillons des produits de beauté. Les psychologues m’ont dit que c’était assez grand. Désormais, une fois par semaine, j’y mets deux chaises, et voilà ! » Pour offrir à ses clients la possibilité de consulter un psy gratuitement 4 heures par semaine, la pharmacienne verse 3 000 euros par semestre à l’OPL (soit environ 300 euros net par mois après déductions fiscales). « Je n’ai pas réfléchi au coût, assure Manuela. C’est un service que j’offre à mes clients. C’est important d’investir sur ce type d’initiative car il y a ensuite un retour très positif pour l’image de mon officine. Cela permet aussi de montrer ma sensibilité. »

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La psychologue Lara Bellardita, qui travaille le reste du temps dans son cabinet, consulte dans la Farmacia Bandi le mercredi ou le jeudi après-midi. Après quelques rencontres sans rendez-vous, la pharmacienne et la psychologue ont opté pour un parcours soignant plus figé, avec prise de rendez-vous. « Cela montre au patient qu’il s’agit d’une démarche sérieuse, d’un véritable engagement, avance Lara Bellardita. Les séances durent en moyenne 45 minutes. La formule que je propose est de quatre rendez-vous. Après, nous faisons le point avec le patient pour voir si nous continuons. Parfois, une seule rencontre suffit, notamment lorsque je renvoie la personne vers un autre spécialiste. »

« La plupart ne m’auraient jamais consultée »

Mais qu’est-ce qui pousse les Milanais à entrer dans leur officine pour consulter un psy ? « Pour l’instant, j’ai rencontré des personnes souffrant d’anxiété, de dépression ou ayant des problèmes familiaux, répond la psychologue. Les gens parlent beaucoup, dès la première fois, et racontent des choses qu’ils n’ont parfois jamais dites à personne. » Selon les premiers résultats de l’enquête menée par la municipalité à travers cette opération, ce sont majoritairement des femmes (70 %) et des étrangers (10 %) qui ressentent le besoin de parler avec un « psychologue de quartier ». Dans la Farmacia Bandi, l’arrivée de la psychologue est encore trop récente pour cerner une tendance. Mais la pharmacienne a déjà quelques remarques à faire : « Tout d’abord, j’ai noté qu’il y avait une vraie attente de la part des clients. Le premier jour, la psychologue a commencé avec quatre rendez-vous et, la deuxième fois, six personnes l’attendaient ! J’ai aussi constaté qu’il y avait deux types de patients : mes clients les plus fidèles ont été les premiers à adhérer à ce service. Mais il y a aussi d’autres personnes, que je n’avais jamais vues auparavant, qui sont venues uniquement pour rencontrer la psychologue. Peut-être parce qu’elles ne voulaient pas être reconnues dans leur quartier ? Ce n’est pas facile d’oser consulter. »

A la fois anonyme et proche des gens, la pharmacie permet en effet à certaines personnes de faire le pas vers un psy pour la première fois. « Parler avec un psychologue ? Maintenant c’est possible dans cette pharmacie », indique un simple écriteau à l’entrée des officines participant au projet. « La plupart des personnes que je vois ici ne m’auraient jamais consultée, admet Lara Bellardita. C’est aussi ça qui m’a plu dans cette opération : aller à la rencontre des gens sans attendre qu’ils viennent vers nous. »

« Cet échange a parfois des retombées commerciales »

Dernière question soulevée par cette initiative : comment gérer la collaboration de deux professionnels de santé dans une officine ? L’Ordre des psychologues de Lombardie n’a pas donné au pharmacien la possibilité de choisir « son psy » et a en fait directement envoyé un praticien. Heureusement pour Manuela, cela s’est tout de suite bien passé avec Lara. « Nous travaillons en confiance. Il y a un réel échange entre nous », souligne la pharmacienne. « Cet échange a parfois des retombées commerciales pour l’officine, ajoute la psychologue. Je peux dire à quelqu’un qui a des problèmes de sommeil de demander à la pharmacienne de lui conseiller une tisane… »

Manuela Bandi, qui travaille avec trois autres pharmaciens dans son officine, se dit dans l’absolu très « demandeuse de toute forme de collaboration avec des spécialistes ». Dynamique, elle organise régulièrement dans sa pharmacie des journées maquillage, traitement des rides, massages ou conseils pour futures mamans. « Ce qui est fondamental dans notre métier, c’est la fidélisation, plus que la vente », estime-t-elle

Envie d’essayer ?

Les avantages

– Offrir un nouveau service à sa clientèle en collaboration avec un spécialiste permet d’affirmer le professionnalisme du pharmacien.

– Le retour d’image est très positif pour l’officine. Le pharmacien peut exprimer sa sensibilité.

– Travailler avec un psychologue est rassurant pour le pharmacien, lequel recueille souvent des confidences.

– Quelques ventes occasionnelles peuvent faire suite à l’entretien avec le psychologue (tisanes ou plantes pour améliorer la qualité du sommeil, mieux gérer le stress, etc.). Manuela Bandi précise toutefois que ces ventes ne permettent en aucun cas de financer le service.

Les difficultés

– Manuela Bandi estime qu’il est impossible pour une simple officine de mettre en place cette initiative sans aucune aide.

– Outre le coût (environ 3 000 euros par semestre), les pharmaciens intéressés par cette opération doivent disposer d’un espace suffisant afin d’offrir un bureau cloisonné au psychologue. Avec une pièce de 4 m2, Manuela Bandi était à la limite. Elle espère effectuer bientôt des travaux d’agrandissement.

Les conseils de manuela

« Miser sur le regroupement de pharmacies ainsi que sur des structures externes (Ordres, associations, municipalité…). »

– « Faire partie d’un syndicat permet d’être au courant des nouvelles initiatives. »